Égalité professionnelle, interview d'Elisabeth Ferro-Vallé

Elisabeth Ferro-Vallé a publié récemment ' Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes - Comprendre et agir' aux Editions AFNOR. A cette occasion, elle répond à nos questions et nous parle du Label Egalité Professionnelle entre les femmes et les hommes pour les entreprises, administrations ou associations et des avantages qu'il procure.




- Où en est-on aujourd'hui en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en France ?

Il subsiste des inégalités importantes liées aux freins mis à la carrière des femmes tout au long de leur parcours professionnel : recrutement, formation, promotion, accès à des postes à responsabilités... sans oublier les temps sociaux ainsi que l'orientation professionnelle initiale dont le choix restreint a un impact direct. Bien que la France ait le taux de natalité le plus élevé d'Europe et un taux d'emploi des femmes proche de celui fixé par le Conseil européen de Lisbonne, soit 60%, il convient d'avoir une approche plus fine pour observer la qualité de l'emploi :

> les femmes sont concentrées à 49,3% dans 11 des 86 familles professionnelles existantes constituées de filières saturées, dénuées de perspective de carrière et aux rémunérations faibles.

> 30,2% des femmes sont à temps partiel, elles représentent 82% de l'ensemble des personnes à temps partiel. Où est le choix quand on sait que les femmes affirment quatre fois plus que les hommes dans la même situation rechercher un temps complet ou souhaiter travailler davantage ?

> les femmes sont peu présentes dans les emplois d'encadrement : dans les trois fonctions publiques, elles représentent 59% des emplois et 16% des fonctions de cadre de direction , dans le secteur privé, elles constituent 42% des salariés, 25% des cadres avec des variantes selon le secteur d'activité, la taille de l'entreprise...

> la présence des femmes dans les instances dirigeantes est inversement proportionnelle à la taille de l'entreprise. Les conseils d'administration sont composés à 7,6% de femmes.

A noter la non représentativité des femmes (47% de la population active) dans les instances paritaires telles les conseils des prudhommes, les comités d'entreprise, les délégués du personnel...

- Quelles sont les inégalités les plus criantes ?

Sans forcément les mettre dans l'ordre et outre l'accès des femmes aux postes de décision abordé précédemment, on peut citer :

> les rémunérations, quelque soit le mode de calcul, il subsiste un différentiel de 11% inexpliqué. Les différences sont peut-être moindre dans le secteur public mais existent néanmoins.

> l'accès à la formation : d'une manière générale femmes et hommes cadres sont avantagés par rapport aux catégories employés, ouvriers et ouvrières surtout si cette catégorie appartient au secteur public. Cependant, au sein d'une même catégorie socioprofessionnelles, les femmes bénéficient moins que les hommes de formation que ce soit en heures ou en qualité du contenu. Ces différences sont renforcées par le temps partiel, véritable frein à l'accès à la formation.

> le chômage des femmes supérieur au taux des hommes surtout pour les moins de 25 ans (20,2% pour les femmes, 18,6% pour les hommes). Seuls les seniors, hommes et femmes, sont pratiquement à égalité sur ce point.

> Les inégalités tout au long de la vie se retrouvent au moment de la retraite que ce soit au niveau de l'âge de cessation d'activité (3 femmes sur 10 contre 1 homme sur 20 de la génération de 1938 ont attendu 65 ans pour obtenir une retraite à taux plein) ou des montants perçus (38% de moins pour la retraite globale et 52 % pour les avantages principaux de droits directs qui constituent la majorité de la retraite.

- Par rapport à d'autres pays industrialisés, où situeriez-vous la France dans l'échelle des inégalités professionnelles hommes femmes ?

Difficile de répondre, tout dépend sur quels critères on se base : présence des femmes dans les postes à responsabilités, diversité des choix professionnels, accès à la formation, écarts de rémunération, temps partiel, chômage... Globalement, la France n'est pas glorieuse dans ses résultats, une marge de progrès subsiste !

- De quelles bonnes pratiques peut-on s'inspirer ?

Tout organisme souhaitant lutter contre les discriminations liées au sexe peut s'inspirer des pratiques mentionnées dans mon ouvrage, des fiches élaborées par thème par le Club du Label égalité, du répertoire des bonnes pratiques de l'ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises)...

Les pratiques ne sont pas forcément à dupliquer en l'état mais à prendre comme source de réflexion pour mettre en place des actions adaptées au contexte de chaque organisme. Peut importe qu'il s'agisse d'une grande ou modeste mesure, c'est sa pertinence qui prévaut.

La mesure des actions menées est à ne pas oublier pour s'assurer de leur pertinence et leur visibilité.

- Concrètement, à quoi sert exactement le label égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes ? Pour les entreprises, administrations ou associations ? Pour les salariées ?

Le label égalité est un outil, un fil rouge pour réfléchir à la place des femmes et des hommes au sein de l'organisation puis appliquer concrètement l'égalité au sein d'une organisation. Réparti en 3 parties, il aborde un pré-requis incontournable : agir sur la culture de l'organisme puis s'intéresse à la plaque tournante de la démarche : la gestion des ressources humaines et le management pour terminer sur un élément de fidélisation et d'attractivité : les mesures en faveur de l'articulation des vies professionnelle et privée. 15 critères factuels permettent aux organismes de se poser les bonnes questions et d'élaborer une véritable stratégie interne. Loin d'être une fin en soi, le label permet d'aborder tous les points bloquants à la carrière des femmes et d'agir sur différents sujets pour prendre en compte l'humain.

