Le Centre Pompidou nous fait découvrir à Paris Alice Neel, à la lumière de son engagement politique, social et à la cause des femmes. Angela Lampe, commissaire de l’exposition soulève des questions actuelles à travers une facette des facettes de son œuvre, non des moindres.
I am the century
Alice Neel (1900 -1984)
Alice Neel est une femme artiste pionnière au XXème siècle.
Alice Neel est une immense portraitiste américaine.
Alice Neel n’est pas une artiste abstraite.
La peinture d’Alice Neel s’enracine dans la tradition picturale occidentale réaliste.
Elle fait partie de ceux qui participent à la création de la nouvelle Ecole de peinture américaine.
Sur le plan technique, son style obstinément figuratif, la tient éloignée de l’avant-garde picturale américaine abstraite, pensons à sa contemporaine Joan Mitchell (1925-1992). Son œuvre n’est pas non plus comparable à celle de Louise Bourgeois, conceptuelle (1911-2010), ceci expliquant cela, la reconnaissance de son œuvre en Amérique comme en Europe est tardive.
Question de mode ?
Elle ne peint pourtant plus comme Edward Hopper (1882-1967) supplanté par la présence de Jackson Pollock (1912-1956).
La peinture d’Alice Neel très reconnaissable est gestuelle. Son style moderne est cependant moins révolutionnaire que son contenu. Des couleurs acidulées, posées en aplat, une ligne bleue qui détoure des présences urbaines dans des intérieurs…
Ses portraits ou ses nus sous son pinceau par contre deviennent des « Types » c’est à dire des reflets de catégories sociales ou de faits de société. Ils dépassent l’individu sans pourtant le fondre dans l’anonymat, c’est sa force à elle. Chacun joue son jeu. Elle le peint.
Alice Neel : Un regard engagé © Centre Pompidou, Hélène Mauri
Retour sur le parcours d’une activiste
Alice Neel a étudié l'art de 1921 à 1925 à la Philadelphia School of Design for Women. Elle épouse un artiste cubain Carlos Enriquez (1900-1957) fils d’une grande famille de la Havane. Le couple part y vivre deux années. Ils perdent leur premier enfant Santillana Del Mar en 1927 de diphtérie. Isabella nait en 1928, leur seconde fille. Elle va la perdre en quelque sorte car le couple se sépare et Carlos Enriquez prend avec lui l’enfant pour retourner à Cuba.
Alice Neel traverse alors une période de dépression profonde. A Philadelphie, elle est recueillie par sa famille.
ELLE est de ceux qui sont sauvés par l’art et trouvent dans cette forme d’existence intellectuelle leur barque de salut.
Elle reprend la peinture en 1931-32 en s’installant dans Greenwich Village.
En 1933 elle participe au PWAP un programme gouvernemental lancé après la crise de 29 destiné à soutenir les artistes.
Alice Neel: Nazis Murder Jews, 1936 Huile sur toile, 107,3 x 76,2 cm
Rennie Collection, Vancouver © The Estate of Alice Neel Courtesy the Estate of Alice Neel, David Zwirner and Victoria Miro. London/Venice
En 1938, Alice Neel s’installe définitivement à Spanish Harlem, au nord de Manhattan. La vie continue. Elle aura deux fils de deux hommes différents, d’un marin et d’un photographe engagé de gauche. Elle se lie au parti communiste tandis que le maccarthysme pourchasse les communistes et les homosexuels.
Jenny Holzer : Alice Neel Teal 2005, Huile sur lin
Courtesy of the artist . Photo CB
Jenny Holzer a regardé Alice Neel. De la génération d’artiste américaine contemporaine Holzer a découvert le dossier FBI d’Alice Neel qu’elle a transformé en œuvre d’art conceptuelle. Montré dans l’exposition, il rappelle que des agents du FBI en octobre 1955 sont venus interroger Alice Neel qui fit l’objet d’une enquête dès 1951 en raison de ses liens avec le parti communiste.
