L’art du décor monumental avec ses titres mythologiques et historiques est porteur d’un goût hardi et animé d’éloquence. Il s’illustre tant dans le cadre de la vie publique que privée. Et si, aux grands décors il revient d’instruire, il est aussi et surtout d’introduire une esthétique dans des lieux. Le goût pour le décor signe un besoin de beauté dans les intérieurs.
Le décor impressionniste : pour décorer la maison
# 13 Gustave Caillebotte (1848-1894) Périssoires. Panneau décoratif, dit aussi Périssoires sur l’Yerres,1878
Huile sur toile, 155,5 × 108,5 cm S. D. b. dr. : G. Caillebotte / 78 Rennes, musée des Beaux-Arts, don Georges Wildenstein en 1951, inv. 1952.3.1
Exposé à la IV e exposition impressionniste en 1879, n° 25 Photo © Louis Deschamps - Musée des beaux-arts de Rennes
Le sujet favori de l’artiste impressionniste c’est la vie contemporaine, la représentation des siens. C’est l’invention d’un nouvel art de vivre à la française. C’est mémoriser comme la photographie peut le faire des moments fugitifs en grand et en couleurs. Des moments de soi et des siens, des lieux aimés, animés et vivants où l’on se retrouvera que ce soit au Moulin de la galette ou à l’Opéra Garnier. Nous sommes à Yerres en 1878 dans la propriété des Caillebotte. Le peintre fixe ses journées passées sur cette embarcation plate, longue de 4 mètres et monoplace qui se manœuvre à la pagaie double. C’est sa passion, la périssoire, qu’il dépeint en été. Il pratique cette navigation et a même breveté une variante de ce bateau qui le rendra plus rapide sur l’eau. Cette peinture fait partie d’un triptyque qui doit décorer la maison familiale des Caillebotte.
Auguste Renoir est de ceux qui prônent un retour à la nature, aux objets faits à la main, qui sont désormais à ses yeux malheureusement tous en voie de devenir des produits manufacturés, standardisés. Il reste moderne en adoptant « ciment marbre » qu’il fait le pari d’importer et de diffuser en France, pour réaliser en 1877 le cadre d’un miroir et le peindre à l’huile pour Madame Charpentier, une famille de collectionneurs et marchands d’art d’avant-garde.
Les arts de la table
Marie Bracquemond met son talent de femme peintre au service des arts de la table.
#22 MARIE Bracquemond (1840 – 1916) (auteur du décor) Haviland & Cie (éditeur), Barluet et Cie (Montereau) (fabricant)
Assiette du Service à fleurs et rubans : La Lecture 1879
Faïence fine, décor imprimé à partir d’eaux-fortes et peint sous couverte, 27 (diam) × 2,2 cm (pr.) 27 cm de diamètre
Collection particulière Photo © Hiroki Tagma
Connaissiez-vous Marie Bracquemond ? Elle est la grande oubliée des femmes artistes impressionnistes active aux côtés de Berthe Morisot et Mary Cassatt. Ce n’est pas anodin si elle représente une femme lisant, un thème peint par Degas et repris par Mary Cassatt. La femme est une intellectuelle, libre de penser donc d’exprimer sa voix car elle s’informe au même titre que les hommes. Elle se cultive, va au théâtre, il est dit dans le fond de l’assiette.
# 10 Mary Cassatt (1844 – 1926) André Metthey (1871 – 1920)
La Ronde des enfants
Vase vers 1903, Faience, 54 x 35 cm Monogramme peint en bleu : CA
Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, don Ambroise Vollard en 1937, PPO1835
CC0 Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Mary Cassatt l’artiste impressionniste américaine développe en marge de la peinture, l’art de la gravure, mais teste aussi le décor de vase en céramique où elle importe sa manière et le thème qui la rendra célèbre. L’enfant dans l’herbe verte se joint à une ronde. Les lignes courbes du vase font écho à celles des bras des enfants tendus.
Plus tard Matisse réinterprète le thème de la danse magistralement, lui aussi, avec la complicité du même céramiste André Metthey.
Pissarro s’essaye quant à lui à la peinture sur des carreaux en céramique quand il ne se laisse pas entraîner par l’objet féminin qui rime avec la rêverie, l’élégance, la séduction pour l’investir à son tour.
# 17 Camille Pissarro (1830 – 1903)
Travailleurs dans les champs, dit aussi Travailleurs dans les champs (Soleil couchant), éventail, vers 1883
Gouache sur soie, 14,5 × 53,5 cm
S. b. dr. vers le milieu: C. Pissarro Collection Particulière
Photo © musée d'Orsay / Patrice Schmidt
Le plein air et le décor impressionniste
Partir de bon matin dans le jardin ou dans la ville à la Gare Saint-Lazare, par exemple. Poser son chevalet et sortir ses tubes de peinture. Peindre sur le motif avec des couleurs claires la vie moderne. Peindre la lumière qui transforme les couleurs et le contour des choses. Les peintres impressionnistes sortent de l’atelier travaillent religieusement en extérieur. Ils peignent des fenêtres à accrocher sur les murs des intérieurs.
#8 Claude Monet (1840-1926) Massif de chrysanthèmes, 1897
Huile sur toile, 81,7 x 100,5 cm,
S. D. b. g. : Claude Monet 97
Bâle, Kunstmuseum Basel, dêpot de la Dr. h.c. Emile Dreyfus- Stiftung, en 1970, G.1970.11 Photo : © akg-images
Extraire un détail dans la peinture, cela s’appelle faire un cadrage. Un bouquet de chrysanthèmes dans un vase est une chose. Le convertir en un motif grâce à l’adoption d’un cadrage serré photographique en est une autre. A cette époque, rappelons que la photographie est encore en noir et blanc et de petit format. Les impressionnistes peignent en grand, très grand et en couleur la vie : ils répondent de manière éblouissante à l’invention en 1839 de cette nouvelle technique qui bouleverse le monde entier à commencer par celui de l’art. Grossir le motif pour en faire le sujet de l’image !
