Avec leur drapeau bleu-blanc-rouge orné d'une étoile jaune, les Acadiens du Nouveau-Brunswick, à l'est du Canada revendiquent leur histoire, leurs origines, leur langue —,le français- pour en faire la pierre angulaire de leur créativité culturelle. Voyage dans cette province immense, bordée par l'Atlantique, où les habitants se plaisent à valoriser leur patrimoine naturel et culturel.
Aéroport de Moncton, Nouveau-Brunswick. Ils sont un petit groupe, huit personnes, prêtes à franchir l'Atlantique, certaines pour la première fois. But du voyage : rencontrer à Lille la famille du fiancé d'une des leurs. Dans leurs bagages, du sirop d'érable, de la morue, des épices, des herbes. « Nous allons préparer un repas typique, de chez nous. Seules les pommes de terre et la crème fraîche seront achetées sur place ».
La fierté et l'humour avec lesquels ces Canadiens francophones, tous natifs du Nouveau-Brunswick trimbalent dans leurs valises une peu de leur coutumes et savoir-faire culinaires, est en soi un signe de fierté. Désormais les Acadiens dont ils font partie, veulent porter haut leur drapeau, d'ailleurs planté souvent dans leurs jardins, replonger dans leurs racines et leurs traditions pour mieux les exprimer dans une floraison d'initiatives et de réalisations, culturelles notamment.
A l'est du Québec, s'étend l'autre belle province : le Nouveau-Brunswick. Grande comme la Belgique et les Pays-Bas réunis, bordée par l'Atlantique, par le Saint-Laurent au Nord, elle ne recense guère que 750 000 habitants. Un tiers à peine de la population est francophone, des hommes et des femmes qui défendent bec et ongles leur langue et leur patrimoine culturel. C'est d'ailleurs au sein des dix provinces de la fédération canadienne, la seule qui compte deux langues officielles, le français et l‘anglais.
L'affaire n'était pas gagnée d'avance, tant était et reste puissante la force d'assimilation et de domination anglo-saxonne : autour de ce microcosme, un océan de 300 millions d'english speaking people.
Dans cette province les cicatrices de l'histoire restent étonnement vives. Deux siècles et demi plus tard, il n'est pas rare de rencontrer des Acadiens qui citent « le grand Dérangement », comme s'il s'était déroulé au XXe siècle ! Venus de l'ouest de la France, Bretagne, Normandie, Poitou, ceux qui se dénommèrent plus tard les Acadiens, arrivèrent en 1604. En 1755, ceux qui refusaient de se soumettre à la couronne britannique, ont été déportés dans d'autres provinces, en Louisiane, en Angleterre et en France.
Jusqu'à la deuxième moitié du XXe siècle les descendants des Acadiens composaient la couche pauvre de la population, pour l'essentiel vivant de l'agriculture, de la forêt ou de la pêche. Les populations francophones et anglophones se mélangeaient peu. Aujourd'hui encore, les territoires du Nouveau-Brunswick demeurent marqués par la langue, ici un village où l'on parle anglais, là où domine français, notamment dans le Nord-Est. Et cette division est visible, par exemple, dans l'agglomération de Moncton (130 000 habitants). On y trouve le quartier anglais de Riverview où aucun francophone ne s'installera. Et réciproquement, il en ira de même de Dieppe où on ne verra aucune maison anglophone.
Le fonctionnement économique a favorisé une certaine assimilation, de facto. Ainsi des Acadiens ont anglicisé leur nom, par exemple LeBlanc en White, ou rajoutant un « y » au patronyme, de façon à mieux gravir les marches de l'escalier social. Mais cette pratique semble ne plus être d'actualité.
Le balancier s'est inversé il y a une cinquantaine d'années. La première université francophone a été créée en pleine zone anglophone, à Moncton en 1963. De même, les années 1960 ont vu l'élection d'un Premier ministre du Nouveau-Brunswick d'origine acadienne.
Et puis, il y a eu le phénomène Antonine Maillet. En 1979, pour Pélagie-la-charrette , l'écrivaine canadienne, née à Bouctouche dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, a reçu le prix Goncourt . Elle, est la première non-européenne à être ainsi distinguée par l'Académie Goncourt. Elle décrit le retour en Acadie de Pélagie, déportée en Géorgie en 1755, les pérégrinations d'une pauvre femme, désireuse de retrouver, avec ses compatriotes, sa terre natale.
Depuis les années 1970, Bouctouche est devenu un formidable lieu de culture acadienne et de mémoire vivante où se succèdent fêtes et festivals. Le point d'orgue reste un spectacle : les monologues de la Sagouine . Chaque année, la Sagouine, avec des textes enrichis ou renouvelés par la plume d'Antonine Maillet, soliloque devant un public de fidèles comme de nouveaux venus. Cette servante, qui ne sait ni lire ni écrire, arrose le public de commentaires tour à tour drôles, pathétiques et si profondément humains. « La Sagouine écrit Antonine Maillet depuis quarante ans regarde le monde se mirer dans son seau ».
