Ricksham, pirogues, camions, bateaux, chars à bœ,uf, bus brinquebalants, motos ou calèches-diligences... tout est bon pour se déplacer dans ce vaste pays, et ce qui compte après tout, c'est moins le confort du moyen de locomotion que la satisfaction de se rendre d'un point à un autre en se mêlant à ceux qui vivent ici.
On a longtemps roulé à gauche en Birmanie. Avec volant à droite. Why not ? Il s'agissait de l'un des héritages de la colonisation britannique.
Mais lorsque, il y a quarante ans, l'homme fort (et superstitieux) du pays, le général-dictateur Win décide d'écouter les conseils de son astrologue - celui-ci affirme que rouler à gauche exerce une mauvaise influence sur les astres - il impose du jour au lendemain à tous les véhicules de rouler à droite. Mais les volants ne passent pas à gauche pour autant...
Conduite paradoxale
Presque une gageure, quand il s'agit de doubler. Mieux vaut avoir un passager assis sur le siège de gauche qui puisse informer le conducteur sur la possibilité de dépasser ou non (et d'autant plus quand hommes, poules et sacs de riz sont entassés ou en équilibre sur le toit ou le long des parois d'un transport collectif tel que les pick up, moyen le plus courant pour se rendre d'une ville à une autre). Ne pas s'étonner si les Birmans conduisent une main sur le volant, une main sur le klaxon qui retentit en continu.
Faire le plein d'essence reste, en dehors des grands centres, un vrai casse-tête. A Mandalay, j'ai vu au petit matin des centaines de motos à l'arrêt, sur plusieurs kilomètres depuis des heures, attendant de pouvoir acheter - très cher - leur ration (huit litres tous les trois jours).
Le choix de la station ne leur est pas permis (monopole de l'Etat, c'est lui qui fixe aux motocyclistes de laquelle ils relèvent). Conséquence directe : le marché noir va bon train, et les Birmans n'hésitent pas à faire la route avec plusieurs bidons de vingt litres d'essence dans le coffre. Surtout les bus, et je n'en reviens pas d'apercevoir, à chaque arrêt, le chauffeur sortir son entonnoir pour déverser le précieux liquide dans le réservoir.
Des lacets si serrés
La route dite de Birmanie, chère à Rudyard Kipling, pique vers la ville chinoise de Kunming(1). Une gorge parfois profonde y constitue un obstacle entre Lashio et Mandalay. Au-dessus de l'à pic, la route dessine des lacets si serrés et rapprochés, qu'il faut avoir le cœ,ur bien en place pour l'emprunter. D'autant que camions et cars comme celui dans lequel je me trouve s'y disputent sans cesse le passage (avec, bien sûr, les fameux « angles morts » dont il était question plus haut !). Quelques heures de ce régime - durant lesquelles tous mes voisins, sans exception, vomissent à qui mieux-mieux dans les petits sacs en plastique distribués d'emblée par l'adjoint du chauffeur - et j'opte, sans hésitation, pour poursuivre en train.
Dans la gare, j'attendrai longtemps car le train annoncé arrive... avec presque trois heures de retard. Courant, paraît-il ! Mais personne ne s'impatiente.
L'expérience du train
Je ne peux acheter un billet en Ordinary class. On m'impose l'Upper class, réservée aux moines, aux officiers de l'armée... et aux étrangers. Certes, il y a de la place pour les jambes (rien à voir avec l'exiguïté d'un TGV). Et les sièges —, au contraire des banquettes en bois du reste du train —, ont un dossier inclinable. Mais le mien, comme la plupart d'ailleurs, a rendu l'âme sans doute depuis des décennies, dans une position très inclinée en arrière. Un supplice pour les lombaires ! Ce wagon pour « VIP version birmane » est aussi sale que le reste du train, et des souris ne cessent d'y jouer à cache-cache avec nos orteils (que je veille, pour cette raison, à garder le plus souvent repliés sous mes cuisses).
Et pourtant... comme à chaque fois, le charme du moment opère : tout autour, les collines verdoyantes alternent avec des parois escarpées. On traverse de minuscules villages lovés dans la jungle et un air frais et léger remplace à présent l'étouffante opacité de la plaine. Des vendeurs ambulants grimpent à chaque arrêt pour proposer fruits, boissons, pattes de poulets grillés, samosa (triangle fourré de légumes épicés), paratha (pâte feuilletée frite) ou bao-sii (pâte à la viande cuite à la vapeur). Puis, sautent du train à l'arrêt suivant, quelques kyats (monnaie du pays) en poche.
Les rails ne sont pas tous au même niveau. Résultat, des bonds nous décollent de nos sièges tout le long du parcours, mouvements qui s'ajoutent à un tangage d'abord inconfortable, puis vaguement berceur. Heureusement que nous roulons comme sur tout le réserau ferroviaire birman, à toute petite allure.
