Le magazine ELLE a interviewé le Premier ministre François Fillon à propos des propositions contenues dans le Livre blanc des Etats généraux de la femme qui lui a été remis le 7 mai dernier. Extraits de cette interview parue dans le ELLE daté du 14 mai 2010.
En 1970, ELLE a lancé pour la première fois les Etats généraux de la femme, avec pour but de porter les revendications des Françaises. Quarante ans après, le magazine a renouvellé l'expérience en récoltant les témoignages de très nombreuses femmes à travers la France. Résultat : un Livre blanc contenant 24 propositions qui a été remis le 7 mai dernier au Premier ministre. Les réactions de François Fillon dans des extraits de l'interview réalisée par Marie-Françoise Colombani, Michèle Fitoussi et Valérie Toranian.
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ELLE. Selon notre sondage réalisé pour les Etats généraux de la femme*, 75 % des femmes trouvent que la société leur est moins favorable qu'aux hommes. Elles déplorent aussi la misogynie du monde du travail et du monde politique. Vous doutiez-vous de l'état d'esprit des Françaises ?
François Fillon. Il ne suffit pas d'une simple volonté politique et de textes législatifs pour changer les choses. L'ensemble de la société doit s'en saisir. Je pense aux textes votés pour faire respecter l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, alors que l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles a été porté pour la première fois en 2008 au rang de principe constitutionnel. Et pourtant, on a toujours énormément de mal à obtenir des résultats.
ELLE. Justement, comment faire appliquer ces lois ?
F.F. 'L'inscription du principe de l'égalité professionnelle dans la Constitution est une garantie maximale. Par ailleurs, la loi de 2006 sur l'égalité salariale prévoit que les accords collectifs dans l'entreprise doivent définir les mesures qui permettent de supprimer les écarts de salaire avant fin 2010. Au vu des résultats, nous serons en droit, en liaison avec les partenaires sociaux que nous avons saisis sur le sujet, de prendre des sanctions et d'imposer des pénalités financières aux entreprises qui ne respectent pas la loi. Maintenant, nous demandons des résultats.
ELLE. Comment allez-vous procéder ?
F.F. En nous appuyant à la fois sur les salariés et sur les syndicats, puisque les entreprises doivent publier chaque année un bilan social dans lequel figurent toutes les statistiques et, si besoin, doivent mettre en oeuvre des plans d'action. Il faudra aussi débusquer les comportements de certaines entreprises qui, pour justifier des écarts de salaire, se protègent derrière des arguments spécieux sur les compétences.
ELLE. 88 % des femmes trouvent très difficile de concilier vie professionnelle et vie privée. On sait que cette conciliation passe, entre autres, par l'amélioration des solutions de garde des jeunes enfants. En France, il y a 1 million de places d'accueil pour 2,5 millions d'enfants de moins de 3 ans. Dans notre Livre blanc, nous demandons 500 000 places supplémentaires à l'horizon 2017.
F.F. Nous nous sommes engagés à créer 200 000 places pour 2012 : 100 000 chez les assistantes maternelles et 100 000 dans les services d'accueil collectifs. Le problème n'est pas identique sur tout le territoire, la crèche est un mode de garde plus adapté aux agglomérations. L'important, c'est qu'il y ait une offre qui corresponde aux besoins. Mais 2017, c'est loin. L'objectif, c'est 2012. Il faut aussi continuer à encourager les entreprises dans ce domaine où peu d'entre elles font de réels efforts.
ELLE. Comment peut-on les inciter davantage à développer l'aide à la garde des enfants de leurs salariés ?
F.F. Pour faciliter la création de crèches d'entreprise, nous avons réformé le crédit d'impôt dont peuvent bénéficier les entreprises. Cette question fait aussi partie de l'agenda social, et nous avons demandé aux partenaires sociaux d'y travailler. Pour le moment, nous n'avons pas obtenu beaucoup de résultats, j'attends désormais qu'ils avancent rapidement et fassent des propositions. Multiplier les contraintes qui pèsent sur les entreprises ne m'enthousiasme pas pour une raison simple : notre taux de fiscalité est globalement le plus élevé des pays européens et nous nous trouvons face à un problème de compétitivité, notamment vis-à-vis de l'Allemagne. Pourtant, on doit trouver des réponses à ce problème. On pourrait imaginer des systèmes d'incitation en fonction, par exemple, de la taille des entreprises. L'idée sur laquelle travaillent un certain nombre de personnes, dont Nicole Notat avec son agence de notation, c'est d'introduire des critères qualitatifs dans la notation des critères sociaux. Faute d'accord entre les partenaires sociaux, le gouvernement sera amené à prendre des décisions.
ELLE. 70 % des femmes aimeraient que les pères prennent un congé parental mais, pour l'instant, sa rémunération n'est pas très incitative. Nous proposons de nous inspirer du modèle suédois et de le rémunérer à 80 % du salaire à partir du moment où il serait pris alternativement par les deux parents.
