Fatema Hal, femme chef du Mansouria

Une cuisine ouverte et généreuse

Interview de Fatema Hal, à la tête depuis vingt-cinq ans du restaurant le Mansouria, véritable ambassade de la cuisine marocaine à Paris. Femme de culture, de transmission et féministe dans l'âme, elle nous livre sa vision de la cuisine comme lien fort entre les humains.




Que signifie être une femme chef ?

Ça ne signifie rien, et je n'aime pas le mot chef ! Je préfère celui de « cuisineur », que je trouve plus noble. En France, le mot « chef » signifie quelque chose car il est employé depuis plus d'un siècle, mais je n'aime pas la notion d'ordre et de dirigisme qu'il évoque. «Cuisineur » me semble un mot plus noble, plus généreux. Cela dit, au-delà des mots, être une femme en cuisine nécessite d'avoir de l'autorité, car il est difficile de se faire une place. Mais on peut prendre sa place, sans pour autant diriger. Etre une femme « cuisineur », cela veut aussi dire prendre le risque de cuisiner comme on le sent, et non pas comme on doit le faire. C'est peut-être une différence avec les hommes, même si certains hommes sont plus intuitifs.

Etre une femme chef peut se résumer en trois mots : création, imagination, intuition.
Je pense aussi qu'une femme aura moins peur de se tromper, de rater un plat, qu'un homme qui a besoin de réussir. En fait, le rôle de la femme « chef » n'est pas très différent de celui qu'elle a dans la vie. C'est un rôle à l'image de l'éducation que l'on nous a transmis, où les femmes ont le droit à l'erreur et pas les hommes.

En cuisine, il ne faut pas avoir peur de rater un plat, cela permet aussi d'avancer. C'est parce qu'il y a eu des plats ratés qu'il y a eu de nouvelles recettes, comme celle de la tarte Tatin. On peut associer à la cuisine de femmes les mots de liberté, de sentiment, de générosité.
Après, bien sûr, il y a des exceptions avec les hommes. Je fais une grande différence entre les artistes et les artisans. Parfois, il vaut mieux être un bon artisan qu'un mauvais artiste.
En France, il y a beaucoup de grands talents en cuisine, hommes et femmes confondus. Il y est plus facile de trouver sa place comme femme chef que dans un autre pays, car il y a une vraie diversité dans la cuisine, et chacun peut y trouver sa place. Mais paradoxalement, il est à la fois plus facile et plus difficile d'être une femme chef à Paris. Plus facile, car il y a peu de femmes chefs connus, donc on peut plus vite y trouver sa place. Et plus difficile, car on est vite cataloguée. Les femmes sont plus dans la vie, moins dans la carrière, c'est sûrement pour cela que l'on compte moins de femmes dans ce métier....

En fait, il y a beaucoup de grands cuisiniers que l'on ne remarque pas en France, car ils ne font pas partie de l'image que l'on se forge de la cuisine. Les critiques gastronomiques et les journalistes ont un énorme travail pour faire connaître toutes les variétés de cuisines qui existent. Il y a beaucoup de choix dans les cuisines, mais certaines, comme la « cuisine des autres », ne sont pas mises en valeur. Je pense à la cuisine africaine, vietnamienne....Et dans ces cuisines, il y a beaucoup de grandes cuisinières que l'on ne remarque pas.

Pensez-vous que les femmes chefs fassent une cuisine différente de celle des hommes ?

Oui, je le pense. Déjà, d'un individu à l'autre, la cuisine est différente. Alors d'une femme à un homme encore plus ! Dès le départ, les femmes sont en cuisine, elles sont nées pour nourrir l'autre. Alors forcément, les femmes font une cuisine différente, plus généreuse que celle des hommes.

Comment définissez-vous votre cuisine ?

C'est une cuisine qui raconte beaucoup, qui s'exhibe moins qu'elle ne parle. Elle se raconte, prend des risques. C'est mon attitude en cuisine.

Quelles sont vos inspirations ?

Etre inspirée, c'est plus une démarche que l'on a lorsque l'on est dans une attitude de création, pas dans celle de l'artisan, de la répétition.
Moi, je suis dans les deux démarches, je suis à la fois dans la transmission, mais aussi dans l'écoute, plus que dans l'inspiration pour créer quelque chose de nouveau. Je n'ai pas ce talent ! Mais j'aime ce talent chez certains qui le font très bien. Pour moi la transmission passe par la cuisine : je me sens plus un rôle de conteur et cela me plaît beaucoup !
Mes envies viennent souvent du marché. Par modestie, j'emploie plus le mot envie qu'inspiration... Mais elle viennent aussi de l'envie de cuisiner pour certaines personnes, ou de l'envie ou non de transformer des produits.

Est-ce que la mode et les tendances culinaires jouent sur la création de vos plats ?

La mode et la tendance peuvent jouer pour ceux qui pensent être des créateurs. Mais pour moi qui suis dans la transmission, cela compte moins. Mais en même temps, si je vous fais un plat qui remonte au XII ème siècle, pour vous ce sera nouveau. Actuellement la tendance est de transformer les plats avec de l'azote. Je ne suis pas dans cette mouvance, car je ne sais pas : je fais encore mon pain à la main ! En fait, je ne suis ni tendance, ni mode, car je ne suis pas dans cette ligne, cela ne m'inspire pas et ne me donne pas envie. Ce qui ne veut pas dire que je n'apprécie pas cela chez les autres ! J'aime beaucoup les créations Ferran Adrià pour El Bulli, ainsi que la justesse et la précision de Robuchon.

