Trop belle, pas assez naturelle, trop ambitieuse, pas assez entreprenante… Plus que jamais, les injonctions pesant sur les femmes sont nombreuses. À tel point qu'elles ont de plus en plus souvent l’impression d’être prises dans un étau. Comment faire face à ces paradoxes et les déjouer ? Peut-on (vraiment) garder le cap dans ce tourbillon rhétorique incessant ?
Comprendre les injonctions pour mieux s’en libérer
Vous dicter ce que vous devez faire de vous-même et de votre vie ne suffit plus, on ne cesse aussi de vous répéter que vous vous y prenez n'importe comment. Toujours célibataire ?
C’est peut-être parce que vous n’êtes pas assez entreprenante… ou justement un peu trop.
Vous avez subi du harcèlement de rue ?
Vous êtes certainement trop avenante… ou bien pas assez.
Vos collègues vous marchent sur les pieds ? Vous êtes sûrement trop douce… ou simplement pas assez ambitieuse.
Dans une bande dessinée mêlant humour et pédagogie, Lou Sarabadzic et Marko Mille se sont investies d’une mission, et pas des moindres : vous aider à mieux comprendre le patriarcat et ses injonctions pour mieux vous en affranchir.
Toujours trop ou pas assez : en finir avec la rhétorique foireuse du patriarcat de
Lou Sarabadzic (Auteur), Marko Mille (Illustrations), éditions Mango, 192 p., 17,95 €
Est considérée comme injonction toute « consigne ou [tout] ordre, plus ou moins subtil et plus ou moins explicite, de se conformer à un comportement donné », qui « a pour conséquence directe d’empêcher les gens d’être libres » et « limite l’identité sévèrement ».
Relations, travail, émotions, loisirs… Les deux autrices nous expliquent comment éviter d’imploser face aux nombreuses injonctions contradictoires, dites aussi paradoxales, qui envahissent bien des aspects de nos vies. Autrement dit, tous ces commandements auxquels on ne peut obéir sans désobéir. « Soyez spontanée ! » : si on s’efforce d'y obéir, on ne peut plus l'être et, si on s'y oppose, non plus. Résultat : dans tous les cas, vous êtes perdante et vous vous sentez coupable, confuse, voire impuissante, sans jamais vraiment comprendre pourquoi. C’est ce que l’on appelle la « double contrainte » (ou double nœud), qui fut théorisée par l'anthropologue Gregory Bateson.
Les multiples facettes de la rhétorique patriarcale
Apparente bienveillance, conseils non sollicités, injonctions multiples, autoritarisme assumé, discrimination directe, oppression décomplexée… La rhétorique du patriarcat n’est pas toujours un discours limpide, explicite, monolithique et immédiatement identifiable. Auquel cas, il serait alors facile de l’évincer d’une simple pichenette. Comme toute rhétorique, celle du patriarcat emploie de nombreux outils et canaux. Elle peut donc être interne (assimilée) ou externe (prononcée à votre encontre).
La rhétorique foireuse du patriarcat, c’est l’ensemble des éléments de discours qui contribuent chaque jour à vous maintenir dans un inconfort constant, un doute de soi permanent, pour vous rappeler votre place. Une place secondaire, évidemment, depuis laquelle il convient de s’excuser, de dire merci et de ne pas trop la ramener. De se sentir perpétuellement en faute, histoire de ne pas trop prendre de libertés.
Fragmentée et pernicieuse, cette rhétorique s’infiltre dans nos propres codes, structures de pensées et biais cognitifs, quand bien même nous nous efforçons de lutter contre. Elle s’insinue dans les paroles les plus anodines, les propos les plus banals, les quotidiens les plus discrets.
Déjouer ces doubles standards qui gangrènent le monde
Dans la peau d’Élodie, on découvre, saynète après saynète, comment se construisent ces discours et mythes qui nous enferment dans des cases toujours plus étriquées. Lou Sarabadzic et Marko Mille passent à la loupe quatorze jugements de valeur lancés aux femmes, interrogeant ainsi leur image et leur place au sein de la société. Elles nous font prendre du recul sur des situations et fragments de vie souvent vécus par la plupart d’entre nous, et mettent en lumière les mécanismes alambiqués d’un système qu’il est grand temps de déboulonner.
Notre quotidien est-il condamné à un tas d’injonctions paradoxales qui le parasitent ?
De la publicité aux réunions de famille, des magazines au bureau, même combat : deux poids, deux mesures ! Il ne s’agit pas d’être plus mince, mais d’en finir avec le culte de la minceur. Pas d’être plus belle, mais de déconstruire le mythe de la beauté. Pas d’être plus accomplie, mais de comprendre que cet « accomplissement » est souvent juste un masque jovial que l’on arbore pour aller travailler.
Ne pas aller trop loin, ni dans un sens, ni dans un autre. Trouver le juste milieu. Ou bien s'en moquer comme de l'an quarante, tout simplement. Car, de toute façon, il y aura toujours quelqu’un pour trouver que c’est trop… ou pas assez.
Adeline Rajch Toutpourlesfemmes