Quelques pièces parnassiennes où le jeu est le maître-mot. Je ne l’ai pas fait exprès mais en ce mois d’avril où l’on ne se découvre évidemment pas d’un fil, je vous emmène dans la rue de la Gaîté, dite rue des 5 théâtres au Rive-Gauche jouer aux échecs, au théâtre Montparnasse voir de Grandes Filles s’amuser et à quelques pas de là au Poche-Montparnasse, où l’on joue à maître et valet.
The Servant: Délicieusement décadent ou quand le maitre se fait valet
Sur la petite scène comme son nom l’indique du Théâtre de Poche, le Chesterfield suggère le salon d’une maison anglaise cossue. Tony rentre d’Afrique et retrouve son meilleur ami Richard et Susan, son amie de cœur. Il engage Barret, un valet, majordome d’une obséquiosité remarquable qui flatte les mauvais penchants de son maître, l’alcool et la paresse qui est peut-être du vague à l’âme, qui sait. Car dans la pièce tout est « peut-être… » Barret peu à peu, coupe Tony de ses amis à coups de bons petits plats et d’attentions excessives. Il le rend dépendant de lui jusqu’à lui apporter sur un plateau, le sexe à domicile, une soi-disante nièce, Véra, qu’il fait engager comme bonne. Le maître arrivera-t-il à se dépêtrer de la toile si bien tissée ?
La mise en scène de Thierry Harcourt est sobre et maitrisée. Tout est pénombre sur la scène comme dans le cœur des protagonistes où l’ambiguïté règne en maître… Car il n’y a pas que l’argent qu’envie Barret. Il désire le dominer mais peut-être le désire-t-il tout court. Le glauque et la décadence planent. Les comédiens jouent chacun leur partition complexe et bourrée de non-dits avec finesse. Maxime d’Aboville est un parfait Barret. Xavier Lafitte prête son charme à Tony, passant de l’homme superbe à une petite chose sans volonté. Adrien Melin, incarne Richard, l’ami déçu. Alexie Ribes au parler juste, a le charme et l’élégance et aussi l’autorité de la petite amie clairvoyante. Roxane Bret a du tempérament mais peut-être pas assez de perversité dans son jeu pour le rôle de Véra.
Un très bon spectacle qu’on peut disséquer ensuite entre amis au bar du théâtre et évoquer le film de Losey avec Dirk Bogarde, vénéneux à souhait.
Théâtre de Poche Montparnasse - The Servant de Robin Maugham, mise en scène Thierry Harcourt avec Maxime d’Aboville
Le Joueur d’échecs
Eric-Emmanuel Schmitt a adapté la nouvelle de Stefan Zweig que ce dernier a écrite avant de se suicider avec son épouse. Il prend la liberté de placer l’écrivain dans la peau du narrateur en le faisant témoin et acteur de l’histoire. Zweig embarque avec sa femme sur un navire en partance pour l’Amérique du Sud. Il ne reviendra pas. Nous sommes en 1942 et la guerre fait rage. Sur ce bateau, il croise le champion du monde d’échecs, rustre et rapiat, qui fuit la compagnie. A force d’argent, un riche américain le convainc de jouer contre lui un match qui attire l’attention des passagers. L’un d’entre eux, Monsieur B, se met à le conseiller, si bien, qu’il force le champion à abandonner. Mais qui est cet homme ? Poussé par Zweig, il raconte. Il n’a pratiqué les échecs que dans sa tête jusqu’à presque en perdre l’esprit.
La scène biscornue du Rive Gauche est toujours un casse-tête pour le décorateur qui arrive pourtant à recréer une passerelle de navire avec de gros hublots, des malles, une radio et une ambiance sonore maritime.
Francis Huster seul en scène, joue le narrateur de la nouvelle de Stefan Zweig, Monsieur B et le champion tandis qu’une voix off incarne Lotte sa femme. Francis Huster n’est jamais aussi bon que dans le monologue multi-rôles. La pièce lui donne l’occasion de montrer sans en faire trop son talent exceptionnel quand Monsieur B se lance dans le récit de la torture psychologique dont il a été victime par les nazis et son apprentissage mental des échecs.C’est une performance qui vaut par sa dextérité à passer d’un personnage à l’autre mais aussi à incarner toutes les facettes désespérées de Monsieur B qui pousse son esprit aux confins de la folie. La présence off de l’épouse n’ajoute rien à la pièce et la sonorisation de Francis Huster, non plus. Un détail.
Francis Huster, dans la pièce Le Joueur d'Echecs
Théâtre Rive Gauche - Le Joueur d’échecs de Stefan Zweig adaptation Eric-Emmanuel Schmitt avec Francis Huster; mise en scène Steve Suissa
Les Grandes Filles
Elles sont au nombre de quatre. Chacune est habillée d’une couleur dominante : la rose, témoin de Jéowah, la rouge, d’origine juive, la bleu, musulmane et la mauve, catholique d’obédience lesbienne. Elles évoluent dans la catégorie senior plus et ont l’habitude de se retrouver, de papoter, d’échanger malgré leurs différences et leurs différents. La pièce commence le premier janvier et se termine sous la neige et peut-être au Paradis… qui c’est ? Malgré le jeu des comédiennes qui sont de vieilles (sans leur faire injure) routières des planches, je ne suis pas entrée dans l’histoire qu’il n’y a pas d’ailleurs. Chacune vient tour à tour raconter un peu de sa vie et deviser avec les autres dans des tableaux successifs qui hachent peut-être le propos. L’écriture est à la fois très ou trop travaillée, laissant peu de place à l’émotion et au sourire. La poésie vient du décor innovant et original fait de grands cadres disposés à angle droit en fond de scène. A l’intérieur, des dessins style bande dessinée qui campent les foyers de chaque dame et illustrent les saisons qui s’égrènent.
Dommage… on peut passer son tour.
Théâtre Montparnasse Les Grandes Filles de Stéphane Guérin mise en scène Jean-Paul Muel avec Geneviève Fontanel, Judith Magre, Claire Nadeau et Edith Scob
Par Véronique GUICHARD
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