Mais moi, je ne suis pas dans la création. Ce qui m'inspire, c'est la cuisine que j'ai découverte au Brésil, à Bangkok, en Malaisie, sur les marchés, où des produits et des plats préparés m'ont bouleversée ! J'adore la « cuisine de rue », et d'ailleurs ma cuisine s'inspire de la cuisine de rue du Maroc et de l'Asie. Parfois, j'aimerais bien changer un peu ma carte, mais j'ai du mal, car les gens viennent pour elle. Cela fait maintenant vingt-cinq ans que je la suis, et parfois, je m'en sens un peu prisonnière, mais avec amour et plaisir !
C'est un grand bonheur et c'est bouleversant de voir des gens du monde entier venir chez moi pour ma carte. Certains soirs , il y a jusqu'à six nationalités différentes dans mon restaurant !

Comment les vins de Pomerol ont-ils influencés vos recettes ?

Ce vin existe depuis plusieurs siècles, il a une histoire et je me suis donc tout de suite sentie en famille. Si cela avait été un nouveau produit, cela ne m'aurait rien évoqué. Mais là, il fallait composer une musique avec le parfum du produit.
Cela a été un moment très fort entre le vin et moi, de savoir qui aura l'autre ! Car ce vin est très puissant. C'était presque comme un torero face à l'animal, savoir qui aura le dernier mot !
Quand vous goûtez les vins de Pomerol, c'est comme écouter un morceau de musique qui vous devient familier. Il fallait que je fasse quelque chose avec ce vin.

Au début, cela a été difficile, car il était trop puissant. On se sent écrasé, il ne faut pas le brusquer. Puis petit à petit, tout devient évident. Il faut un accord d'épices. Cet accord devient encore plus évident avec ces vins qu'avec d'autres. Et j'ai trouvé que le Piment de Jamaïque (qui n'en a que le nom, puisqu'il s'agit d'un mélange de muscade, cannelle, macisse, cumin), qui est une épice très étrange, au parfum très équilibré, convenait parfaitement à ces vins pour obtenir l'accord parfait.
Car dans les Pomerol, on retrouve ces goûts d'épices. Savourer un Pomerol, avec des aliments aux goûts miel et épice, est un grand moment !
Finalement, on a l'impression que les vins de Pomerol sont ceux qui se rapprochent le plus de cette cuisine.


Avez-vous, depuis vos débuts, un plat fétiche sur votre carte ?


Pas depuis mes débuts, mais depuis quinze ans, j'en ai deux. La Mourouzia, une recette du XII ème siècle, à base d'agneau mijoté pendant des heures avec vingt -sept épices, miel et raisins. Et le Madfoun le voilé, qui est un couscous où tout est caché à l'intérieur, alors qu'habituellement on met sur le couscous cuit le reste. Là, tout est enfoui à l'intérieur du couscous.

Cuisine de tradition ou cuisine moderne, pour vous, est-ce un vrai débat ?

C'est un « vrai-faux débat » ! D'abord parce que toute cuisine, avant de devenir traditionnelle, a d'abord été une cuisine moderne. Ce qui est nouveau en 2010 sera traditionnel en 2060.C'est la rencontre des produits, de techniques et de gens, qui font que la cuisine devient tendance et moderne. Si, dans cinquante ans, la tendance actuelle de la cuisine en « mousse » n'a pas disparu, elle deviendra classique. Au départ, la cuisine aux épices était une tendance, maintenant c'est normal !
Si on réfléchit à l'histoire des produits, chaque période a ses nouvelles techniques, qui deviendront plus tard des classiques.

Comment évolue votre cuisine en 2010 ?

Ma cuisine continuera à vivre tranquillement, comme cela a toujours été, tout en étant ouverte à d'autres envies. Peut-être aurais-je envie de tout bouleverser, je ne sais pas, on verra... Pour le moment, j'ai envie de continuer à raconter la cuisine.


Qui est Fatema Hal ?


Fatema Hal est une cuisinière atypique. Elle étudie d'abord la littérature arabe à Paris VIII et l'éthnologie du Magreb à l'Ecole Pratique des hautes études, puis passe par la politique et elle devient conseiller technique des droits des femmes, aux côtés d'Yvette Roudy.
En 1984, elle s'intéresse à la cuisine et ouvre son restaurant, le Mansouria. Tout en ayant son restaurant, Fatema reste une femme aux milliers de passions. Ecrivain, avec des dizaines de livres consacrées à la cuisine marocaine, chroniqueuse d'émissions de Tv au Maroc, conférencière sur l'histoire de la cuisine marocaine et du monde arabe, Fatema se dit féministe et a toujours envie de faire des choses différentes.

Après avoir organisé en 2006 le festival des Arts culinaires à Fez, elle prépare pour mars 2010, une grande exposition, en partenariat avec le Sofitel de Paris et de Rabat, sur « Maroc/France, Une histoire gourmande et élégante de 1912 à maintenant ». Pour conclure, elle déclare « j'adore faire plein de chose, j'aime recevoir, manger, être libre..... »

Lire aussi les articles sur :
-Femmes et vin du Pomerol-
-Trois femmes chefs autour de neufs vins du Pomerol
- Les recettes d'Alice Bardet pour Pomerol Séduction
- Les recettes de Fatema Hal pour Pomerol Séduction
- Les recettes de Mélanie Malicorne pour Pomerol Séduction






Le Mansouria
-11, rue Faidherbe, Paris XIème
-Téléphone : 01 43 71 00 16

[Le Mansouria



Par Arielle Granat

Portrait de admin

Ajouter un commentaire