Tunisie : la révolution de jasmin

Le récit d'une Française expatriée

Tunisie : Hélène, Française expatriée vit à Sidi Bou Saïd, à côté de Tunis depuis trois ans. Avec son mari, qui travaille dans une banque et leurs trois enfants, ils ont été témoins de la 'révolution de jasmin'. Comment Hélène a vécu ces quatre jours qui ont ébranlé la Tunisie ? Récit.

Avec Femmexpat



Sidi Bou Saïd

Dimanche soir, 16 janvier :

Oui, nous vivons des jours agités...mais pas d'inquiétude pour nous, car nous sommes restés bien en sécurité à la maison.
Sidi Bou Saïd est relativement préservé et protégé par l'armée, et en tant que Français, nous ne représentons pas la cible du mécontentement du peuple tunisien.

Nous avons néanmoins ressenti la tension s'amplifier depuis le début de la semaine où nous n'avions pas le droit de parler de la situation au téléphone ou sur le mail car nous étions écoutés et surveillés par la police, jusqu'à jeudi après-midi où les mouvements de foules dans Tunis et dans La Marsa étaient bien réels, leurs mécontentements aussi.

C'est incroyable l'allure à laquelle les événements se sont succédés : vendredi matin, manifestations dans le calme apparent, à 13h, début des affrontements dans Tunis , 15h extension dans la banlieue nord (chez nous !) , entre 16h et 17h, le président Ben Ali quitte le pays , 17h : état d'urgence décrété , 18h00 : annonce 1er ministre qui reprend le gouvernement...ce qui ne satisfait pas toute la population.

Bruit d'hélicoptères au-dessus de nous pendant une bonne partie de la nuit...quelques pillages de maisons du coté de Marsa et autres faubourgs de Tunis... très ciblés sur la famille Trabelsi and Co, mais calme chez nous.

Nous vivons donc ce soulèvement populaire de l'intérieur sans danger apparent pour nous, pour le moment, tant que nous restons dans la maison. Le lycée est fermé depuis jeudi matin et jusqu'à nouvel ordre, ce qui fait bien les affaires des garçons ! Les écrans d'ordinateurs et les manettes de jeux chauffent forts ces derniers jours !!

Dimanche 16 janvier, Pierre est allé faire un tour dans Sidi avec son panier, beaucoup de monde dehors dans une ambiance très calme.

L'ouverture du petit « magasin général » a été demandée et organisée par les gens du quartier : une longue queue mais tout s'est passé dans le calme , il a mis 2h30 à acheter 6L de lait et des pâtes... un record. Il a eu le temps de discuter avec les voisins, et de voir que le portrait de Ben Ali a été décroché devant les gens qui faisaient la queue , une dame a pris la photo et l'a soigneusement et longuement déchirée en petits bouts de confettis = très illustratif de la situation du moment. Et qui l'eût cru 2 jours plus tôt ?

Nous sommes époustouflés par leur organisation aussi rapide en « comité de quartier » pour assurer une surveillance concertée entre eux, pendant toute la nuit. Beaucoup de bienveillance à notre égard. Ils se méfient tous de la police, ne sachant pas encore faire la distinction entre 'les méchants milice' et 'les gentils'... ils disent avoir toute confiance en l'armée : ce qui est rassurant pour nous car notre quartier est bien gardé par un char et trois barrages de militaires à chaque rond-point.

Les trois derniers jours ont été étonnamment calmes le matin...Il est vrai qu'on sent une tension monter en fin d'après-midi puis vers 17h plusieurs coups de feu autour : on suppose que c'est l'armée qui fait surtout des tirs de sommation pour faire respecter le couvre-feu. Il vient d'être réduit à 18h00 - 5h du matin au lieu de 17h-7h00. Les collègues de la banque ont dit ce soir que cette journée de dimanche a aussi été calme dans leur quartier ouest et sud de Tunis.

