Théâtre nô : interview de l'actrice Kinue Oshima

Les 9 et 10 décembre à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP)

Kinué Oshima est la seule actrice de nô de l'école Kita, une exception pour cet art traditionnel en général réservé aux hommes. De passage à Paris à l'occasion du spectacle de théâtre nô présenté les 9 et 10 décembre à la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP), elle répond à nos questions.


L'actrice Kinue Oshima dans Pagoda- Photo Clive Barda


Selon vous, jouer les rôles traditionnellement interprétés par des hommes dans la tradition nô, est-ce un défi ?



Le Théâtre nô, art traditionnel par excellence est depuis son origine un univers essentiellement masculin, autrement dit interprété par les hommes. Pour s'en convaincre, il suffit de savoir que cet art s'est développé dans le milieu des seigneurs. A l'heure actuelle, les rôles peuvent être indifféremment tenus par des hommes ou des femmes. Les temps ont bien changés. Personnellement, mon défi n'est pas d'entrer en confrontation avec les hommes ou d'essayer de les supplanter, mais plutôt de relever le défi par rapport à cet art et d'essayer d'innover. Le théâtre nô m'enthousiasme, me passionne. Nous devons continuellement nous perfectionner d'un point de vue technique et en expression artistique. C'est un travail de longue haleine et de toute une vie pour se perfectionner.



Qu'est-ce que cela implique pour l'actrice que vous êtes ?



Depuis mon enfance, j'ai toujours pratiqué cet art dans un univers masculin. Je n'ai jamais pratiqué d'autres arts traditionnels donc je ne peux pas comparer. Mais les caractéristiques du nô sont :

Premièrement, rester concentré pendant tout le spectacle. Pour ceci, les répétitions sont très importantes. Elles influent sur ma concentration. Si je dois réfléchir sur les mouvements à suivre, j'aurai du mal à me concentrer. Mon corps a besoin de mémoriser les mouvements afin d'atteindre la concentration demandée. Le travail sur cette énergie intérieure est assez particulier. Il est demandé à l'ensemble des artistes sur scène. Si l'un d'eux perd cette énergie, le spectacle ne passera pas la rampe.



Le nô demande aux acteurs de trouver un juste milieu dans l'expression artistique: il ne faut jamais trop en faire devant le public pour essayer de l'épater. Il faut arriver à attirer son attention tout en restant dans la modestie et en oubliant son ego. L'extravagance n'est pas l'expression demandée dans cet art.



Par rapport au chant, la tonalité de la voix de la femme peut entraîner un désaccord par rapport à celle des voix d'homme. C'est pourquoi, il m'est assez rare de participer aux chœ,urs. Je joue souvent des rôles qui n'ont que des chants solo. Quand le rôle me demande des chants qui répondent au chœ,ur, il m'est plus simple de collaborer avec des membres du chœ,ur avec lesquels j'ai l'habitude de travailler car ils s'adaptent mieux à ma voix. Ceci étant, on me dit que le chant de nô ne dépend pas du timbre de la voix mais de la profondeur du souffle. C'est pour moi un aspect à approfondir.



Par rapport à la physionomie, comme très peu de costumes sont faits à la mesure des acteurs (trop cher à refaire), et comme je suis assez menue, il arrive que le costume soit trop grand pour moi. Je suis obligée de faire avec. Une petite information supplémentaire, les costumes anciens me sont plus faciles à porter. Il semblerait que les japonais d'autrefois étaient plus petits !


Kinué Oshima- Photo Clive Barda


Quel a été votre chemin pour devenir actrice de nô ?



