Voyage avec mes homards.

Le Canada est un grand producteur de homards. Le fait est connu. Ce qui l'est moins c'est que l'on peut en acheter, des homards cuits, dans certains aéroports du Nouveau-Brunswick. Récit d'un voyage en compagnie de crustacés.

Avez-vous déjà voyagé avec un homard ? Avec deux, non plus ? Question stupide de ma part ? Pourtant je viens de faire 7000 km avec ces bestioles dans mes bagages. Un voyage perturbé qui s'est achevé délicieusement.

Nouveau Brunswick, Canada


Départ samedi, aéroport de Moncton, Nouveau-Brunswick au Canada. Mon accompagnateur me fait un somptueux cadeau : deux homards de plus d'un kilo chacun. D'emblée, je les appelle Jules et Jim.
Ils sont cuits, bien entendu. Une belle carapace rouge vermillon, de grosses pinces, que je n'aurais pas osé toucher, eux vivants , ils sont là, paisibles, reposant sur le dos.

Ce cadeau n'a rien de farfelu, ni d'improvisé. Comme des journaux, des bonbons ou le petit souvenir en faïence qui finit très vite au fond d'un tiroir, vous pouvez acheter à l'aéroport votre crustacé, un ou autant que vous voulez. Des prix très compétitifs si l'on compare avec nos homards nationaux. Normal, le Nouveau-Brunswick en est un grand producteur, qui gère avec sagesse ses ressources naturelles.

Le vendeur a l'habitude. Il prépare un emballage adéquat : une grande boîte en carton dont l'intérieur est vernissé, une petite couche de mousse synthétique sert de matelas. A l'extérieur, écrit en français et anglais, l'emballage annonce le contenu : homards, lobsters, produits du Canada, product of Canada. Important de parler au moins deux langues. Et comme pour tout produit fragile, s'ajoute la mention « haut et bas ». Le homard a besoin d'attentions. Ce n'est pas un vulgaire paquet de confiseries ou de biscuits qu'on trimbale n'importe comment.

Ravie et me réjouissant de la belle surprise que je vais faire à mes proches en les conviant à ce festin dans quelques heures à Paris, je passe sans difficulté l'enregistrement et les portiques de sécurité. Personne ne me fait remarquer que ce paquet vient en supplément de mon « bagage cabine ». Je le craignais d'autant plus que les compagnies aériennes durcissent les conditions d'accès à bord. Tous ceux qui ont pris un avion depuis un an ou deux s'en sont aperçus. Parfait donc.

Mais le voyage, qui s'annonçait simple et banal, prend une autre tournure. Retard. Delayed. A deux reprises, le vol prévu est reporté, puis annulé. L'attente à l'aéroport s'éternise. Problèmes techniques, nous annoncent les hôtesses d'accueil.
Prévu pour quarante-cinq minutes, l'embarquement durera huit heures. Inquiétude. Agacement. Ennui. Oh, ce ne sont pas tellement les soucis mécaniques du petit avion qui devait assurer la correspondance à Toronto qui me préoccupent. Non, ce sont mes homards ! Comment vont-ils se comporter avec tant de temps hors d'un réfrigérateur ? Car l'aventure n'était pas près de se terminer, notre vol Toronto-Paris étant parti depuis belle lurette, avant que même nous ne décollions de notre aéroport provincial. Quant au vol transatlantique suivant il n'était programmé que... 24 heures plus tard.

Nouveau Brunswick, Canada


3 heures du matin. Nous voilà arrivés dans l'hôtel réservé par la compagnie aérienne à proximité de l'aéroport de Toronto. La chambre ultra-moderne dispose d'un frigo qui accueille avec bienveillance Jules et Jim. J'allais écrire « avec chaleur », tant nos amis canadiens sont cordiaux. C'eut été malvenu. Profitant de ce séjour rallongé, je me balade l'esprit serein ce dimanche ensoleillé le long du waterfront de Toronto, tandis que l'hôtel complaisant, fait du «lobsters sitting». Jules et Jim sont gardés en chambre froide.

Mais à 17 heures, rupture. Rupture de la chaîne du froid, s'entend. Je rejoins l'aéroport Lester B. Pearson de Toronto.

Enregistrement. Embarquement. Contrôles de sécurité. Jules et Jim passent l'épreuve, haut la pince.
De nouveau, attente. Je ne suis pas rassurée. Mille inquiétudes m'assaillent. Mon colis va-t-il supporter les 12 heures qui me séparent de l'arrivée à bon port ? Un restaurateur installé dans la salle d'embarquement, peu surpris par ma demande, remplit de glaçons mon carton. Jules et Jim retrouvent la bonne fraîcheur dont ils ont besoin.

Mais moi, que va-t-il m'arriver ? Les glaçons vont-ils fondre et se répandre dans l'avion ? Le carton mouillé va-t-il s'affaisser dans quelques heures ? Vais-je être l'agent porteur d'effluves peu sympathiques ? Nouvelle parade : dans un sac plastique j'enferme les dizaines de petits bouts de glace, accroupie sur le sol. Défilent les 350 passagers prêts à embarquer dans le Boeing 777. Des regards curieux balaient mon dos. « Sont-ils vivants ? », « Vous venez d'où », « Ce sont des vrais ? » Pour le moins, mon carton facilite les contacts. Un peu comme si je promenai dans la rue un joli toutou... j'y penserai pour une autre occasion...

20h, heure locale, quelques minutes avant de boucler ma ceinture, je réfléchis encore ! Vais-je installer Jules et Jim dans le galley ? Ne seront-ils pas trop secoués par les ouvertures brusques et répétées, d'autant qu'un colosse -120 kg à vue de nez -, débordant du siège devant moi, éprouve la nécessité de farfouiller dans son sac fourre-tout, huit ou dix fois pendant le trajet, écrasant ici un pied, s'affalant là sur un voisin irrité... Mon sac de fortune plein de ces jolis glaçons destinés à rafraîchir quelques whiskies se transformera-t-il en flaque, que dis-je en mare, en étang, coloré et puant, détrempant les bagages des autres passagers, confiants dans le confort des porte-bagages ? Entre deux risques, j'estime choisir le moindre. Voilà Jules et Jim bien calés à mes pieds, jusqu'à Roissy-CDG.

De Paris, ils n'auront pas vu grand-chose. Ni la Tour Eiffel qui pointe sa flèche ce jour-là dans un ciel bleu azur. Ni les frondaisons des marronniers qui se parent de jaune et d'orangé dans le petit square sous mes fenêtres. Ils sont arrivés à destination. En bonne forme, je dois le dire. Ils ont fait de mon dîner de retour un vrai repas de fête.

>> Lire aussi

- Nouveau-Brunswick : L'homme qui parle à l'oreille des ours

- Nouveau-Brunswick : Vive les Acadiens !

- Nouveau-Brunswick : Hébergement et autres info pratiques

Par Elsa Menanteau
Portrait de admin

Ajouter un commentaire