à la Pinacothèque de Paris. « Le peintre du déchirant »
L'écrivain d'art suisse Pierre Courthion qualifiait Chaïm Soutine de 'peintre du déchirant ». C'est en effet le sentiment qui ressortait à la visite de la très belle exposition organisée par la Pinacothèque de Paris, sous la direction de Marc Restellini. Forte de son succès, cette première grande exposition consacrée à l'artiste de l'école de Paris, dans la capitale, depuis 34 ans, a été prolongée jusqu'au 2 mars 2008.
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Une main, celle de Chaïm Soutine dans le portrait que fit de lui, en 1916, Modigliani, l'un de ses plus proches amis, tel est le point de départ de cette exposition de 80 tableaux qui célèbre un des plus grands visionnaires de la peinture dans cette première moitié du XXème siècle. Dans ce portrait à la beauté simple et puissante, Marc Restellini remarque que Soutine apparaît comme un personnage unique, hors norme, transfiguré. Grâce à une allusion subtile et masquée
*L'écartement très particulier des doigts de la main droite qui évoque le signe de la bénédiction des Cohen, une des familles dont étaient issus les grands prêtres du Temple
, Soutine est présenté par Modigliani comme un sage parmi les sages, un élu parmi les élus.
Le mystère Soutine
Formidable et respectueux hommage d'un artiste à un autre qui soulève cependant nombre de questions sur le personnage même de Soutine, cet artiste dont la biographie est semble-t-il destinée à demeurer jalonnée de manques, de flous, de mystères. Bref,incomplète.
Qui était Soutine, cet homme arrivé à Paris du fin fond de la Russie en juillet 1913 ? Difficile de répondre tant les pistes ont été brouillées par l'artiste lui-même. Les témoignages sont contradictoires : sale ou élégant, incapable de parler français ou récitant du Racine ou du Molière dans un français sans accent, gentil ou caractériel et colérique, tel est décrit le peintre. A l'inverse de Modigliani, Soutine a construit sa
légende, l'a mise en scène, l'a valorisée. Contrairement à son ami
devenu peintre maudit après sa mort, Soutine s'est créé cette
image de son vivant, sans l'avoir pourtant jamais été, selon le directeur de la Pinacothèque de Paris. Il est vrai que, malgré des passages très difficiles, de nombreux marchands et collectionneurs ont soutenu le peintre : Netter, Barnes, Zborowski, Guillaume,Castaing, Guérin, Gimpel, Bing, Loeb...
Une oeuvre atemporelle
Quel est le but de Soutine ? Peut-être nous laisser
confronter simplement et uniquement à son oeuvre,
clé centrale du personnage et de sa vie, seule oeuvre
expressionniste en France, si différente de celle des
expressionnistes allemands ou autrichiens, faute
d'être liée au contexte politique de l'époque. 'À la différence
de Schiele, Kirchner, Grosz ou Nolde, Soutine
ne dénonce rien, note Marc Restellini. Aucun message politique ne figure
dans son oeuvre, aucune révolte par rapport à son
temps. Comme dans celle de Modigliani, le temps
n'existe pas dans l'oeuvre de Soutine. Elle est atemporelle.
Soutine ne vit pas le malaise d'une époque ,
il peint une réalité parfaitement reconnaissable.'
Un scrutateur des âmes et de l'esprit...
Soutine le 'déchirant' est un formidable scrutateur des visages et des âmes. Dans ses portraits, il visite la personnalité des modèles qu'il choisit. Il en tire la quintessence
et exhume de chacun d'eux ce qu'aucun artiste n'avait su voir. Véritable visionnaire, il transcende une réalité pour la transformer en une
représentation imaginaire avec près d'un siècle d'avance. Par sa palette parfois flamboyante, il invite à la lumière ceux que l'on ne voit pas, ou à peine, ceux que l'on cache plutôt, le garçon d'étage, le petit pâtissier, la mère épuisée, laissant presque glisser son enfant de ses genoux...la folle. Inspiré comme Rembrandt par le boeuf écorché, il nous renvoie par sa force d'expression à notre propre chair, notre corps, notre première demeure. Après tout, y-a-t-il une telle différence de nature entre ce boucher planté à l'entrée de sa boutique et le boeuf suspendu à ses côtés ?
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Le catalogue de l'exposition “Chaïm Soutine”
Très documenté, le catalogue de l'exposition “Chaïm Soutine” permet de mieux cerner l'ensemble des aspects essentiels qui
font la force et l'unicité de Soutine : ses liens avec le Judaïsme, sa fortune critique, sa relation
triangulaire avec Albert Barnes et Paul Guillaume qui lui apportera fortune et notoriété mais
aussi ses caractéristiques artistiques, comme ses liens culturels avec le passé et l'avenir, sa
passion pour les séries comme Monet, et sa force d'anticipation. Autant de points qui
renouvelleront totalement le regard porté sur l'oeuvre de Chaïm Soutine et que, Itzhak Goldberg
Sophie Krebs, Jacqueline Munck et Marc Restellini développeront.
- Commissaire de l'exposition et direction éditoriale :
Marc Restellini, avec la contribution de:
- Jacqueline Munck, Conservateur en chef au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris
- Sophie Krebs, Conservateur en chef au musée de la Ville de Paris
- Itzhak Goldberg, Maître de conférences en histoire de l'art Université Paris X-Nanterre
- Notices, Marie-Christine Decroocq
- 150 illustrations,
240 pages ,
Editeur : Pinacothèque de Paris
Prix :
Broché 45 €,
Relié 55 €.
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Lire aussi :
- Pollock et le chamanisme, à la Pinacothèque de Paris
- Les Soldats de l'éternité
- L'Atelier Man Ray
- Juillet 1913, Soutine arrive à Paris.
- 9 août 1943, Soutine meurt à Paris des suites d'une hémorragie. Il est enterré le 11 août au cimetière de Montparnasse.
Site : www.pinacotheque.com
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