Je suis née dans une famille d'acteur de nô, mais en tant que fille je n'étais pas obligée de reprendre le flambeau. Dans mon enfance, je jouais des rôles d'enfant. Au collège, comme on ne peut plus jouer de rôle d'enfant, je me suis éloignée des scènes officielles. Comme on m'avait bien dit que ce milieu n'est pas évident en tant qu'actrice —,à noter que dans d'autres écoles, il y avait déjà des actrices nô-, l'idée de m'orienter vers d'autres professions a pu effleurer mon esprit. Mais j'avais envie de mieux connaître cette pratique et j'ai décidé de faire mes études au Conservatoire nationale (Geidai). Le jeu d'acteur de mon école n'étant pas enseigné, j'ai choisi le tambour à l'épaule comme spécialité. Ceci m'a permis d'étudier d'autres métiers dans d'autres disciplines qui soutiennent le jeu de l'acteur, comme la musique et le chant. Aujourd'hui, cela constitue une richesse pour moi.



A cours de mes études, j'ai pu croiser des actrices de nô des autres écoles. Mon école n'avait pas admis d'actrice mais je me suis dit que si quelqu'un ne commençait pas, qui ouvrirait ce chemin ? De toutes façons, dans tout milieu professionnel, nous rencontrons des difficultés à surmonter. En ce cas, le mieux est de pratiquer un métier qui vous passionne. Si je n'arrive pas à être à la hauteur, au moins, je ne regretterai pas, car c'était mon choix. J'ai choisi ce métier pour ne pas avoir à le regretter moi-même.



'Pagoda', la pièce présentée à la MCJP et dans laquelle vous interprétez le rôle d'une mère, est un nô contemporain, en langue anglaise, qui plus est, interprété par des acteurs japonais et américains. Là encore, il semble qu'il faille répondre à de nombreux défis. Comment les avez-vous abordés ?



J'avais un grand respect vis-à-vis de Richard Emmert, le metteur en scène, et Jannette Cheong, l'auteur. J'avais déjà collaboré en atelier avec les membres du Theater Nohgaku -américains- et j'appréciais profondément leur passion et leur attitude fidèle à l'art du nô. J'ai donc pu participer à cette aventure avec une confiance totale envers l'équipe.



La chorégraphie est faite par moi-même, les autres mouvements ont été décidés collectivement mais sur la base du nô. Donc à part le fait que ce soit interprété en anglais, on peut dire que cette pièce est comme une pièce traditionnelle. Ah, oui, je dois avouer que j'ai eu du mal à prononcer correctement en anglais !



Dans le jeu du nô, on ne reproduit pas les sentiments du personnage comme on peut l'imaginer dans d'autres formes théâtrales. Le moment le plus important est quand vous mettez le masque. On fusionne avec quelque chose d'autre que soi-même et on assure la scène tout en restant uni avec ce quelque chose. Si vous manquez de concentration, votre personnalité se réveille et se détache de cette fusion. C'est pourquoi, la concentration est importante.



En quoi votre interprétation respecte-t-elle les principes esthétiques gouvernant le théâtre nô ? En quoi les modernise-t-elle ?



Ma réponse s'applique au nô en général, pas seulement à Pagoda. Nous respectons entièrement les bases esthétiques traditionnelles comme les mouvements et les gestuels. Mais l'acteur peut apporter sur ces formes transmises un souffle, un moment de suspension ou de tension qui lui sont propres.



Même si le nô est un art traditionnel, les acteurs sont des personnes contemporaines à l'instar du commun des mortels. J'essaie d'apporter ma propre expression —,même subtile- sous la contrainte de la forme. Ceci consiste à bien intégrer les formes que mes maîtres m'ont transmises, et ceci avant de m'exprimer sur scène.



En tant qu'actrice de nô, pensez-vous faire école et que d'autres actrices suivront la voie que vous avez ouverte ?



C'est en rencontrant des actrices respectables dans d'autres écoles, que j'ai eu le courage de choisir cette voie. De même, si d'autres actrices choisissent de devenir professionnelle dans mon école en me voyant jouer, cela sera pour moi une grande satisfaction.


- Kiyotsune / Pagoda
- Théâtre nô
- Mercredi 9 décembre à 20h et jeudi 10 décembre à 15h et à 20h
- Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP)-Grande salle (niveau —,3)
- 101 bis quai Branly 75740 Paris cedex 15

- Tarif 20 € / Réduit 16 € / Adhérent MCJP 12 €
- Ré­ser­va­tion au 01 44 37 95 95
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