Dans la campagne électorale, le langage devient chez Sarah Palin un outil populiste.
La langue française est un trésor national jalousement gardé par l'Académie française et un sujet de préoccupation et de discussions récurrentes dans la presse et parmi les enseignants. Nous sommes sensibles à ses nuances, à sa sonorité, à ses capacités expressives et nous admirons ceux qui savent la manier avec brio.
En traversant l'Atlantique, l'anglais a commencé une nouvelle aventure. Il y a deux cents ans, les Américains ont choisi leur langue nationale en même temps que leur système de gouvernement. Lors d'un vote, l'anglais a triomphé du hollandais par une seule voix ! Avec les vagues d'immigrés qui suivirent et les distances géographiques isolant les régions les unes des autres, l'anglais américain s'est fragmenté en une kyrielle d'accents régionaux et d'expressions idiomatiques locales, à laquelle s'est ajouté un parler d'esclaves qui a greffé un vocabulaire anglais sur des structures grammaticales africaines. Il était indispensable de parler anglais, mais pour bon nombre de citoyens, parler “bien” est resté un signe d'élitisme accueilli avec suspicion. On ne peut vraiment faire confiance qu'à ceux qui parlent comme nous.
Cette histoire particulière de l'anglais d'outremer éclaire le débat actuel au sujet de Sarah Palin, dont les phrases décousues et la syntaxe fracturée font peur ou plaisir, selon le niveau d'études et la région où habite son auditoire. Il faudrait pouvoir traduire ses répliques pour donner la pleine mesure du pétrin linguistique dans lequel elle se plonge lorsqu'elle ne sait pas (ou ne veut pas) répondre à une question. Hélas, c'est impossible, car elle noie le poisson dans un flot de paroles d'où sont bannis sujets, verbes et compléments. Autrement dit, du charabia.
Il est désolant mais pas surprenant que beaucoup d'Américains se retrouvent dans sa phrasée approximative. Lors des campagnes précédentes, les mutilations que George Bush a fait subir à la langue l'ont rendu plus proche et sympathique à des millions de concitoyens qui souffraient des mêmes insuffisances grammaticales.
Je ne crois pas que la bêtise soit plus rampante aux Etats-Unis qu'ailleurs. En revanche, il n'y a pas de brevet garantissant un minimum d'acquis linguistiques. La télévision embrouille les esprits avec son fleuve continu de verbiage. Un discours politique n'est plus l'occasion de réfléchir à haute voix sur une question complexe, mais plutôt de proférer des clichés et de placer des sound bites* que les médias vont ensuite répéter inlassablement. Résultat: lorsque les interventions de Sarah Palin deviennent rigoureusement incompréhensibles, beaucoup de gens ne le remarquent même pas. On ne se souvient que de son sourire, de son air confiant et optimiste et éventuellement d'une saillie bien préparée.
Par contraste, Barack Obama, qui a passé son enfance en dehors du continent américain, parle sans accent régional et se sert d'un vocabulaire riche et de propositions subordonnées pour exprimer une pensée souvent subtile. Du coup, certains l'accusent d'être “professoral” ou “snob”. C'est un comble, non?
* Une petite phrase d'une durée moyenne de dix secondes prononcée par un homme ou une femme politique pour être citée dans les journaux télévisés.
Par
Ajouter un commentaire