De fait, à Bouctouche, sur l'Ile aux Puces a été reconstitué le « village de la Sagouine » avec les demeures des principaux personnages.
Celle qui joue la Sagouine, Viola Léger, 83 ans, incarne le personnage depuis 40 ans ! Soit quelque 2500 représentations ! Elle en dit « La Sagouine est entrée dans ma vie et elle m'a avalée comme Jonas dans la baleine... »
Antonine Maillet en donnant la parole aux plus humbles, en mettant en exergue la noblesse de leur sens moral, la finesse de leur esprit critique et leurs propos souvent cocasses, a vraisemblablement contribué à éveiller ou réveiller chez les Acadiens, la fierté de leur langue, de leurs origines, de leurs traditions.
C'est dans cet esprit qu'a vu le jour, dans les années 1980, le Village historique Acadien. Regroupant des maisons pour la plupart d‘origine, ce village reconstitue des éléments de la vie, souvent très difficile des hommes et femmes revenus s'installer, à partir de 1764, sur les espaces littoraux inoccupés du Nouveau-Brunswick. Le parcours présenté aux visiteurs, animé par des femmes et des hommes dans les tenues d'époque, couvre près de 200 ans d'histoire, de la fin du 18e siècle, jusqu'au début du 20e...
Il illustre les modes de vie de la population, laquelle passe du dénuement le plus absolu à un confort relatif et croissant. Un début de prospérité même parvient à se diffuser auprès de certains Acadiens entre les deux guerres mondiales.
Il est significatif de lire dans une des présentations de ce village le commentaire suivant : « Nous ne sommes plus des déportés. Et si nous pouvons aujourd'hui faire cette affirmation la tête haute, sans crainte de personne, nous le devons à ceux qui ont vécu la tranche d'histoire que nous reproduisons ici. C'est un hommage que nous rendons à nos ancêtres, pour dire combien nous sommes fiers de ce qu'ils ont su conserver de cet héritage inestimable qu'ils nous ont légué et qui s'appelle dignité. »
Si la mise en valeur du passé et la fierté retrouvée des origines est frappante, il en va de même d'une véritable explosion culturelle . Roch Voisine, né Edmundston en 1963, fait depuis vingt-cinq ans une carrière remarquable en France. D'autres musiciens et musiciennes commencent à lui emboiter le pas avec succès.
En témoignent les dizaines d'artistes néo-brunswickois venus célébrer à Lorient en août 2012 la fête de l'Acadie . Parmi eux des artistes chevronnées comme Sandra Le Couteur, qui avec sa voix profonde et claire interprète Brel, Piaf, Ferré mais aussi ses propres chansons enregistrées dans son album « Terre Natale » . Ou la toute jeune Lisa LeBlanc, 22 ans qui fait un tabac outre-Atlantique, avec un album sorti en 2012 intitulé « ma vie c'est d'la Marde », un mélange de paroles crues, bien ancrées dans le quotidien, et de mélodies folk.
Les arts plastiques ne sont pas en reste. Peintres, sculpteurs ou artisans d'art rencontrent un formidable intérêt. Une route des artistes et des artisans comporte pas moins de 30 adresses tout au long de la Côte culturelle du Nouveau-Brunswick , de la Pointe Sapin au Nord jusqu'à Sackvilleau Sud, en passant par Shediac, Beaubassin, Kouchibouguac ou Bouctouche.
Parmi ces artistes, Nicole Haché, qui a grandi à Lamèque. Elle peint depuis une douzaine d'années passant du figuratif à l'abstrait, expose régulièrement au Canada et en 2012 fut invitée à deux reprises en France, à Paris à Saint Aubin-sur-mer. Ou encore Denis Hachey, peintre, sculpteur qui expose d'ailleurs certaines de ses œ,uvres dans la délicieuse maison d'hôtes à Bathurst, appelée Le Havre, qu'il gère également.
L'un des grands évènements sera le 2e Congrès mondial de l'Acadie en 2014. Pendant 17 jours , au moins 100 000 personnes sont attendues sur les différents sites qui seront, pour la première fois répartis entre le Nouveau-Brunswick, le Québec et l'Etat du Maine (Etats-Unis).
Si les Acadiens étaient quelque 15000 au moment du grand Dérangement, leurs descendants seraient, selon les estimations de 2 à 3 millions dans le monde. Une évolution exponentielle qui résulte sans doute de leur foi catholique. N'étaient-ils pas encouragés par l'Eglise, malgré leur pauvreté, à créer des familles très nombreuses ?
>> Lire aussi
- Nouveau-Brunswick : Voyage avec mes homards
- Nouveau-Brunswick : L'homme qui parle à l'oreille des ours
- Nouveau-Brunswick : Hébergement et autres info pratiques
- voir le site www.tourismenouveaubrunswick.fr
Par
Ajouter un commentaire