Bon, c'est pas la super fête, car à partir de 17h on entend les hélicoptères tourner pour surveiller la mise en place du couvre-feu ou évacuer des hommes indésirables, on ne sait pas très bien , la nuit aussi, plusieurs coups de feu (là ce ne sont pas des tirs de sommations, mais l'arrestation de cette milice et pilleurs qui sèment le désordre)...mais , à part tout ça...nous nous sentons en sécurité chez nous, et nous allons tous très bien.

Nous attendons de voir comment la semaine va se passer : les tunisiens sont tous très motivés pour reprendre le travail demain et souhaitent vraiment retrouver la sécurité pour profiter de cette liberté nouvellement trouvée.

Lundi soir, 17 janvier :

Pierre est parti travailler ce lundi matin tôt et est rentré à 16h30, avant le couvre-feu. Sans réels problèmes , il a pu constater que Sidi Bou Said est bien gardé par trois barrages de militaires avec blindés et char, puis des barrages des gens du quartier de Amilcar derrière chez nous , pour surveiller toutes les allers et venues : grande fraternité avec les tunisiens.

On espère que le calme va revenir peu à peu dans la semaine avec les actions de l'armée + la reprise progressive du travail...à observer !

Mardi soir 18 janvier :

Aujourd'hui calme autour de nous, même si nous avons appris que 4 membres du gouvernement ont déjà démissionné. Marché de La Marsa ouvert et très bien approvisionné. Boulangerie, poissonnerie, la plupart des magasins d'alimentation ouverts... manque de farine peut-être... A 15h, les magasins ont fermé, et ça a provoqué l'irritation de quelques-uns qui rentraient probablement du travail, fatigués. Quelques policiers de circulation ont repris leur poste= plutôt positif.

Malgré quelques pillages, la nuit dernière, par des bandes de voyous dans des immeubles de bureaux... On sent beaucoup moins de tension le soir, moins d'hélicoptères en vol. La chasse à la milice semble prendre fin. Mais il faut faire respecter l'ordre aux jeunes désoeuvrés qui n'ont pas grand-chose à perdre... Ça risque de prendre du temps.

A travers mes discussions du jour, je constate que la communauté française a, en général, eu de très grosses frayeurs mais a été très peu touchée gravement, à part la maison de F., pillée à Gammarth, à qui j'adresse toutes mes pensées de soutien. Mais ce ne sont pas des statistiques validées, puisque je ne connais pas tous les Français ici !! Quelques parents d'élèves de Terminales (dont je fais partie) sont assez déçus par la non information et l'attentisme du lycée Français. Là aussi, il faut du temps.

Les Tunisiens ne sont pas tous retournés au travail ce mardi : Pierre a recensé environ un tiers de son effectif, seulement. Beaucoup ont peur.

Pourtant, L. (la femme de ménage) est venue travailler ce matin après 2 h de transport : elle vient du sud du Bardo. Son quartier a été très touché par la violence populaire : sa maison a été forcée, sa porte et sa bouteille de gaz volée...Elle se demande toujours 'alèch' = pourquoi, alors qu'elle n'a pas grand-chose dans sa petite maison, elle en est choquée , choquée aussi découvrir des vitrines cassées et voitures brulées à Tunis et au Kram, cela représente beaucoup d'argent pour elle, mais elle revient rapidement à l'essentiel : ses enfants et petits-enfants vont bien, et poursuit « Il faut attendre maintenant ».

En conclusion, ce qui nous a le plus frappé, c'est l'extrême rapidité puis la solidarité et la fraternité des tunisiens, très vite unis pour organiser la surveillance dans chaque quartier et assurer la protection de tous les habitants de leur quartier. Leur volonté aussi que le calme revienne au plus vite et qu'ils puissent retourner travailler, qui signifie pour nous, une grande maturité, que nous ne soupçonnions pas.

Autre constat, c'est que l'expression 'téléphone arabe' porte bien son nom et n'est pas un mythe : tout le monde connait tous les gens du quartier, y compris nous, les expatriés qui ne sommes pas particulièrement entrés en contact avec eux. Et l'usage du téléphone portable et d'internet a été un puissant outil pour conduire et réussir cette révolte.


Femmexpat


Portrait de admin

Ajouter un commentaire