Pour son 20e anniversaire, le festival flamenco de Nîmes avait bien fait les choses et a tenu toutes ses promesses.
Le festival flamenco de Nîmes a réussi son coup, et, par la même occasion, son vingtième anniversaire. Les organisateurs ont offert un panorama complet de ce que peut offrir le flamenco aujourd'hui. Des racines à la modernité la plus folle, chacun y trouvait son compte. Les discussions allaient bon train dans les restaurants où se faisaient les « after », ces espèces de fêtes informelles, loin des contraintes de la scène. Mais en flamenco, cela s'appelle « juerga ». Seuls les hommes y participent, en principe, professionnels et amateurs mêlés. Suivre le mouvement requiert des qualités qui s'appellent patience et endurance. La fête ne commence souvent qu'à 2 h du matin, après que le whisky ait coulé à flots.
Mais avant ces «juergas», il y avait les rendez-vous incontournables du Grand théâtre et de l'Odéon. De l'avis général, le niveau est très relevé. Mais je m'arrêterai sur deux spectacles ébouriffants et sur la prestation des femmes.
Tout d'abord, « Dos voces para un baile » de et avec Javier Baron. « Deux voix, deux styles, deux époques qui convergent dans l'art du danseur, un large éventail de palos (chants) qui s'enchaînent », dixit le programme. Ce n'est pas la combinaison habituelle, où le chant est derrière la danse et n'est là que comme un écrin pour le danseur ou la danseuse , en général, quand place est faite au chant, c'est pour laisser le temps aux artistes de se changer. Dans le cas qui nous occupe, on est dans une autre dimension et le cante (chant) est « palante » (devant) au même titre que la danse.
Avec Javier Baron, on est loin des danseurs performants performers. Il s'est entouré de deux chanteurs de grande classe, Jose Valencia et Miguel Ortega, deux palmeros danseurs Juan Diego et El Choro, et les guitaristes Ricardo Rivera et Javier Patino.
Tout est conçu dans la qualité, la finesse et le dosage. Visuellement, c'est magnifique, six chaises espagnoles blanches, et des jeux de lumière. Les chanteurs ont de petits micros très discrets. Ils sont donc rarement assis, si ce n'est pour la siguiriya*. Mais cela n'a rien de gênant, car c'est un spectacle total, conçu avec un sen aigu de la dramaturgie et comme un magnifique hommage au flamenco où le chant est quasiment l'élément essentiel.
Cinq jours plus tard, c'est au tour du chanteur catalan Miguel Poveda de frapper fort avec « Sin frontera ». Sur scène, deux tables couvertes de bouteilles au centre, avec un casting andalou de luxe, Luis El Zambo, chanteur, Moraito, guitariste, Joachim Grilo, danseur et les palmeros Luis Cantarote et Carlos Grilo. Là, c'est Jerez et la fête. Et puis, à gauche une petite table, avec une carafe d'eau et deux musiciens, Poveda et Chicuelo, son guitariste. Beaucoup moins drôle. Là, on est à Barcelone. Avec beaucoup d'élégance, il laisse El Zambo chanter la solea* et la siguirya* qui sont les chants essentiels et fondamentaux du flamenco. Lui chante taranto* et malagueña*, somptueux. Et enfin, Poveda opère la jonction avec ceux de Jerez. Et la beuverie chantante prend forme. Grilo danse une alegria* ébouriffante, comme un clin d'œ,il à tous les artistes ivrognes et désespérés de la terre. Ça monte, ça monte. Poveda chante des tientos tangos* qui offrent toute la palette des émotions possibles. Jose Valencia sort de nulle part pour chanter en duo avec Poveda une chanson cubaine. «Fin de fiesta
**type de chant
» de catégorie, Jose Valencia chante son couplet sans micro, le rideau se ferme. Les gens en transe trépignent, applaudissent, hurlent. Le rideau se rouvre. C'est l'aube, El Zambo et Poveda sont seuls sur scène, et chantent un martinete*. La salle a chaviré. Poveda est revenu avec tous ses amis. Il a appelé Diego Carrasco pour chanter « Un filete de color ». La salle debout ne veut plus partir.
Après Javier Baron, c'est un deuxième coup de poing à l'estomac, sur un thème similaire qui est le retour aux sources et à l'essentiel.
Mais les femmes n'ont pas été oubliées dans ce festival. La chanteuse Mayte Martin a ouvert le feu. Ines Bacan et un groupe de cinq chanteuses ont fermé le ban. Le seul point commun entre Mayte Martin et Ines Bacan est d'être canatoras, c'est-à-dire, chanteuses de flamenco. L'une est paya (non gitane), l'autre gitane. Mayte Martin a une voix veloutée, à la légère raucité, qu'elle utilise avec facilité, mellismes et acrobaties vocales ne lui font pas peur. Ines Bacan, au contraire, à cette voix cassée, de ce mot intraduisible en français, rancia. L'effet est minimal, brut de décoffrage. Mais l'une comme l'autre parlent à l'âme.
Elles chantent la douleur, la douleur de la perte, perte d'un enfant ou de l'être aimé, la douleur de vivre. L'une comme l'autre ne savent pas disparaitre derrière les artifices qui fardent les choses. Elles sont immédiates dans leur malheur et c'en est presque gênant. Le spectateur reste le témoin impuissant de cette détresse. Mais toutes les deux renvoient à ce flamenco primitif des débuts, chants de travail, chants de peine et de labeur, loin du clinquant du théâtre.
Le samedi, en apothéose, cinq voix gitanes, encore une histoire de transmission mère à fille, tante à nièce, une histoire de famille en quelque sorte, mise en musique par la guitare d'Antonio Moya. Une mention particulière pour Herminia Borja, la plus âgée des chanteuses, et Mari Peña. Toutes deux, loin du procédé théâtrale, chantent avec simplicité, dépouillement et immédiateté. L'émotion jaillit de cette intériorité. Mari Peña, recevant les félicitations pour sa prestation, répondait : « Tu as vu Ines hier ? C'était beau, j'ai pleuré. »
http://www.stephanebarbier.fr/
Pour celles et ceux qui le souhaitent, il y a une possibilité de voir le spectacle de Miguel Poveda sur :
http://liveweb.arte.tv/
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