L’artiste japonaise Chiharu Shiota est née en 1972 à Osaka au Japon. Formée à l’université Seika de Kyoto en peinture, Chiharu Shiota a suivi des études artistiques en Allemagne. Elle vit et travaille à Berlin depuis 1999.
Elle inaugure aujourd’hui sa première exposition individuelle dans un musée en France en faisant à sa guise… Du 16 mars au 6 juin 2022.
Carte Blanche : Avoir ce pouvoir d’agir « Comme bon lui semble »
Une exposition confidentielle et domestique
Certains se souviendront peut-être en 2017 de son « intervention » au Bon Marché.
Chiharu Shiota avait tissé sa toile à partir de fils de coton en formulant des structures de vagues, de bateaux ou barques célestes, de cascades dans les airs, faisant surgir un monde « cousu de fil blanc » à l’intérieur du centre commercial et des vitrines. Dans ce lieu d’excellence parisien incontournable dédié aux marques et produits de luxe et de la mode baptisés par l’esprit du design, l’artiste introduisait un étonnant vibrato intellectuel et enchanteur.
Living Inside, Chiharu Shiota, 2021
Asia Now, Paris Courtesy of Galerie Templon Paris et Chiharu Shiota, Adagp Paris 2022 © photo Tanguy Beurdeley
Au Musée Guimet, le fil blanc est remplacé par un fil rouge qui signifie aussi en français « fil conducteur ». Onirique, fait de matière organique, Chiharu Shiota a réalisé son Installation dans l’espace du musée Guimet, à l’aide d’un fil rouge.
Vocabulaire : On parle souvent d’Installation comme on parlerait de sculpture, de photographie ou de peinture dans l’art du XXIème siècle. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une oeuvre d’art en trois dimensions réalisées dans un lieu spécifique
Living Inside, Chiharu Shiota, 2021
Asia Now, Paris Courtesy of Galerie Templon Paris et Chiharu Shiota, Adagp Paris 2022 © photo Tanguy Beurdeley
Suivre des yeux les tracés du fil rouge. Le suivre comme un fil d’Arianne. Suivre ce fil qui entoure des choses, des objets, des meubles, des ustensiles, des pots, des assiettes, … dénombrer ces éléments, un a un, qui nous évoquent l’univers familier de nos maisons et de nos ports d’attache. Durant le temps du confinement de la Covid que l’artiste a traversé comme nous tous, nous avons été assignés à résidence dans notre univers domestique, emprisonnés. Nous avons vécu dans un espace limité. Nous avons été empêchés dans nos déplacements. Elle a voulu en témoigner.
Elle a conservé de cette expérience inédite la mémoire qu’elle traduit à travers un monde artificiel et recomposé.
Living Inside, Chiharu Shiota, 2021
Asia Now, Paris Courtesy of Galerie Templon Paris et Chiharu Shiota, Adagp Paris 2022 © photo Tanguy Beurdeley
Après avoir identifié les choses et leurs placements respectifs variés, imaginatifs, poétiques, sensibles, littéraires et romanesques à l’infini passons dans la pièce d’à côté, j’aurai envie de dire. Il s’agit de voir comment le fil rouge dissocie ou réunit. Observez chaque groupe. Ils existent comme des phrasés colorés.
Les prises de vue photographiques de cette installation Living Inside peuvent devenir un moyen pour vous d’expérimenter l’œuvre de manière active en engendrant à partir d’elle vos propres images, vos cadrages… A ce titre, rien ne remplace la vue de l’œuvre in situ et ce face à face encore une fois avec l’œuvre.
Chiharu Shiota composerait avec des fils de chaîne et des fils de trame une tapisserie imaginaire truffée d’objets. Le dispositif qui permet de créer son tissu n’est pas un métier à tisser traditionnel. Elle pratique une sorte de rubanerie, voire de passementerie imagée où jouent en alternance le plein et le vide.