Inquiétude, pourtant, lorsqu'il s'agit de franchir le Viaduc de Gokteik. Avec ses 700 mètres de long et ses 100 mètres au-dessus du vide, il était —, lorsqu'il fut construit par les Anglais en 1901 —, le deuxième plus haut pont du monde. Structure métallique, ravin vertigineux. Le train ralentit au maximum. N'empêche, il craque de toutes ses tôles tout le long de la traversée. Impressionnant ! Le doute m'assaille : « Et si les Birmans entretenaient leurs viaducs comme leurs wagons ?»
Les passagers - moines compris - jettent tout par les fenêtres, dont les bouteilles en plastique vides, butin dérisoire parfois ramassé par les enfants du coin, souvent abandonné, comme en attente d'une future —, et encore très lointaine, en Asie - sensibilisation à la protection de l'environnement.
Des véhicules d'un autre temps
Les moyens de transports modernes n'ont pas atteint la bourgade de Mingun... Quand le bateau, venant de Mandalay situé à une douzaine de kilomètres, y accoste, c'est un « bœ,uf-taxi » qui attend le visiteur. Si, au début du 19e siècle, la mort du roi Bodawpaya n'en avait pas interrompu la construction, s'élèverait ici la plus grande Pagode du monde avec ses 150 mètres de hauteur. Ce mastodonte de pierre, interrompu puis fissuré par un puissant tremblement de terre, se dresse à présent parmi les vaches qui tentent de s'abriter sous le maigre feuillage de quelques arbres. On ne peut imaginer atmosphère plus paisible. Pour s'y rendre, et rejoindre ensuite la cloche en bronze qui était destinée à son stupa (avec ses 90 tonnes, elle est la plus grosse cloche suspendue au monde), on peut bien sûr aller à pied. Si on préfére « héler un taxi », il faut savoir que ce sera au rythme d'un char à bœ,uf.
Calèches peintes
Ailleurs, c'est en calèche qu'on se déplace. Ancienne capitale d'été du gouvernement britannique du fait de son altitude, la ville de Pyin U Lwin a gardé un aspect suranné, renforcé par les calèches qui font office de taxis et de transports de matériel. Rien à voir avec celles que certaines capitales européennes ont remises au goût du jour pour balader (à prix fort) les touristes. Ici, les chevaux et les parois peintes de couleurs vives de ces drôles de véhicules font partie intégrante de la vie quotidienne, et grimper pour quelques kyats, dans cet habitacle aux portes closes donne l'illusion de voyager en diligences...
Tant de fumées
Les taxis-motoculteurs avec moteur 2 temps et benne soudée font fureur dans Hsipaw et les campagnes environnantes. Ils transportent, là encore, et fret et personnes. Découvrant, alignés au centre du bourg, ces engins en attente du client, j'ai du mal à imaginer qu'il s'agisse de taxis.
Et pourtant, tandis qu'un peu plus tard, près de la pagode Mahamyatmuni, j'observe le rituel du lancé de nourriture aux poissons (un devoir pour les bouddhistes), une procession de ces engins passe soudain devant moi, loués par les parents, voisins et amis qui souhaitent accompagner la mort d'un des leurs. Pollution sonore maximum. Emanations noires et nauséabondes, qui viennent s'ajouter aux fumées qui, chaque jour, du fait de l'écobuage, obscurcissent la ville durant plusieurs heures, au point de la rendre irrespirable.
Terre battue et confettis de ciment
L'air est au contraire d'une pureté absolue, dans cette île au large de Mawlamyine baignée par les eaux du Golfe de Mottama et essentiellement habitée, comme toute la région, par l'ethnie Môn. Pas une seule usine dans ce havre de verdure d'où émergent, où que le regard se porte, et comme dans tout le Myanmar, les cônes dorés des stupas pointés vers le ciel. Aucune voiture non plus.
Seuls moyens de se déplacer dans cette île dite 'du monstre': de petites carrioles dont les chevaux ont les oreilles ceintes de guirlandes de Noël, personne ne pourra m'en expliquer la raison, et de vieilles chevrolets américaines datant de la guerre de 1940 pour les transports en commun. Quand le mien s'arrête en plein chemin pour cause de travaux, il me faut constater avec grand étonnement qu'ici on bouche les trous d'une route de terre... avec du ciment.
Retrouvez tous les reportages de Julie Montagard en Birmanie (Myanmar) :
- la descente de l'Irrawaddy
- sur les marchés, petits et grands
- dans l'Etat d'Arakan, baigné par les eux du Golfe du Bengale et animé d'un farouche sens de l'indépendance
- dans un monastère bouddhiste où exceptionnellement introduite, elle a pu voir les moines dans leur activités d'apprentissage.
- au Nord du pays, pour y découvrir l'ethnie Kachin
- dans les transports à petite allure
- dans l'Etat de Karen
- dormir chez les Palaung
- chanter avec les femmes tatouées de l'Etat Chin
(1) La célèbre « Route de Birmanie » relie le Yunnan chinois au Nord-est de la Birmanie et fut construite à l'aube de la Seconde Guerre mondiale (1937-1938) pour approvisionner la Chine en guerre contre le Japon.
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