Regarder, rêver, ressentir, la Laponie est une expérience plus qu'un voyage. Le Grand Nord est le nouvel exotisme. A juste titre. Magnifique, sans pollution, sans agressivité. Et s’il vous honore d’une aurore boréale, vous vous sentez béni des dieux. Mais rien n’est jamais assuré et la chance se mérite…
Voyage dans le Grand Nord
A la rencontre des aurores boréales
Au cinquième jour de notre périple en Laponie finlandaise, le ciel nous a entendus. Sous l’effet, qui sait, du « yoïk », chant traditionnel que nous a offert Anu notre hôtesse Samie* dans son costume traditionnel bleu, rouge et jaune en s’accompagnant d’un tambour en peau de renne qu’elle s’est fabriqué. Nous l’avions rencontrée deux jours auparavant dans sa cabane ronde ou Kota, devant le feu de bois central. Autour d’un bol de jus de myrtilles chaud, elle avait pris son tambour comme le faisaient les chamanes de son peuple et chanté pour nous, yeux fermés, des mélopées envoûtantes, les yoïk. Elle avait inventé l’un d’eux pour sa fille aînée, histoire de lui dire, ou plutôt lui chanter combien elle l’admirait. Alors voir enfin une aurore boréale, tout au Nord à Nellim, c’est peut-être pour ce soir.
Les guides nous confient que, jusqu'à présent, de nombreux asiatiques croient que faire l'amour sous une aurore boréale garantit une grossesse prochaine et presque assurément un garçon. D'où, disent-ils, la ruée de nombreux touristes asiatiques sur les igloo-hôtels...
En attendant nous prenons la longue route rectiligne et glacée bordée d’épineux et de bouleaux aux troncs gris argenté depuis Rovaniemi, qui abrite le célébrissime village du « vrai » Père-Noël qui ressemble plus à une arnaque marketing qu’à un village de rêve. Une bonne heure de queue (et encore ce n’est pas la période de Noël) pour, clic-clac, passer deux minutes chrono assis avec le Père-Noël pour la photo. Un environnement étonnamment kitsch où, tourisme oblige, on construit encore et encore des lieux d’hébergements. Des galeries de fast-foods et de petites boutiques bourrées d’objets « made in China ». On peut passer son chemin.
La route, aux arbres figés dans le givre, est nettement plus enchanteresse. Une halte à l’Arctic SnowHotel avec son hôtel de glace mais aussi ses snow saunas uniques au monde, creusés dans la neige, est une bonne étape pour un dîner savoureux et sain : un délicieux velouté de champignons, du saumon fumé près du brasero central entouré de pommes de terre et agrémenté de la célèbre sauce tartare et, pour finir, pommes cuites au feu aux baies rouges, incontournables compagnons de toutes les tables.
En attendant l'aurore boréale, vous pouvez toujours en rêver derrière la vitre ou aller à la rencontre des Huskys aux yeux bleus, impatients de vous emmener à la découverte de la forêt enneigée.
A Rovaniemi puis à Luosto, distante de 120 km, les hôtels nous avaient confié, en même temps que la clé de la chambre, un téléphone spécial. Il devait, jusqu’à deux heures du matin, nous alerter en cas de survenue d’une aurore boréale pendant notre sommeil. Les touristes qui auront réservé, dans certains hôtels, une chambre igloo grand confort (mais coûteuse) à la coupole en verre, peuvent tout simplement rester sous la couette, éteindre toutes les lumières et regarder le spectacle, si spectacle il y a. Ce ne sera pourtant jamais pareil qu’au grand air sous les étoiles, loin des lumières électriques. Mais même sans ce "clou du spectacle", vous vous sentez au bout du monde, ce qui est partiellement le cas, mais à seulement quatre heures de Paris... Il suffit d'accompagner loin dans la forêt un éleveur de rennes comme Petri Mattus du côté d'Ivalo pour ressentir que oui... on est vraiment ailleurs. Fier de son appartenance au peuple Sami, il emmène un tout petit nombre de privilégiés à la rencontre de son troupeau. Et bientôt, à son cri d'appel, des dizaines de petites têtes aux bois veloutés pointent entre les mélèzes. Et Petri sourit : "tu vois, ici c'est mon bureau, est-ce qu'on peut en rêver un plus beau?"
