Les Karen, seconde minorité ethnique du Myammar (Birmanie) après les Shan, sont essentiellement pêcheurs et cultivateurs. Rencontre avec quelques-uns de ces hommes à la tête ceinte.
Ah, le bonheur de retrouver sa liberté de mouvement ! Pour aller dans l'île du Monstre, il m'avait fallu supporter la compagnie d'un auxiliaire gouvernemental. Condition sine qua non pour y circuler. Et mon chaperon, comme si je souhaitais arracher des secrets militaires à cette jungle apparemment si paisible, ne m'avait pas quittée d'une semelle...
Magie des fleuves.
Après les eaux de l'Irrawady en pays Kachin, puis celles du Kaladan dans l'Arakan, me voilà de nouveau embarquée. Pour moi, presque un rendez-vous amoureux tant ces paisibles moments de lente navigation sur un fleuve m'apparaissent propices à la rêverie, à la réflexion... et aussi au partage de quelques moments avec les habitants (dont un moine à lunettes façon Rayban qui insiste pour me lire les lignes de la main).
Dans cet espace, à la fois borné par les limites du bateau et largement ouvert à la caresse du climat environnant, quittant les Môn pour découvrir à présent les Karen (ou Kayin), seconde minorité ethnique du pays, je remonte pendant plus de cinq heures la rivière Thanlwin dont les eaux, jaillies de l'Himalaya tibétain à 4000 mètres d'altitude ont traversé la Chine, puis une partie de la Birmanie, avant d'aller s'abandonner en mer d'Andaman. On est dans le « doigt » du Myanmar, pointé vers le sud, et la Thaïlande est toute proche.
Des radeaux de teck
Le long de la rivière, plusieurs arrêts dans les petits villages. Et, à chaque fois pour les porteurs et les passagers qui montent ou descendent du bateau, les mêmes lourds ballots calés sur la tête ou les épaules, les pieds en équilibre sur une simple planche jetée au-dessus des rives vaseuses. A chaque fois, aussi, les mêmes enfants attendant l'arrivée du bateau comme la bouffée d'air venue de l'extérieur jusqu'à leur village isolé, les mêmes pagodes et stupas perchés sur le point culminant du village.
Notre bateau croise à plusieurs reprises d'immenses radeaux constitués par des troncs de teck (1) qui descendent le cours de la rivière. Trois ou quatre hommes abrités à tour de rôle sous une toile qui claque au vent y mangent ou y prennent un peu de repos. Au passage, ils agitent joyeusement les mains en guise de salut.
Avant d'arriver à Hpa An, de nombreux pitons karstiques découpent verticalement l'horizon, évoquant irrésistiblement les paysages de la célèbre baie d'Along, au Vietnam. Même mariage de la roche et de l'eau, même paysage venu du fond des âges et tout enveloppé de brume bleutée.
Dès que l'on met un pied à terre, la chaleur est suffocante. On compte sur les ventilos, bien sûr. Mais, il faut vite se rendre à l'évidence : l'électricité, plus encore que dans tout le reste du pays, est réduite à son strict minimum, c'est-à-dire une à deux heures par jour. Des générateurs individuels prennent le relais, mais ne fonctionnent qu'entre 18 heures et 2 heures du matin avec un bruit assourdissant.
Enfants serveurs
Sur les berges du fleuve, l'atmosphère est tranquille. Je choisis d'y déjeuner dans une cahute hissée sur pilotis et coiffée d'un toit de palmes rendant l'agression du soleil supportable. Le patron mâche son bétel vautré dans une chaise longue, tandis que l'on me sert un bol de soupe avec œ,uf, poulet et cacahuète pour... 60 centimes d'euro. Sur l'autre rive, la jungle à perte de vue.
Serait-ce un avant-goût du paradis ?
Pas vraiment, car un pêcheur, pour écoper l'épave qui lui sert d'outil de travail, vient de mettre en branle un moteur vieux d'un siècle et prêt à rendre l'âme. L'engin crache des volutes couleur charbon qui tâchent ce paysage de carte postale. Outre cette pollution sonore et atmosphérique, le serveur qui se démène d'une table à l'autre est un môme (il doit avoir entre 8 et 10 ans), et j'ai du mal à m'habituer à cette réalité économique... Enfin, quand cet homme-enfant débarrasse la table à côté de la mienne, je le vois - comme cela se fait partout - jeter tous les déchets par-dessus la rambarde. Et hop ! Pour la rive du Thanlwin ! Coup d'oeil en-dessous : une vraie décharge. Un entassement de bouteilles et de sachets plastiques de toutes tailles et toutes couleurs. Quant aux denrées comestibles, il y a belle lurette que les rats, tout à leur affaire, les ont dévorées.
Alors le paradis...
Une lutte de plus de 60 ans
Et puis, il y a la guerre civile, celle qui oppose les Karen au pouvoir central birman, l'une des guerres civiles les plus anciennes de la planète (elle dure depuis l'indépendance, en 1948). L'une des plus virulentes aussi, entraînant le déplacement de dizaines de milliers de villageois dont un bon nombre s'est exilé en Thaïlande. Les récentes évolutions politiques intervenues au Myanmar viennent de conduire le gouvernement et le principal groupe représentant de cette ethnie (l'Union nationale karen ou KNU) à signer, enfin, un cessez-le-feu (janvier 2012).
Une paix durable va-t-elle en découler ? Les autres organisations représentant les Karen assurent rester très vigilantes...
Une eau d'un vert si profond
Si dans les villes, les Kayins portent le longyi comme tous les Birmans, voire s'habillent à l'occidentale, avec jean et blousons pour les jeunes, dans leurs villages ils continuent de porter la tenue traditionnelle qu'ils ont eux-même tissée, le front ceint d'un large bandeau.
A l'entrée d'une grotte, un vaste bassin d'eau naturelle invite à la baignade : filles (tout habillées) d'un côté, garçons (en simple short) de l'autre. Un muret construit au centre du bassin interdit la promiscuité.
Pendant ce temps, un peu plus loin, quelques hommes construisent une estrade et la recouvre d'un toit de palmes. Ils m'accueillent avec un grand sourire quand j'approche (après m'être un peu séchée !). Ce soir, ce sera la fête chez les Kayin. Et, tout en buvant du vin de riz, sans doute chanteront-ils, ou raconteront-ils des contes et légendes évoquant l'histoire de leur peuple, ces mythes fondateurs qu'ils se sont transmis, oralement, de génération en génération.
Retrouvez tous les reportages de Julie Montagard en Birmanie (Myanmar) :
- la descente de l'Irrawaddy
- sur les marchés, petits et grands
- dans l'Etat d'Arakan, baigné par les eux du Golfe du Bengale et animé d'un farouche sens de l'indépendance
- dans un monastère bouddhiste où exceptionnellement introduite, elle a pu voir les moines dans leur activités d'apprentissage.
- au Nord du pays, pour y découvrir l'ethnie Kachin
- dans les transports à petite allure
- dans l'Etat de Karen
- dormir chez les Palaung
- chanter avec les femmes tatouées de l'Etat Chin
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