Partout, on entend parler de « désir au féminin ». Mais que désigne-t-il précisément ? Faut-il l’éviter, y renoncer ou s’y abandonner ? Une trentaine d’autrices se sont prêtées au jeu et livrées sans filtre ni faux semblants dans un ouvrage collectif paru aux éditions Ramsay. Et ce, pour la bonne cause puisqu’une partie des droits d'auteur est reversée à l'association Le Filon qui œuvre aux côtés des femmes de la rue.
Un large éventail de désirs au féminin
Jusqu'au début du XIXe siècle, on ne considérait pas le désir des femmes. Ce concept était inconnu, le désir n'était que l'apanage de l'homme. « Parlez-nous du Désir, vous êtes libre sur la forme et le fond » : tel était le postulat de cet ouvrage qui met à l’honneur des nouvelles, des essais, des poèmes, des réflexions, et bien plus encore ! À travers une pluralité de voix, de tons, d’identités, de milieux et d’univers, trente autrices nous partagent leur regard féminin sur le désir, le plaisir et le consentement.
Désir charnel, désir de vie, désir sexuel, vécu de femmes, mémoire traumatique, vie professionnelle, le désir comme source de plénitude… Ce sont des histoires de combats, de résilience et de force qui se dessinent à travers une gamme de couleurs propres à chacune : « Cette richesse des textes, des singularités, le désir est donc une individualité, il n’y a pas de désir des femmes, il y a une conjugaison du désir, qui selon le vécu, les traumatismes, l’éveil de chacune, porte une voix qui varie selon les moments de vie ». Si le désir des femmes est étroitement lié à leur histoire individuelle, les traumatismes des premiers âges définissent, orientent et phagocytent ce désir.
« Je désire donc je vis ! »
Perrine Meunier, fondatrice de l’association Le Filon, a partagé pendant plusieurs années le quotidien de femmes en grande précarité et sans domicile fixe, « cassées, en souffrance, abîmées par un système qui broie les plus vulnérables, par les inégalités, par des hommes qui pensent avoir des droits sur elles, par ceux qui exploitent la misère, par tant d’autres choses et si souvent par manque d’amour, une carence qui inflige les pires blessures à l’âme et marque à jamais ». Qu’elles se prénomment Sandrine, Myriam ou Fanta, ces femmes marquées par les épreuves vécues sont souvent animées par une force qui les aide à tenir debout et à avancer : le désir de vie.
« Je désire donc je vis ! » : suivant la formule de Meta Tshiteya, serait-ce seulement par le désir, comme sortie hors de soi, que l’on existe, au sens fort du mot, plutôt que de se contenter de vivre ? Si ce désir fragile peut vaciller par moment sous les coups infligés par la vie, il ne s’éteint quasiment jamais. Guidées par cette furieuse envie de vivre et d'exister, le désir nous ferait donc agir mais nous ne sommes pas toutes égales face à la survie et n’avons pas toutes le même désir de vie.
La puissance du désir, entre imaginaires et entraves
Derrière la force du désir – « l'essence même de l'Homme » selon Spinoza – il y a le pouvoir des mots. S’énonçant comme un ensemble poétique du désir des femmes, ce recueil laisse libre cours aux mots, aux murmures, aux injonctions et parfois aux cris qui viennent panser des maux douloureux, que chaque femme a pu ressentir au cours de sa vie. À travers le récit d’une romance par correspondance virtuelle, Amandine Cornette de Saint Cyr illustre parfaitement le rôle de l’écriture dans la culture du désir et de son imaginaire. D’après Elena Castello, de tout temps, le vêtement a joué un rôle fondamental en faisant le lien entre le corps de la femme et la création du désir.
Mais aujourd'hui, que reste-t-il du désir dans notre société ? Force est de l’admettre : il a été déboulonné, effacé, éradiqué. Pire encore, il se manifeste d'une manière quelque peu dictée par la société et par les attentes qu'a celle-ci vis-à-vis de chaque genre. Sans compter le poids écrasant du pouvoir, de la socialisation, de l'éducation et de la religion qui façonne notre perception et peut même déformer le consentement. Désirer, ce n'est pas voyager, c'est s'aventurer. Bien souvent, on ne sait pas vraiment ce qu’on désire sans l’avoir tout bonnement expérimenté. L’important demeure donc de le faire dans un espace sûr, où les limites et les envies sont soigneusement respectées.
Finalement, le plus important n’est-il pas d’apprendre à être désireux plutôt que désirables ? Puisse chacune d’entre nous creuser au fond d’elle-même et faire corps avec ce bien nommé Désir « comme manière d’être en relation respectueuse avec le monde (...). » pour nous propulser vers l'accomplissement des plus grandes actions et trouver la clé d’un apaisement durable.
Adeline Rajch Toutpourlesfemmes