Mathilda May, danseuse et comédienne accomplie, ajoute avec Open Space, un spectacle atypique qu’elle a écrit et mis en scène, une nouvelle corde à son arc d’artiste pluridisciplinaire. Créé au théâtre de Suresnes puis joué au Rond-Point, il revient au Théâtre de Paris jusqu’au 12 juillet.
Vous avez joué très peu au théâtre, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire le premier spectacle Plus si affinités avec Pascal Légitimus et puis de concevoir et de mettre en scène Open Space, plutôt que de choisir d’imaginer un scénario par exemple ?
D’abord l’espace théâtral est un lieu magique tout comme la scène. Il y a un rapport particulier avec le public, une proximité avec les gens qui permet une qualité d’échange. Ensuite au théâtre il y a moins d’intervenants, d’enjeux financiers et de bataille pour accéder à la liberté de création. On n’a pas besoin des chaines de télévision qui ont leur mot à dire pour monter un projet. Et en France nous avons la chance d’avoir le théâtre subventionné qui donne un espace de création plus grand.
Comment avoir eu l’idée de situer l’action dans un open space ?
Après Plus si affinités, l’open space était un cadre parfait pour observer le comportement humain. Il recèle aussi un fort pouvoir identifiant. Pour moi c’est un outil. Je pars d’une réalité pour la transcender.
Après la rencontre entre deux êtres, c’est le microcosme du bureau, la rencontre entre plusieurs personnes qui ne se sont pas choisies qui vous a intéressé ?
En fait ils peinent à se rencontrer. Ce qui m’intéresse c’est le comportement humain, les relations entre les hommes. Dans le précédent spectacle on abordait la rencontre amoureuse, là on est dans le quotidien, le travail, la proximité. C’est un terrain d’observation privilégié. Au théâtre il y a en plus la rencontre entre les spectateurs et l’espace théâtral en huis-clos.
Pourquoi avoir attendu si longtemps avant d’écrire et de diriger ?
J’avais un déficit de confiance qui ne m’a pas permis d’aller plus tôt vers cette conviction que j’avais. J’ai pris du recul. Et puis je me suis demandé qu’est-ce que je pouvais apporter de moi, de spécifique. Quand on fait de la création on doit se demander quelle est sa singularité qui fait qu’on n’est pas interchangeable. Je me suis demandé quelle était ma singularité, mon mélange à moi. Et je suis arrivée à la pluralité des disciplines, la passion de la danse, de la musique, la comédie et la narration théâtrale et j’ai composé mon mélange.
Avez-vous commencé par typer les personnages ou par écrire les situations ?
L’humain me passionne depuis toujours, je m’intéresse à la psychologie et j’ai toujours beaucoup observé les gens. Je suis partie de personnages placés dans un enfermement car ensuite du comportement de chacun découle des situations.
Le choix des comédiens est primordial pour jouer sans texte, danser, avoir du rythme et de la précision ?
Le plus dur a été de trouver des acteurs polyvalents, rythmiques et des aventuriers comme moi. J’ai énormément caster de personnes car pour incarner ces personnages de cette façon, il leur fallait sortir de leur zone de confort, de leurs habitudes. Ce n’est pas pour tout le monde et j’ai été surprise car je pensais que les comédiens seraient plus ouverts à des expériences de jeu différentes.
Est-ce que tout était écrit ou vous avez continué l’élaboration du spectacle pendant les répétitions ?
C’était très écrit, tellement que je leur ai dit au début de cesser de réfléchir et de se laisser embarquer comme pour les danseurs dans une chorégraphie pendant 10 jours et qu’après ce laps de temps on verrait. C’était difficile car ils devaient aller de l’extérieur (faire un geste précis) vers l’intérieur à l’inverse des comédiens qui eux passent par la réflexion, le ressenti puis jouent. Au bout de quelques temps ils se sont aperçus qu’avec le travail physique, ils rentraient à leur insu dans les personnages. Ensuite ils ont apporté des choses pour leur rôle.
Vous êtes un metteur en scène exigeant ?
Je suis exigeante avec tout, même avec les spectateurs. Je ne suis pas croyante mais je mets le talent au niveau du Divin et la scène au niveau du Sacré. Pas de légèreté. Je viens de la danse, de l’école de la rigueur et je ne fais pas les choses à moitié. Je pense que la clé de la joie est dans le surpassement de soi. En tant que metteur en scène, je pousse les comédiens à se surpasser et au fur et à mesure, je les vois s’épanouir. Le travail de jeu déborde sur l’humain grâce au cadre que je donne.
Pourquoi le choix du borborygme plutôt que du texte ?
J’ai voulu contraindre le spectateur à être dans une autre vigilance, une acuité. Comme quand on ferme les yeux, on entend mieux, s’il n’y a plus de mots, on est plus concentré sur le ressenti. Et puis je trouve aussi qu’on est très inondé de paroles inutiles et creuses. J’aimerais que le public sorte avec une observation différente, qu’ils entendent mieux. D’ailleurs certaines personnes m’ont dit avoir ressenti plus d’attention.
Certains évoquent une filiation avec Jacques Tati pour évoquer les sons, le peu de texte, votre prochaine création sera dans la même veine ?
Je n’ai pas de projets précis, c’est le sujet qui me guide vers la forme. Je trouve la comparaison avec Tati flatteuse mais je me demande toujours pourquoi avoir envie de ranger, de donner une classification. C’est inclassable, c’est mon mélange.
En fait, avec Open Space, vous devenez une synthèse de vos parents, l’auteur Victor Haïm et votre mère Margareta Hanson, danseuse et chorégraphe ?
C’est vrai, je réalise que je suis un mélange des deux !
Open Space au théâtre de Paris avec avec Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Élion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet, Dédeine Volk-Leonovitch
Interview réalisée par Véronique Guichard
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