Je finis à l’instant le roman « Un enfant de toi » de Dimitri van Sprang et je suis retournée.
L’histoire se déroule à Paris, dans un milieu urbain de trentenaires convaincus d’avoir droit à tout : une belle carrière, une vie sociale intense, une belle histoire d’amour et des enfants dès que le couple y consent. Le diagnostic de la stérilité́ d’Adrien vient fissurer ce tableau parfait, taquinant sa virilité́ et le rendant coupable de l’impossibilité́ pour sa compagne de devenir mère.
Dimitri y décrit avec justesse l’histoire d’Adrien. D’emblée, on comprend que l’auteur n’écrit pas pour se gargariser de grands mots ni pour y déverser des pensées narcissiques (des défauts trop récurrents chez de nombreux romanciers).
Il utilise des mots justes et au bon moment. Les images défilent et les questions également. Ici, le couple est remis en question quand le désir d’avoir un enfant n’est pas comblé ; quand le désir de construire une famille n’est pas au rendez-vous. Et puis, il y a le désir tout simplement. Comment le ressentir lorsque la beauté de la spontanéité fait place à une programmation médicale millimétrée ? Il est également question de ce que la société exige de nous : si je ne suis pas ce mâle aux spermatozoïdes prêts à en découdre quel homme suis-je ? Adulte, n’a-t-on pas ce désir de pouvoir se fondre dans la masse, d’être comme les autres sans être montré du doigt. Quel est l’avenir d’un couple lorsque celui-ci s’épuise physiquement et psychologiquement ?
Dans ce parcours du combattant pour de devenir des parents « biologiques », les questions du lecteur fusent avec ceux des protagonistes. Aurais-je suivi le même protocole ? Aurais-je eu la force, le courage d’entamer ce programme ? Pourquoi tient-on tellement à être parents et parents biologiques de surcroît ? Ce roman, comme tout bon roman devrait peut-être le faire, renvoie le lecteur à ses propres doutes.
Dès les premières lignes, le constat est pourtant clair : ils n’auront pas d’enfant. Puis par une construction rétrospective on découvre la première rencontre de Louise et Adrien, leurs familles, leurs amis, on les aime immédiatement. On aime le couple et chacun dans sa singularité. On les suit pas à pas, on les voit se découvrir, s’aimer, s’ébattre, se battre en se fixant un objectif qui devient de plus en plus clair : avoir un enfant à tout prix.
On voit Adrien se mouvoir, s’habiller, se parfumer, rire, pleurer, on pourrait presque humer l’homme. On l’aime dès les premières lignes. Au fil des désillusions de sa vie, le bonhomme s’évade, se cherche, se libère et redevient un moment le dandy parisien avec ce petit côté « branleur-séducteur ». Il est beau, triste, amoureux, poétique, désespéré. Il erre dans les tréfonds de ses douleurs en toute conscience ; comme si toucher le fond lui permettrait de rebondir.
« Un enfant de toi » est aussi un roman sur la renaissance. Adrien, au fil de ses errances, trouve des réponses en se plongeant dans l’amour-spirituel. Telle une chrysalide, il se reconstruit, s’éveille et renaît de ses cendres.
Dimitri bouscule le lecteur en réussissant à parler de choses graves avec humour et autodérision. Les descriptions cliniques sont particulièrement délectables ; les rendez-vous chez la spécialiste de la fécondité, les analyses, les prélèvements, les bilans relèvent d’une prouesse d’écriture. Même si on a littéralement le cœur qui se serre à la lecture du programme (« retro-planning ») que doivent suivre Adrien et Louise, on ne peut s’empêcher de sourire et parfois de rire lorsque Dimitri dépeint certaines situations surréalistes.
Merci infiniment, Dimitri de m’avoir emmenée dans ce voyage douloureux, poétique et drôle.
Morceaux choisis :
Leur couple est jeu et ils ont fait tapis…. Adrien est atteint d’asthénospermie et de tératospermie, s’il en croit les termes médicaux qui apparaissent sur les analyses des laboratoires et qu’il traîne depuis trois ans avec lui dans une pochette bleue. Ses spermatozoïdes préfèrent se la couler douce au bord de la plage, version camping.
C’est la confusion, il est encore dans son élan de fuite, une volonté de se changer les idées…. Son cœur ne devrait pas encore être ouvert, il est encore en convalescence et porte en lui les stigmates des derniers mois. Mais voilà, ça bouge, il ressent un lien, un frisson. Une marée qui se retire avant un tsunami.
Il est un funambule au-dessus de son impuissance avec en ligne de mire son désir de sauver son couple.
Toute la fragilité de l’humanité refait surface comme un cadavre oublié qui remonte des profondeurs de la raison.
Quand le projet d’avoir un enfant supplante la passion charnelle, qu’il se mue en un objectif supérieur, il faut avoir le cœur bien accroché
Le rêve peut être une force qui vient découdre le passé pour le visiter différemment.
Natacha Toutpourlesfemmes