F.F. Pour l'Etat, ce serait une charge financière gigantesque, et je vous rappelle que la moitié de nos dépenses publiques sont empruntées... On peut sans doute améliorer le dispositif, mais passer à 80 % du salaire et l'étendre comme vous le demandez serait déraisonnable. J'ai demandé au Haut Conseil de la Famille de me faire une proposition sur l'évolution du congé parental mais, pour le moment, il n'a pas réussi à dégager une proposition consensuelle. Encore une fois, ce n'est pas en imposant des mesures financières aux entreprises ou à l'Etat que vous réglerez la question des difficultés des femmes à s'insérer dans la vie professionnelle. C'est plutôt l'inverse. Toutes les mesures qui augmentent fortement le coût du travail des femmes sont des mesures qui, à terme, les pénaliseront. Cela a été longtemps le cas pour l'emploi des seniors.
ELLE. Une alternative serait de garder le congé maternité tel qu'il est et d'embrayer ensuite avec un temps partiel aux 4/5 par exemple, qui serait rémunéré comme un temps plein pendant six mois ou un an...
F.F. Il faut faire attention à ne pas encourager des formules qui, si on n'y prend pas garde, favoriseraient le développement du travail précaire des femmes. Mais il est vrai que la possibilité pour une femme de reprendre de façon graduelle un travail après un congé maternité est une idée intéressante qui peut répondre à certaines attentes.
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ELLE. Quand il est subi et pas choisi, on sait que le temps très partiel précarise les femmes. Nous demandons ainsi une majoration du taux horaire salarial quand le temps de travail est aléatoire.
F.F. Sur le temps partiel, la loi prévoit déjà plusieurs encadrements. Mais nous regardons comment rendre ces garanties plus opérantes. Nous avons adressé, en novembre dernier, aux partenaires sociaux un document d'orientation qui leur demande de nous faire des propositions : sur le temps partiel morcelé, sur son adaptation aux rythmes familiaux, sur le régime des heures complémentaires. La balle est maintenant dans leur camp. Si nous prenons des mesures trop autoritaires, cela pourrait se retourner une fois encore contre les femmes pour lesquelles le temps partiel est un choix.
ELLE. Pourquoi la loi sur les quotas dans les conseils d'administration impose-t-elle 40 % de femmes et pas 50 % ? C'est vexant pour les femmes...
F.F. On ne pouvait pas passer de 10 à 50 % en très peu de temps. Donc, nous avons préféré demander 40 % pour les obtenir dans un délai court. Il serait irréaliste de dire à une grande entreprise : il faut renvoyer du jour au lendemain la moitié de votre conseil d'administration.
ELLE. Nous demandons, comme une grande majorité de femmes, de rétablir un ministère des Droits de la femme. Voilà une mesure qui ne coûterait rien !
F.F. C'est une mauvaise idée car elle enferme la cause des femmes. Je suis favorable à des gouvernements ramassés, avec peu de ministres mais qui occupent de larges responsabilités. C'était le cas de notre premier gouvernement qui était paritaire. Nous avions décidé de nommer quinze ministres dont sept femmes. Au fur et à mesure, pour diverses raisons, l'équipe s'est élargie...
ELLE. ... au détriment des femmes puisque, aujourd'hui, elles ne sont que treize sur trente-neuf ministres et secrétaires d'Etat !
F.F. D'abord, il y a plus de femmes dans mon gouvernement que dans ceux de mes prédécesseurs. Ensuite, certaines y occupent des postes stratégiques. Pour en revenir aux droits des femmes, un grand ministère des Affaires sociales ou du Travail, avec la responsabilité des Droits de la femme, a plus de poids dans le débat politique et au Parlement qu'un secrétaire d'Etat ou un ministre qui n'a que cette responsabilité-là.
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ELLE. Notre Livre blanc demande un guichet unique, qui puisse orienter les femmes victimes de violences, et il réclame des structures d'accueil...
F.F. C'est dans cet esprit que nous voulons lancer des bureaux d'aide aux victimes dans cinquante tribunaux, avec un interlocuteur unique. Treize bureaux ont déjà été créés à titre expérimental en 2009, et c'est un succès. Nous voulons généraliser cette initiative d'ici à la fin 2012. Ces guichets uniques que vous demandez existent donc déjà. Il faut maintenant financer leur généralisation dans tous les tribunaux de grande instance. Quant aux places d'accueil, il y en a 12 000 aujourd'hui dans les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, et d'autres vont suivre. Mais n'oublions pas que, depuis la loi d'avril 2006, ce n'est pas à la femme de quitter son domicile, c'est au conjoint violent de partir. J'ajoute que c'est à mon initiative que la lutte contre les violences faites aux femmes a été consacrée grande cause nationale pour cette année 2010.
ELLE. Finalement, vous ne nous promettez pas grand-chose !
F.F. Vous êtes dans votre rôle et je suis dans le mien. Comme vous, j'estime que c'est le devoir de toute la société d'assurer l'égalité entre les hommes et les femmes. Et c'est pour cela que je me suis engagé fortement contre cette prison de toile qu'est la burqa. Mais je suis garant de l'intérêt général, et c'est donc mon devoir de dire la vérité sans démagogie et de mettre en garde contre des solutions qui ne sont pas soutenables dans un pays qui vient de connaître une crise sans précédent.
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