En 1973 et 1975 Alice Neel participe à des expositions sur les femmes artistes. Entre deux, elle obtient enfin une reconnaissance officielle américaine en recevant sa première rétrospective au Whitney Museum of Art, en 1974.
Dans l’œil d’Alice Neel
Influencée à ses débuts par le réalisme américain de l’« Ash Can School » littéralement traduite : Ecole de la poubelle, Alice Neel traite des thèmes de la ségrégation raciale, sexuelle et du féminisme à travers ses portraits et nus.
Alice Neel : Peggy, vers 1949 Huile sur toile, 45,7 × 91,4 cm
Collection of James Kenyon, Los Angeles, California. © The Estate of Alice Neel and of L.A. Louver, Venice, California. Photo Malcolm Varon
A New York, ses modèles sont ses proches, sa famille, des amis et ses amants, ses voisins, des artistes, des poètes.
Alice Neel : Rita et Hubert, 1954 Huile sur toile, 86,4 × 101,6 cm
Defares Collection © The Estate of Alice Neel and David Zwirner. Photo Malcolm Varon
Elle peint les émigrés, les portoricains, les africains-américains, les voyous, la rue, le monde de la nuit, l’underground, la mère de famille qui peine à élever ses enfants.
Quand elle emménage dans l’appartement lumineux de l’Upper West Side, très cosmopolite près de l’université de Columbia, elle fréquente la bohème et la scène new-yorkaise (historiens de l’art, critiques, étudiants, travestis (Jackie Curtis et Ritta Redd, 1970) et artistes (Andy Warhol, 1970).
Une élégance décontractée lisse la réalité
Alice Neel: Andy Warhol, 1970 Huile et acrylique sur toile
152.4 x 101.6 cm Whitney Museum of American Art, New York.
Gift of Timothy Collins 80.52 © The Estate of Alice Neel Photo © 2019.
Digital Image Whitney Museum of American Art / Licensed by Scala
Les yeux de son visage sont clos. Le trait bleu détoure l’effigie d’Andy Warhol. Les chaussures, un motif décoratif récurrent dans les portraits d’Alice Neel ; la perruque toujours portée par Andy Warhol quand il est en public tranche avec la vision de sa chair. Le corps d’Andy Warhol a été victime d’un tir de pistolet qui le laissa pour mort. Il en sortit de justesse et avec l’obligation de porter un corset le restant de sa vie, qu’elle peint comme les blessures. Un mélange de naturalisme et de sophistication transfigure ce portrait du pape du Pop Art américain saisit sur un fond à peine esquissé.
Alice Neel: Marxist Girl, Irene Peslikis, 1972
Huile sur toile, 150 × 105,5 cm Daryl and Steven Roth
Dans ses portraits, le réalisme domine, côtoyant de nombreux reflets romantiques quand Alice Neel ne bascule pas vers un naturalisme brutal qui attaque à la loupe les tabous qui existent entre le montré et le caché en société.
Alice Neel : Margaret Evans Pregnant, 1978 Huile sur toile, 146,7 × 96,5 cm
Institute of Contemporary Art, Boston Gift of Barbara Lee
The Barbara Lee Collection of Art by Women © The Estate of Alice Neel and David Zwirner. Photo Kerry McFate
Elle déshabille ses modèles au sens propre comme au sens figuré.
Elle ose demander à ses modèles.
Ses modèles lui font confiance, se prêtent.
Elle ne sacrifie rien à l’élégance de la ligne, ni des teintes.
Elle n’aseptise pas sa vision qui aime en découdre avec la pudeur.
Sa palette fraiche, joyeuse, décorative, très Matissienne métabolisera toujours la tragédie comme la promesse.
Alice Neel peint son autoportrait en 1980. Elle est assise nue dans un fauteuil un pinceau à la main se soumettant à son tour à son œil sans complaisance pour rejoindre le panthéon de ses modèles enluminés :
Spectaculaire !
Angel Toutpourlesfemmes