Living Inside, Chiharu Shiota, 2021
Courtesy Chiharu Shiota & Galerie Templon Paris – Brussels © photo Isabelle Arthuis
Décrypter la demeure composée de meubles de maisons de poupées
L’artiste a collecté, en réalité des signes, c’est à dire des objets miniatures qui renvoient à la vie quotidienne. Elle a commandé en ligne préalablement tous ses modèles réduits : sa matière-objet.
Chacun construit chez soi sa propre collection d’objets et notre existence se déploie à travers eux. Ma table, notre lit, les chaises, l’armoire, la théière, mon coussin, … Ces objets sont les produits d’une civilisation. Ils sont la chose fabriquée depuis des millénaires pour notre confort.
…
Une cuisinière
Avec un four en verre
Des tas de couverts
Et des pelles à gâteaux
Une tourniquette
Pour faire la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour bouffer les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres…
La complainte du progrès Boris Vian
Mais que tisse Chiharu Shiota au pays des Lilliputiens avec ses fils ?
Living Inside, Chiharu Shiota, 2021
Courtesy Chiharu Shiota & Galerie Templon Paris – Brussels © photo Isabelle Arthuis
Nous sommes connectés, puisque nous sommes tous dans la même situation. Tout le monde est assis chez lui à regarder ses meubles et à s'interroger sur le monde extérieur qui est, en ce moment, réduit à un simple souvenir.
Chiharu Shiota
Dans la rotonde du Musée Guimet l’artiste traite du temps du confinement mais aussi d’un phénomène universel : le besoin de faire son nid comme les oiseaux. Il commence dès l’enfance, quand nous construisons des cabanes, fantasmons, anticipons la vie rêvée de la vie d’adulte « …en habillant nos poupées, inventant des personnages, jouant à la dînette, décorant nos intérieurs …puis on déménage le campement et on les range dans le coffre à jouets. »
Vous ne devrez pas oublier en complément à votre visite de la Rotonde, de vous rendre dans les salles dédiées aux arts du Japon au 2e et au 1er étage du musée où la suite de son exposition est présentée en résonance avec les collections : une occasion de les revoir ! Et de comparer les styles et les époques.
Ce travail aux fils rouges germinatifs discute des liens entre les choses et par association des nôtres avec les choses. L’artiste mémorise son commerce intime avec les choses domestiques et nous ramène au notre.
Dans l’espace du musée, elle invite à penser le monde de la consommation. Elle pose cette question : Les objets égrainés peuvent-ils, ainsi exposés au Musée, refléter une portion de notre âme prise dans les filets de la matière ?
Ces fils sont aussi ces liens qui enferment les choses, les attachent au lieu de les laisser vivre librement, d’où une sensation d’étouffement et d’isolement qui peut être ressenti. Le tissage peut devenir si serré par endroit que la forme ficelée devient de moins en moins discernable. Comme ci-ces liens devenaient les barreaux d’une cage. Des liens qui séparent, lient et signent l’ambivalence.
Des liens comme des « réseaux » qui nous rassemblent sans que l’on ne puisse se toucher dans un espace virtuel et inter connecté qui nous contient dans le Cloud.
Living Inside est vous l’aurez compris une réflexion sur le monde prosaïque, Pop et ses zones abstraites tel ce rouge agglutiné en masse et ses espaces vides. Où sont les vivants ?
Living Inside, Chiharu Shiota, 2021
Courtesy Chiharu Shiota & Galerie Templon Paris – Brussels © photo Isabelle Arthuis
Un monde marqué par l’exil, l’identité, la maison et la féminité sont autant de thèmes abordés dans ses installations dont témoigne Living Inside.
Le rouge rappelle le tissu vascularisé du corps humain, notre enveloppe charnelle où en rouge coule la vie dans nos veines.
Living Inside s’impose aussi comme une expression de la vie intérieure métamorphosée qui disent la vie humaine à travers des objets que Chiharu Shiota ourdit sans jamais perdre le fil…
Chiharu Shiota dans son atelier, 2019 © photo Sunhi Mang, courtesy of Chiharu Shiota
Angel Toutpourlesfemmes