Une Seconde Femme - Interview du réalisateur, Umut Dag

« Une seconde femme », premier long-métrage d'Umut Dag et coup de coeur du 62e festival de Berlin, sort le 6 juin sur les écrans. Né à Vienne il y a 29 ans, Umut Dag, a voulu montrer le destin d'une famille turque émigrée en Autriche, où 'les femmes transforment à leur profit le système patriarcal traditionnel'. Interview.


Ummut Dag, réalisateur de 'Une seconde femme'


Toutpourlesfemmes - Vous êtes né à Vienne où votre famille, d'origine kurde, a émigré. « Une seconde femme » est votre premier long-métrage. Vous avez voulu montrer une famille ancrée dans ses traditions, peu perméable à son environnement, la société autrichienne en l'occurrence. Pourquoi ce choix ?

U.D. : La famille que nous suivons dans « Une Seconde Femme » ne peut être considérée comme le stéréotype d'une famille traditionnelle turque. Toutefois, il existe des familles qui ressemblent à celle de Fatma, notamment dans la première génération d'immigrants installés en Europe.

Celles-ci ont emporté leurs traditions avec elles. Elles ont surtout peur de les perdre. Une des choses que j'ai voulu montrer est la grande difficulté qu'elles ont à gérer cette situation. En choisissant de rester dans un microcosme turc, elles doivent porter un masque en permanence, afin de préserver ces liens ténus, tissés entre chaque membre de la communauté. Il m'a paru intéressant de montrer comment cette situation extrême génère des décisions extrêmes, à l'instar de celles de Fatma.

Toutpourlesfemmes -Vous avez pris le parti de montrer les femmes d'une cellule familiale, alors qu'en général, ce sont les hommes qui sont mis avant. Dans votre film, les hommes sont en second plan. C'est un prisme rarissime dans des sociétés où la domination masculine est prégnante. Qu'est-ce qui vous a amené sur ce terrain ?


U.D. : Je trouve qu'il y a trop de films sur les hommes (rires), trop de films dans lesquels les femmes sont montrées comme la main secourable qui vient aider au développement du héros, ou bien comme la victime. Je trouve ça ennuyeux. Pour moi, il est beaucoup plus intéressant de prendre l'angle de vue des femmes et d'essayer de comprendre leur comportement dans une telle situation, décrite dans le film.

Toutpourlesfemmes -Le personnage de la mère, Fatma est très fort. C'est elle qui dirige, décide, gère. Est-ce une figure maternelle courante dans la société turque, notamment émigrée ?

U.D. : Les mères gèrent tout. Elles doivent décider, faire avancer toute la famille, elles y sont obligées. Elles sont presque des managers de petites entreprises. Elles doivent tout administrer dans un contexte très particulier, puisqu'elles appartiennent à ce microcosme turc.

Il leur revient d'associer l'entretien domestique, la bonne éducation des enfants et l'obligation de toujours donner une bonne image de leur famille à la société. Ces femmes sont constamment sous pression. Elles refusent de laisser paraître leurs faiblesses, elles se doivent d'être fortes quoiqu'il arrive. C'était très intéressant pour moi de montrer de telles femmes.

L'autre but était d'analyser comment elles réussissent à tourner un système clairement patriarcal à leur avantage, comment elles utilisent cette culture masculine pour asseoir leur propre pouvoir au sein de la famille. En principe, les femmes n'existent pas pour elles-mêmes, parce qu'elles vivent pour les hommes. Mais on observe dans ce film que Fatma utilise tout ce système à son profit.

Toutpourlesfemmes - Le rôle du secret dans la famille: le faux mariage du fils, l'homosexualité de ce dernier que l'on apprendra plus tard... tous les membres de la famille sont au courant. Mais on devine que pas un ne parlera. Pas même les enfants. Comment est-ce possible ?


U.D. : Pour les enfants, tout ce que dit la mère a force de loi. C'est la raison pour laquelle ils ne songent même pas à dire quoi que ce soit. Si la mère fait quelque chose, ils ne pensent pas à lui demander pourquoi, et même s'ils le faisaient, la mère ne répondrait pas. Ils grandissent dans des familles aux règles très strictes : pour eux, le silence est tout à fait normal.

Toutpourlesfemmes - Le personnage principal, Fatma est toute douceur à l'égard d'Ayse. Mais la deuxième partie montre que cette bienveillance n'est qu'apparence et manipulation. Comment analysez-vous la violence si bien cachée de Fatma ?


U.D. : La découverte de la relation d'Ayse avec un homme extérieur à la famille, détruit la vie entière, la totalité du monde que s'était fabriqué Fatma. Ayse est sensée être la prochaine Fatma. Psychologiquement parlant, elle doit prendre sa place lorsque celle-ci aura succombé à la maladie. Elle est surtout la seule à qui Fatma puisse s'ouvrir, à qui montrer ses faiblesses. Et c'est parce qu'elle doit être forte comme une mère de famille, y compris aux yeux de la société, qu'Ayse a le droit de voir ses faiblesses. Elle était en train de devenir la personne la plus importante dans la vie de Fatma. Donc le moment où l'on se rend compte qu'Ayse fréquente un autre homme vient tout détruire. Toute l'idée de Fatma, tout son monde... explose. Elle n'est plus seulement en colère, elle est aussi cruellement déçue.

Toutpourlesfemmes - Vous êtes né à Vienne où votre famille, d'origine kurde a émigré.. A travers « Une seconde femme », votre premier long-métrage, avez-vous cherché à parler de vos racines?



Umut Dag - Mes origines et mes traditions ne sont pas précisément celles-ci. Cette histoire très particulière, n'est pas pour moi une façon de remonter à mes origines.

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Par Elsa Menanteau et Mathilde Saliou
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