Le festival flamenco de Nîmes 2013 a refermé ses portes jusqu'à l'année prochaine. Cette année est un bon crû. Pas de faute de goût. La programmation s'est révélée équilibrée entre chant, danse et théâtre flamenco dont il est difficile de faire abstraction aujourd'hui.
Je vous invite à un tour de festival en cinq spectacles, tour partial et non exhaustif.
Flamenco en el recreo
« Flamenco en el recreo » est la divine surprise du spectacle pour enfant en ouverture du festival. Le rideau s'ouvre sur le guitariste Rafael Rodriguez. Une voix vient des coulisses, celle de Javier Ribera. Il prend Rafael Rodriguez par l'épaule et le pousse vers le centre. Bulería. Leonor Leal, puis El Chorro entrent en dansant à pas de loup. La musique s'arrête, les musiciens se retournent et les danseurs pilent. Des rires cristallins fusent des quatre coins de la salle pour saluer cette reprise de « Un, deux, trois soleil ». En deux letras (paroles) et deux pirouettes, Leonor Leal a mis le jeune public dans sa poche.
Avec ses cheveux coiffés à la garçonne, sa silhouette frêle et sensuelle, elle est l'incarnation de l'humour et de la vitalité. Au jour d'aujourd'hui, peu de danseuses réunissent autant de qualités. Elle n'arbore pas un visage torturé et furieux , quand elle ne sourit pas largement, elle affiche une moue ironique. Elle est toujours dans la distance, loin d'un certain pathos qui fait flores dans le baile féminin.
Son compagnon de scène n'est pas en reste. El Chorro danse enraciné dans la terre. Son alegría est un appel à la fête. La sevillana de fin est, comme elle devrait être, une danse légère, pleine de coquetterie, d'ironie, de fâcherie, « tu me prends, je te repousse » et de grande réconciliation. Moment intense de séduction et de sensualité. Javier Ribera et Rafael Rodriguez jouent formidablement le jeu. Ils prennent leur part pleine et entière dans l'apprivoisement des enfants qui, comme chacun sait, est le public le plus exigeant du monde. Avec eux, un bide est un bide, sans circonstances atténuantes. Et là, ils ont fait aux artistes un triomphe, artistes qui n'avaient choisi ni facilité ni le nivellement par le bas.
Deux des grands moments du festival furent réservés au plus petit nombre. Les concerts acoustiques de José Mendez et Antonio Moya, et de Rocío Márquez et Alfredo Lagos.
José Méndez et Antonio Moya
A l'institut d'Alzon, lieu moche, mais spacieux à l'acoustique très correcte, José Méndez accompagné par la guitare d'Antonio Moya donne un récital sous tension. Il a chanté une heure un quart sans jamais baisser la garde. Deux grands, grands moments : la siguiriya et la bulería, celle de sa tante La Paquera, avec ce grand lelele qui met l'auditeur sur les rotules en deux temps trois mouvements. L'accompagnement d'Antonio est toujours aussi poétique et inspiré. Première parenthèse enchantée du festival.
Rocío Márquez et Alfredo Lagos
La deuxième est à mettre au crédit d'une femme, Rocío Marquez, une semaine plus tard. Quatre vingts places seulement dans un endroit impossible, un no man's land, ZAC ou ZUC, dans une espèce de tortue métallique posée sur un socle en béton en plan incliné, parfait pour prendre un gadin, bien nommé Paloma. Qu'importe. Être là relevait du parcours du combattant, mais assis dans la petite salle, on oublie tout.
Rocío Márquez a été somptueuse. Son tandem avec Alfredo Lagos fonctionne parfaitement, la complicité entre eux est palpable. Elle a considérablement mûri et chanté une siguiriya magnifique. Ayant un deuxième récital programmé en catastrophe, elle aurait pu le faire à l'économie. Crânement, elle a chanté jusqu'au bout de sa voix et de son âme.
Extremadura
La carte blanche donnée aux artistes d'Extremadura est en soi un petit miracle. Elle résulte d'un partenariat avec la région espagnole, pour la deuxième année consécutive. Elle permet de découvrir des artistes sans a priori, puisqu'on les découvre souvent lorsqu'ils arrivent sur scène.
En première partie, la jeune perle du cante de Badajoz, Celia Romero, gagnante du trophée du concours de La Unión, « La Lámpara minera ». Avec beaucoup de culot, elle a commencé son récital par un chant a palo seco, une trilla, chant de laboureur, remontant toute la salle, vers la scène. Très beau. Elle a un répertoire étendu. Sans doute veut-elle en faire trop et elle me semble aller très loin dans la démonstration, se lançant dans des trilles périlleuses.
-Mais elle n'a pas 18 ans et j'imagine ce que peut représenter et le grand théâtre à Nîmes et un public français aussi froid que le temps. Elle est remarquablement entourée et accompagnée par le guitariste Francis Pinto et Félix, son frère jumeau, aux palmas.
Quant à la seconde partie, c'est la révélation de ce festival. Pedro Cintas, sorti de nulle part, ou plutôt du fin fond de l'Extremadura, a bluffé tout le monde.
Gitan, âgé de 36 ans, autodidacte, il chantait dans les fêtes familiales. Il a commencé une carrière professionnelle sur le tard. Le point culminant a été la siguiriya. Il a la technique et le vécu suffisants pour tutoyer les sommets. Formidable.
Antonio Moya y su gente
Je terminerai ce tour de festival par la carte blanche donnée à Antonio Moya. Antonio a choisi de s'entourer de tous ceux qui ont fait ce qu'il est. Ceux de Marseille ou de la Placette à Nîmes, son premier maestro Pepe Linares, Cristo Cortes, Jose de la Negreta, Paco Santiago et ceux de Utrera et de Lebrija, la famille Buena, sa femme Mari, les cousins Chacho Manuel de la Buena, José de la Buena, et José Chico, papi de 90 printemps, Jesús de la Frasquita, frère de Mari Peña, la Joaquina aux palmas, qui ne dédaigne pas d'esquisser trois pas de bulería, et Carmen Ledesma essentielle au regard de la dérive actuelle du baile. Sans oublier la seconde guitare, Noño Santiago. Un pur plaisir. Et Antonio soutient tout son monde avec élégance. Notre nonagénaire est bluffant, il a un swing d'enfer. Les soleares, dansées par Carmen Ledesma, chantées par Cristo Cortés, Paco Santiago, José de la Negreta et Jesús de la Frasquita, sont un des grands moments de la soirée.
Nous connaissions le talent de Mari. Mais cela va toujours mieux en le disant et en le répétant. Sa sensibilité à fleur de peau, son incapacité à négocier un public la lancent sans filet sur le devant de la scène. Elle chante des tientos somptueux, les tangos sont allègres. Il faut la voir pleurer en écoutant la siguiriya chantée par son cousin. Sa générosité ne peut être comparable qu'à celle de son mari Antonio qui s'efface derrière toute sa famille et ses amis, avec une grande humilité et beaucoup de talent.
Cette soirée peut être vue et entendue comme une leçon de vie et un hymne à l'humanité. Par les temps qui courent, c'est rare. Profitons-en.
Si vous aimez les photos qui illustrent cet article, signées Jean-Louis Duzert, si vous vous intéressez au flamenco et à son environnement, je ne saurais trop vous recommander «Balada Flamenca», photos de Jean-Louis Duzert, textes de Ludovic Pautier.
Chants ou palos : Bulería, alegría, sevillana, siguiriya, trilla, solea, soleares, tientos, tangos
a palo seco : sans accompagnement
a palo seco : sans accompagnement
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