#26 Claude Monet (1840-1926) Etretat, L’Aiguille et la porte d’Aval
Décoration pour la salle à manger de l’Hostellerie des Vieux- Plats, Gonneville-la-Mallet 1885 – 1886
huile sur bois, 85,4 x 44,2 cm
Toronto, collection Art Gallery of Ontario,legs anonyme en 1991 Photo © Art Gallery of Ontario
Claude Monet peint ce panneau de décoration pour une salle à manger qui rappelle le développement du tourisme à Etretat.
Le décor devient également mobile. Monet peint des tableaux moyen format qui représentent des Meules, des Cathédrales, des Peupliers…. Le tableau peut changer de place dans la maison. Non seulement il ouvre des fenêtres sur l’extérieur mais il voyage dans les intérieurs bourgeois. Il ponctue la circulation au cœur de la maison et des appartements.
Décorer ses murs avec de nouveaux contenus légers et de nouvelles couleurs. Les impressionnistes personnalisent les lieux et les décorent, les agencent, les ornent, les embellissent, les figurent, les égayent… avec leurs tableaux.
L’idée de faire « une peinture idiote » parce que décorative et qui ne serait donc point du Grand Art est vite dépassée par Claude Monet, Gustave Caillebotte et Auguste Renoir, … Ils créent de nouvelles mythologies avec les nouveaux héros, les vainqueurs de la vie moderne, à commencer par leurs collectionneurs qui ne veulent plus entendre parler du passé (Adieu les Grecs !) mais d’eux-mêmes et sans passer par les récits mythiques ancestraux.
#12 Gustave Caillebotte (1848-1894) Parterre de marguerites, vers 1893 Huile sur toile, 205 x 116 cm (chaque panneau)
Giverny, musée des impressionnismes, acquis grâce à la générosité de la Caisse des Dépôts, de la Caisse d’Épargne Normandie, de SNCF Réseau, de la Société des amis du musée des impressionnismes Giverny et d’une souscription publique, 2016, MDIG 2016.2.0 Photo © Giverny, musée des impressionnismes / photo : François Doury
Je t’aime, un peu, beaucoup, à la folie, énormément, pas du tout…
Les grands décors : Les Nymphéas de Claude Monet
Les peintures décoratives des impressionnistes à leurs débuts sont le résultat de commandes passées par des amis et la famille. Le polyptyque réalisé par Paul Cézanne pour son père au Jas de Bouffan présenté dans l’exposition en est un vibrant exemple, le style n’est pas révélateur de la peinture de Cézanne à cette période. Les artistes se servent de ces peintures ornementales commandées pour attirer l’attention d’acheteurs qui leur achètent leur peinture moderne comme Arosa ou Hoschedé et visent celle des pouvoirs publics qui multiplient les commandes officielles de « grandes décorations » pour instruire et diffuser des messages républicains. Les artistes sont en majorité républicains mais l’art impressionniste reste par ses sujets apolitiques.
La première à recevoir une commande spectaculaire est une femme, Mary Cassatt qui exécute pour Chicago en 1893 une gigantesque peinture murale, qui n’existe plus hélas, célébrant la femme moderne.
Auguste Renoir réalise un essai de peinture décorative. Cette œuvre dans un style hybride entre classicisme et impressionnisme est un prêt exceptionnel du Philadelphia Museum of Art et qui illumine l’exposition.
#11 Pierre Auguste Renoir (1841 – 1919) Baigneuses. Essai de peinture décorative, dit aussi Les Grandes Baigneuses,1884-1887
Huile sur toile, 117,8 × 170,8 cm S.D.B.G. : RENOIR87 Philadelphie, Philadelphia Museum of Art, The Mr. and Mrs. Carroll S. Tyson, Jr.,Collection, 1963, inv. 1963-116-13
Photo © Philadelphia Museum of Art
En France, enfin, Claude Monet ami de Georges Clémenceau reçoit la commande des Nymphéas. Le temps de la reconnaissance pour l’œuvre des impressionnistes s’annonce en France seulement…
L’artiste a mis plus de 10 années pour réaliser ce décor. A l’issue de la première guerre mondiale Monet décide d’offrir son œuvre à l’état. Il l’a réalisé à partir de son « jardin d’eau » à Giverny qu’il a commencé à concevoir à partir du premier quart des années 1890. Les nymphéas sont blancs à l’origine mais devenus très en vogue quand ils deviennent multicolores sur le marché français : Monet reste fasciné.
#30 Claude Monet (1840-1926) Reflets verts entre 1914 et 1926
Deux accolés, huile sur toile 200 x 850 cm l’ensemble Paris, Musée de l’Orangerie INV 20102
Photo © musée d'Orsay, distrib. RMN / Patrice Schmidt
Entre décoration et grand art cette exposition démontre combien les impressionnistes participent de ce grand renouvellement du décor traditionnel et du décor intérieur de manière remarquable. Et si vous aimez l’art contemporain, ne manquez pas non plus en contre point à l’Orangerie aussi jusqu’au 5 décembre 2022 Ange Leccia • (D') Après Monet.
Angel Toutpourlesfemmes