On ne vient pas dans le grand nord sans espérer, avant tout, voir une aurore boréale. Mais le cadeau n’est réservé qu’à quelques uns selon le bon vouloir des vents solaires et de la météo. Les autres auront droit quand même à la magie de la nuit polaire. Et puis, les aurores boréales ont un caractère définitivement imprévisible. Et elles se méritent. Il faut, de préférence, monter tout au Nord de la Laponie finlandaise et se décider à sortir la nuit hors du village où vous résidez.
21h30, l’heure de partir à la chasse dans la région de Nellim à 330 km de Rovaniemi. Une chasse pacifique et même poétique. Le ciel ce soir s’est dégagé, c’est un bon début. Anthony Oberlin le guide francophone du Wilderness Hotel, le seul de la bourgade qui se trouve à deux pas de la frontière russe et à 150 km de l’Océan arctique, scrute le ciel d’un air satisfait. Autour du feu de bois qu’il vient d’allumer avec de l’écorce de bouleau dans un trou dans la glace, il se souvient avoir vu, l’an dernier, une Singapourienne de 86 ans qui pendant six jours mettait le réveil à sonner toutes les deux heures pour ne prendre aucun risque de rater une aurore. En vain. Jusqu’au septième jour où, épuisée, elle était partie en sortie nocturne avec Anthony et là, devant son rêve enfin concrétisé, il l’a vue pleurer. C’était, disait-elle, le rêve de sa vie. Il en est resté ému.
Et soudain le ciel sombre révèle la couleur
En journée, Anthony organise des sorties de moto-neige, de ski ou de raquettes. Le soir ce photographe, Colmarien d’origine, devient chasseur d’aurores boréales. Il ne s’en lasse jamais depuis quatre ans qu’il a décidé de vivre en Laponie finlandaise par amour de cette nature intacte, de ces espaces infinis et du sentiment de liberté qui gagne tout un chacun.
En s’écartant un peu du village plus aucune lumière ne vient polluer la vue. Sauf, ce soir-là, celle de la lune, presque pleine, et d’une quantité incroyable d’étoiles. Côté vêtements vous avez enfilé et superposé tout ce que vous avez emporté de plus chaud : deux sous-pulls, deux pulls, deux leggings « techniques », deux paires de chaussettes, la combinaison de ski et la doudoune en plus. Sans compter écharpe, bonnet et capuchon bordé de fourrure. Le froid est mordant. Une première trace, ténue et verte apparaît. Le silence est si impressionnant qu’on entend ses palpitations cardiaques et ça et là le craquement de la glace de la rivière Paatsjoki figée sous le pont près du village de Nellim qui jouxte la frontière russe. On ne quitte pas le ciel des yeux. On se prépare au mystère naturel des vents solaires émanant de l’astre du jour vers notre planète. .
Alentour tout est noir et blanc jusqu’au moment où la scène se met en technicolor. Le vert se précise comme des traînées de fumée émeraude qui viennent de l’horizon et se déplacent lentement. Il se passe quelque chose d’exceptionnel à l’évidence. C’est le moment de croire, comme les Inuits ou les Samis que c’est l’esprit de nos morts qui vient amicalement nous saluer et qu’il convient de ne pas effrayer par le moindre bruit. Selon d’autres légendes Sames de la région, ces traînées magnifiques qui cheminent à travers les étoiles sont la queue d’un renard de feu géant courant dans la neige et projetant au ciel des flocons de neige colorés qui balaient la voûte céleste.
Bien sûr pour meubler la journée vous avez skié, fait de belles balades tirés par les huskys aux yeux bleus ou par les rennes à travers les forêts enneigées, ou fait peut-être votre baptême de moto-neige et fini par un sauna. Vous avez aussi visité, dans les hauteurs de Luosto, la mine d’améthyste la plus ancienne du monde avec Timo Seppälä, son intarissable directeur et creusé un coin de terre pour y déterrer quelques améthystes que vous êtes invité à emporter. Ou peut-être visité les mines d'or près de Saariselkä.
Mais vous le savez bien : ce frisson particulier qui ne doit rien au froid mais tout à l’émerveillement, est dû à l’aurore boréale en elle-même et à la conscience de la chance que vous avez d’en avoir vu.
Par Evelyne DREYFUS
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