Portraits de femmes d'Afrique du Sud qui se sont distinguées, -durant l'apartheid et depuis-, par leur engagement dans les domaines des droits de l'homme, de la lutte contre les discriminations et de la santé notamment.
Ces Africaines du Sud font partie des portaits-interviews, publiés dans le livre 'Femmes d'Afrique, bâtisseuses d'avenir'. Après 'Elles font bouger l'Afrique', l'Association Française d'Amitié et de Solidarité avec les Peuples d'Afrique (AFASPA) publie ce nouvel ouvrage dans lequel 73 femmes témoignent de leur rôle et les raisons de leur engagement dans les secteurs politique, social, de la santé, environnemental notamment dans 31 pays d'Afrique.
«Créatrices, elles utilisent l'image, l'écriture, le pinceau ou les paroles de chansons pour éveiller les consciences, dénoncer les dérives ou faire tomber les tabous. Elles ont un dénominateur commun : le refus de la résignation»: une belle définition pour ces femmes qui «symbolisent ces millions d'Africaines, actrices du quotidien et bâtisseuses de l'avenir deleur communauté, de leur pays et du continent tout entier. C'est à elles que ce livre est dédié».
Jean Burgess: les droits de l'homme
-52 ans, née à Grahamstown. Présidente du Conseil Provincial (East Cape) des premiers peuples Khoekhoe, membre executif du conseil consultatif national des Khoe, membre du conseil sud-africain des chefs Khoe.
Jean Burgess est la septième fille d'une famille de 14 enfants, son père qui fabriquait des cercueils et sa mère était couturière. En 1963, avant même l'apartheid, le groupe, ethnique des khoe, auquel elle appartient, est dépouillé de tous ses biens et leurs terres deviennent propriété des fermiers blancs. Après des études à Grahamstown et à Cradock, elle va au Cap, dans une université réservée aux métis, où elle découvre le militantisme.
Après son mariage, elle s'installe au Cap «où je me suis investie dans une organisation de femmes (...) Au contact de toutes ces femmes de différentes cultures, j'ai paradoxalement fait la découverte de ma vie : nous étions le premier peuple de ce pays. Je me suis alors plongée dans l'histoire de ce peuple», raconte-t-elle. Cet engagement lui vaudra deux séjours en prison en 1986 et 1988 dans des conditions extrêmement dures.
Aujourd'hui, Jean Burgess analyse ainsi cette période sombre de son pays: «L'apartheid était d'une violence inouie qui n'avait pas besoin de se justifier. Onze ans après je n'éprouve aucune haine envers les Blancs. il m'arrive en revanche de plaindre certains d'entre eux. Parceque pour agir comme ils ont agi, il faut que quelquechose leur manque. J'ai compris ce que c'était : la spiritualité. Nous avons notre terre et nos ancêtres. Inconsciemment, je reproche aussi aux Blancs de nous avoir imposé un système. L'ouverture de l'économie a permis aux riches de devenir plus riches et a créé une élite noire. Mais la plupart sont très pauvres. »
Gail Johnson: contre les discriminations liées au sida
-62 ans, née à Port Elizabeth, militante anti-sida, fondatrice du refuge de Nikosi, qui au coeur de Johannesburg accueille gratuitement des mères contaminées par le VIH-Sida, leurs enfants et des orphelins
Adoptée à l'âge de six semaines par un couple sud-africain anglophone, Gail Johnson finira par retrouver sa mère biologique, une afrikaner que sa famille conservatrice l'avait forcée à abandonner car elle était célibataire. «Je l'appelle Mum, mais nous n'aurons jamais une relation mère-fille. C'est une amie», commente-t-elle.
Gail Johnson date de 1990 sa prise de conscience politique lorsque le frère d'un de ses amis meurt d'une amladie liée au sida. «J'ai vu l'isolement, la discrimination... Je me suis dit qu'il falait faire quelquechose», raconte-t-elle. Tout en continuant à gérer son cabinet de conseil en relations publiques, elle aide à la création d'une maison d'accueil spécialisée. Elle recueille chez elle Nkosi, un enfant de 2 ans, dont la mère biologique meurt en 1997. Lorsque Gail Johnson veut inscrire l'enfant séropositif dans une école de quartier, elle se heurte aux protestations de certains parents. La justice donne raison à Gail Johnson et Nkosi devient un véritable héros de la lutte contre les discriminations liées au sida.
Avant sa mort, Nkosi a pu annoncer, en 1999, la création d'un refuge qui porte son nom à Berea, un quartier populaire de Johannesburg, où sont recueillis mères et enfants malades du sida qui bénéficient de soins et de soutien psychologique. Enfants et adultes se partagent les tâches ménagères.
Gail Johnson a aussi créé une ferme qui emploie dix salariés et fournis
le refuge en produits frais et un «village», avec une crèche, un dispensaire et un atelier de travail qui devrait accueillir une centaine de femmes et autant d'enfants. «Nous ne nous soucions pas assez de nos enfants dans ce pays!», estime Gail Johnson.
Nozizwe Madlala-Routledge: pour l'égalité des femmes
-58 ans, née à Umzumbe, députée ANC, ex-vice-ministre de la Défense, puis de la Santé, présidente du groupe des femmes du Parlement
Pour s'être opposée à la ministre de la Santé Manto Tshabalala-Msimang qui prônait les mérites de la betterave, de l'ail et du citron contre le sida, Madlala-Routledge a été évincée de son poste de vice-ministre de la santé. Cette ancienne militante de l'ANC et du Parti communiste poursuit néanmoins son combat hors du gouvernement.« Ma mère était institutrice, comme son père, comme ma soeur. Elle avait reçu une très bonne éducation, catholique. Elle nous a enseigné que même si la vie n'est pas facile, il ne faut pas baisser la tête, on ne doit jamais se laisser aller», raconte-t-elle.
C'est au séminaire pour filles d'Inanda, près de Durban que s'éveille sa conscience politique. Entre 13 et 17 ans, elle reçoit une éducation «pour Noirs» mais pas construite contre les Blancs. Elle est aussi sensibilisée au concept de Black Consciousness, une philosophie qui devient populaire chez les étudiants sud-africains. Elle rejoint l'ANC en 1979 et jusqu'en 1987, elle fait plusieurs séjours en prison, parfois longs de plus d'un an.
Dans ses combats, Nozizwe Madlala-Routledge est passée d'une oppression à une autre. Future présidente de l'Organisation des femmes du Natal (NOW), elle comprend que la discrimintion n'est pas seulement raciale. «Beaucoup de problèmes concernent toutes les femmes du monde, du Nicaragua à l'Inde. J'ai découvert qu'on pouvait lutter ensemble», proclame-t-elle.
En 1990, lorsque s'écrit la constitution de la nouvelle Afrique du sud, elle cofonde la Coalition nationale des femmes et elle obtient qu'au sein de l'ANC, les structures sont occupées à 50% par des femmes.
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- Musique : les Mohotella Queens
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- 21 rue Letort - 75018 Paris
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