Descendre en bateau le fleuve Irrawady qui s'écoule du nord au sud de la Birmanie sur plus de deux mille kilomètres, c'est partager au plus près la vie des Birmans qui rejoignent Mandalay depuis Myitkyina, Bhamo ou Khata, tout en découvrant des paysages sans fin, ponctués de quelques huttes ou de petits villages qui s'égrènent au fil des rives.
Irrawady ! Un mariage permanent entre sable et eau, laquelle atteint, en plusieurs endroits, une telle largeur qu'il semble que l'on navigue sur un lac dont on renonce à chercher les limites. Parfois les bancs de sable occupent presque toute la largeur du lit et les hommes doivent, tous les cinquante centimètres, enfoncer de longues perches ment graduées afin de jauger la profondeur de l'eau et éviter l'échouement.
Fleuves mythiques.
Descendre ce long serpent d'eau, j'en rêvais ! Mékong, Nil, Gange, Fleuve jaune... Depuis la nuit des temps, tous ces colosses charrient les hommes et tout ce qui leur sert à vivre. L'Irrawaddy dansait depuis longtemps dans ma tête parmi ces fleuves mythiques et m'embarquer à bord de l'un des ferry qui, trois fois par semaine, en descend le cours sur deux jours à trois jours, me comble.
Le pont inférieur sur lequel s'entassent tous les passagers ne comporte aucun siège et le pont est en métal. Autant dire que le confort n'est pas vraiment au rendez-vous. Mais qu'importe ! Les sensations éprouvées sur les eaux boueuses et paresseuses de ce majestueux Ayeryarwady (son nom local), de jour comme de nuit, valent bien quelques douleurs de dos et d'articulations.
Douce nonchalance.
Quelques nomades se sont installés sur les îles que l'eau a laissé émerger quand le niveau a baissé. Ils y cultivent des plantes fourragères et dorment sous une bâche. Ils regagneront la terre ferme dès que les eaux se referont envahissantes. Tout au long des rives, de minuscules villages s'égrènent. A chaque étape, leurs habitants attendent le ferry dans des canots croulant sous les aliments qu'ils proposent à la vente (beignets, fruits...).
Parfois, les bourgades sont plus importantes, mais la vie, restée largement rurale, semble s'y dérouler toujours au ralenti, à l'image des eaux paresseuses qui nous portent. Même Khata, jadis ville importante du temps de l'empire britannique, n'échappe pas à cette ambiance de douce nonchalance. On tente d'imaginer les personnages d'Une histoire birmane, le célèbre roman que George Orwell, en poste en tant qu'officier de police du gouvernement colonial, situa dans cette ville et sa région, qu'il nomme, dès la première ligne, “Haute-Birmanie”.
Merveilleuse hospitalité birmane
Une jeune maman porte son enfant sur le dos. Alors que je cherche à savoir si je trouverai, à Mandalay, ce type de “sac à bébé” ravissant pour ma petite fille qui doit naître bientôt, la femme désinstalle aussitôt son enfant et me tend le “kangourou”. Cadeau, dit-elle ! J'ai beau insister pour régler cet objet, elle refuse énergiquement, enroulant déjà son bébé dans une écharpe de substitution. La gentillesse des Birmans, si souvent constatée, n'est décidément pas une légende et leur générosité m'émerveille toujours.
Entendre le temps passer
Les heures s'écoulent lentement, laissant toute sa place à la rêverie, tout juste interrompue, de loin en loin, par le cri des gibbons lancé depuis l'épaisse jungle des rives ou le saut hors de l'eau d'un dauphin au museau court et arrondi (tristement en voie de disparition).
Quelle merveille : on a le temps de “s'ennuyer”, c'est à dire de voir et d'entendre le temps passer. Les heures ne s'échappent plus. Elles ne sont plus des fugitives à capturer à tout prix pour tenter d'en apaiser l'enchaînement. Elles sont désormais en harmonie avec la nature, avec le bateau, avec la lumière qui évolue tout le long de la journée.
Les nuits sont un peu fraîches. Aux autochtones, elles semblent glaciales et ils s'emmitouflent sous quatre épaisseur de vêtements et s'enroulent des écharpes de laine autour de la tête. Au lever du jour, tenter une approche du “bathroom” ne s'avèrera pas très concluant, puisqu'il s'agit juste d'un gros bidon métallique gagné de toutes parts par la rouille, rempli de l'eau du fleuve, sur lequel flotte un petit recipient pour s'asperger...
Des oiseaux à fleur d'eau
A la tombée du jour, tandis que le soleil enflamme tout l'horizon, la lune montante est déjà présente. Cette lune qui a tant d'importance dans la vie des Birmans, leurs croyances et leurs traditions. Des groupes d'oiseaux soigneusement en ordre remontent à tire d'aile le cours du fleuve, les uns hauts perchés dans le ciel, les autres à fleur d'eau, pointillés sombres et mouvants sur la surface embrasée.
Bientôt tout sera plongé dans une noirceur opaque. Pas une seule lumière sur les rives. On ne verra plus rien. Mais on s'endormira en le sentant là, cet Irrawaddy, dessous et tout autour, comme un gros animal mystérieux et calme.
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- sur les marchés, petits et grands
- dans l'Etat d'Arakan, baigné par les eux du Golfe du Bengale et animé d'un farouche sens de l'indépendance
- dans un monastère bouddhiste où exceptionnellement introduite, elle a pu voir les moines dans leur activités d'apprentissage.
- au Nord du pays, pour y découvrir l'ethnie Kachin
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