Grâce soit rendue à celles qui avant nous ont fait bouger les lignes en montrant de l’audace et du courage face aux conventions établies. Rendez-vous dans le Paris des années 1920 avec des femmes d’exception tel Suzanne Valadon, Tamara de Lempicka, Marie Laurencin ou des figures oubliées comme Mela Muter, Anton Prinner, Gerda Wegener sans oublier celles venant d’autres continents, Tarsila Do Amaral au Brésil, Amrita Sher Gil en Inde, ou Pan Yuliang en Chine qui exporteront dans leurs pays la modernité apprise à Paris.
Se lancer et frayer son chemin dans la vie nous le faisons toutes !
La leçon des femmes-artistes
La hausse du niveau d’éducation s’ajoutant à l’expérience de la Grande Guerre favorise l’entrée des femmes dans le monde du travail et du militantisme et les confortent chacune dans leurs entreprises au tournant du XIX et XXème siècles.
Derrière le modèle se cache la créatrice
Qu’elles soient autodidactes ou s’inscrivent dans de grandes écoles d’art jusqu’alors réservées aux hommes, leur ferme intention est celle d’apprendre un métier qui les mène à leur autonomie et à la célébrité.
Oser vivre sa vie et prendre la parole !
Toutes ambitionnent d’exprimer leurs voix et veulent participer au monde qui change en attaquant de fait le modèle patriarcal. Camille Morineau la commissaire de l’exposition et directrice d’AWARE : Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, un site que je recommande vivement en complément de votre visite, a choisi cet angle d’attaque.
Croire en soi. Être confiante. Être curieuse. Choisir de bons alliés. Copier-Créer… La reconnaissance de leurs œuvres (Peintures, sculptures, photographies, films, œuvres littéraires et textiles…) ne s’est pas faite en un jour, ni même de leur vivant pour certaines mais celles que l’on découvre maintenant ont cru dans leur postérité et ont œuvré en conséquence.
Les femmes-artistes vont tisser des ponts avec le monde du spectacle et de la mode à travers leurs savoirs-faires ancestraux. Pensons à Elsa Schiaparelli mais plus radicalement encore à Coco Chanel qui ose revisiter en plasticienne la teinte noire. Elle invente « La Petite Robe Noire » vers 1927. Le noir est alors dévolu au deuil et souvent attribué à la domesticité. Avec Coco il devient une couleur. Le noir sort de ses attributions. Il peut être porté par une nouvelle femme active, fière et libre dans son corps. Elle saura transfigurer sur un corps de femme nue, le noir.
La petite robe noire, Photographie jardin du lux. CB.28 ii 2022
Femmes-artistes : l’expression d’une intériorité
Paris dans les années 1920 est la ville des Académies privées où les femmes viennent se former ; la ville des librairies d’avant-garde, des cafés où les artistes croisent les poètes et romanciers dont les livres sont traduits et diffusés dans des librairies uniques au monde, où le cinéma expérimental s’invente....
Les femmes peuvent y vivre comme un homme soit, posséder un atelier, une galerie ou une maison d’édition, diriger des ateliers dans des écoles d’art.
Vivre en apparence et dans le fonds autrement pour pouvoir communiquer leur intériorité, c’est la grande révolution.
Suzanne Valadon, Jeune femme aux bas blancs 1924
huile sur toile 73 x 60 cm
Nancy, musée des Beaux-Arts
© Musée des Beaux-Arts, Nancy / photo g. Mangin
Suzanne Valadon est une artiste parisienne autodidacte. Elle fût modèle du peintre Puvis de Chavannes et de Renoir. Elle connaît le succès de son vivant. A la fin de sa vie, elle se peint nue en immortalisant son corps vieillissant comme Rembrandt a guetté à travers ses nombreux autoportraits l’avancée du temps. Valadon, en créatrice et modèle à la fin de son existence, entreprends elle aussi son auto-analyse minutieuse.
Au cœur des avant-gardes les femmes partagent des sujets qui appartiennent à l’histoire de l’art et communs avec les hommes en introduisant ce point de vue féminin jusqu’alors manquant. Maria Blanchard en témoigne.
Maria Blanchard, Maternité 1922
Huile sur toile 117 x 73 cm
Suisse, Genève, Association des Amis du Petit Palais
© Association des Amis du Petit Palais, Genève / Studio Monique Bernaz, Genève
Concurrencer, démystifier, ce regard qui peuple l’histoire de l’art, celui de l’homme à jamais enfant, orant ou désirant et confronté au mythique thème de la mère à l’enfant. Maria Blanchard dépeint un corps de mère vécu dans sa chaire, crée une échappée face aux diktats du regard du monde. Léonce Rosenberg premier défenseur du cubisme qui exposait Braque et Picasso, expose aussi Maria Blanchard.
Soyez androgynes, amazones, artistes ou femme de l'art, mère : Agissez !
Pour renoncer à la morale bourgeoise, il leur fallait dépasser tant les principes de l’éducation qu’outrepasser ce qui pouvait n’être considéré que comme un caprice. Il s’agissait d’abattre des frontières mentales.
Gisèle Freund, Sylvia Beach dans sa librairie Shakespeare and Company, Paris 1936
Épreuve gélatino-argentique 30 x 40 cm
France, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle
© RMN gestion droit d’auteur/Fonds MCC/IMEC - photo Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Gisèle Freund, reproduction de Adam Rzepka
Sylvia Beach, l’américaine, vit dans son royaume livresque. Elle ouvre à Paris sa librairie Shakespeare and Company en 1919 et publie la première édition d’Ulysse de James Joyce en 1922. Elle vit ouvertement avec une femme. Gertrude Stein et Alice Toklas la reçoivent dans leur salon, rue de Fleurus, où elles défendent Picasso et Matisse. Elles bâtissent l’avant-garde.
Il leur fallait conquérir le droit de représenter des corps nus, masculins ou féminins.
Tamara de Lempicka, Suzy Solidor 1935
huile sur toile
Cagnes-sur-Mer, Château-Musée Grimaldi
© Tamara de Lempicka Estate, LLC / Adagp, Paris, 2022 / photo François Fernandez
Une salle entière de l’exposition est dédiée à Tamara de Lempicka peintre polonaise collectionnée par les stars d’Hollywood. Cette reine du glamour vit ouvertement l’amour avec des femmes et des hommes. Elle peint l’érotisme et prend comme amante et modèle Suzy Solidor, une icône lesbienne célèbre pour ses chansons saphiques qui tient un cabaret à la fin des années 1920.
Rappelons au passage que Marguerite Yourcenar publiait « Alexis ou le Traité d’un vain combat » en 1929, une lettre où un homme confie à son épouse son homosexualité et sa décision de la quitter.
Avoir la possibilité pour les femmes de s’habiller comme elles l’entendent, de vivre leur sexualité quelle qu’elle soit, de choisir leur époux ou de ne pas se marier et de revendiquer le droit d’expérimenter les concepts d’identité et de genre, les femmes artistes dans cette exposition en témoignent comme Camille Morineau l’explique.
Claude Cahun, Autoportrait 1929
Tirage sur papier au gélatino-bromure d’argent brillant France, Nantes, musée d’Arts de Nantes
© Droits réservés / photo RMN-Grand Palais / Gérard Blot
Masculin ? Féminin ? Mais ça dépend des cas.
Neutre est le seul genre qui me convienne toujours
Claude Cahun, 1930
Les années folles questionnent sous le manteau ce que l’on nomme aujourd’hui les « rôles de genre » . On expérimente le « troisième genre » dit « queer ». Il offre la possibilité de réaliser une transition ou d’être entre deux genres.
Paris plaque tournante des cultures
La forte croissance économique des années folles transforme Montparnasse en capitale des arts et lieu de rendez-vous. Le Paris des années folles est ce creuset où se vit une liberté qui exalte la fête, l’art, les spectacles et la mode, où vit l’amour, les différentes formes d’amour… et invite les mélanges de cultures dans la tolérance et l’ouverture d’esprit.
A ce titre, Do Amaral qui vient du Brésil à Paris est une élève de Fernand Léger et amie du poète Blaise Cendras. Entre Paris et le Brésil, elle va développer un style très personnel à cheval entre deux pays, deux cultures, l’art populaire et les Beaux-Arts.
Tarsila Do Amaral, La famille 1925
Huile sur toile 79 x 101,5 cm
Espagne, Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia
© Tarsila do Amaral Licenciamentos / photo Photographic Archives Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid
Et le tableau ne serait guère complet si cette femme entre les cultures, elle aussi, une « Garçonne » et « Nouvelle Eve » qui découvre les joies de ne rien faire au soleil (l’héliothérapie), s’inscrit aux Jeux Olympiques ou promeut son célèbre nom grâce à des produits dérivés pratiquant aussi bien le music-hall la nuit, que le golf la journée et qui n’est autre que Joséphine Baker « Nouvelle Entrepreneuse » moderne, célébrée au Panthéon en 2021 à Paris comme une magistrale icône africaine américaine, n’était pas citée dans l’exposition.
Partez à la découverte de ces créatrices, innovatrices, protagonistes et fondatrices !
Je suis comme je suis
Jacques Prévert
Angel Toutpourlesfemmes