Les hommes sont également impactés par ce travail notamment par la troisième partie du label relatif à l'articulation entre les vies privée et professionnelle : conditions de travail, accès à des services... mais également dans la possibilité pour eux d'accéder à des métiers traditionnellement connotés 'femmes' ou au temps partiel. L'objectif étant que chaque individu, femme ou homme, choisisse réellement sa vie sans être victime de la pression sociale : 'les hommes à la production, les femmes à la reproduction'.

Les organismes ressortent gagnants également d'une telle démarche car en augmentant l'accès à la formation, ils améliorent leur niveau de compétence et leur performance. En développant la mixité, ils fidélisent leur personnel (baisse du turn-over), deviennent attractifs (augmentation des candidatures spontanées) et ne se privent plus de 50% des compétences offertes par le marché du travail, améliorent les conditions de travail (baisse des postes lourds, amélioration des horaires).... La diversité des profils et parcours, par l'arrivée des femmes aux postes à responsabilité, concourent à enrichir la stratégie de l'organisme et son développement à terme.

L'égalité représente également un sujet consensuel entre les partenaires sociaux, un thème considéré comme mobilisateur pour la cohésion sociale.

- Le label égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes est-il le seul outil à disposition pour faire progresser la situation ?

Le label représente un outil performant pour accéder à l'égalité et est indissociable d'un instrument de mesure, élément phare de la démarche : le rapport de situation comparé des conditions générales d'emploi des femmes et des hommes dans l'entreprise (RSC). Obligatoire à partir de 50 personnes salariées, il constitue une photographie permettant de planifier les actions pertinentes pour résorber les inégalités puis de mesurer leur efficacité.

La mise en œ,uvre du cahier des charges du label peut s'accompagner d'aides de l'Etat comme par exemple les contrats de mixité ou d'égalité, les crédits d'impôts, l'aide à la GPEC lorsque l'approche sexuée est prise en compte...

Des organismes ressources existent également, le réseau du SDFE (Service des Droits des femmes et de l'égalité), la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité), l'ORSE, le Club du label égalité. Ils apportent leur aide sous forme d'accompagnement dans les aides de l'Etat, de publications, d'information...

- Le rôle de l'Etat, des lois, des réglementations européennes dans tout cela ?

Les inégalités étaient inscrites dans la loi notamment avec l'héritage du Code Napoléon où la femme mariée bénéficie d'une incapacité juridique totale qui a perduré jusqu'en 1938. De même, jusqu'en 1946 existait la notion de salaire féminin, moindre que celui des hommes et jusqu'en 1965, les femmes pouvait travailler mais avec l'accord de leur mari. Ceci n'est pas sans conséquence sur les mentalités et les représentations liées au sexe qui persistent encore aujourd'hui. L'Europe a été un aiguillon pour faire évoluer le droit français surtout dans le dernier quart du XXème siècle. A partir de ce moment là, l'égalité s'inscrit plus précisément. De 1972 avec l'apparition de la notion 'à travail égal, salaire égal entre les femmes et les hommes' à la loi de cette année sur l'accès des femmes dans les Conseils d'administrations, plusieurs lois sont nées comme notamment la loi dite 'Roudy' en 1983 avec l'obligation de négocier l'égalité professionnelle et de rédiger un Rapport de Situation Comparée (RSC), la loi dite 'Génisson' en 2001 qui précise les indicateurs à produire dans le RSC et la loi de mars 2006 sur l'égalité salariale. Ces lois restent incitatives et non contraignantes dans leur ensemble, les résultats statistiques mentionnés précédemment mettent en doute leur efficacité. Indispensables, elles ne règlent pas de facto les stéréotypes ancrés dans les mentalités.
Une nouvelle négociation entre les partenaires sociaux et l'Etat s'ouvre actuellement, à suivre dans son élaboration et son résultat fin 2010.

- Combien y-a-t-il d'entreprises labellisées aujourd'hui ? Des exemples ?

41 organismes sont labellisés à ce jour dont 3 administrations publiques : Ville de Rennes, Préfecture de Haute-Loire, Conseil Régional de Picardie et une association : L'Etape. Tous les secteurs d'activité sont concernés : des services (Alain Gavand Consultants, AXA France, Deloitte, SFVP...) dont les banques (BNP Paribas, Compagnie Générale d'Affacturage...), à la métallurgie (PSA) en passant par les transports (Autocar Planche), l'informatique (DELL) ou le bâtiment (Quille, Lainé Delau...). On trouve toutes les tailles d'organismes : des petits (AGEFOS-PME Champagne Ardenne - 20, Barbin SA - 12, International Language Organisation - 10...), des moyens (Adoma, BETC Euro RSCG, Dexia Sofaxis, Crédit Mutuel de Normandie...) et des grands (La Poste, EDF SA...).
La liste est disponible sur le site www.afnor.org.

- En matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes quel est le rôle des DRH ?

Leur rôle est moteur, la seconde partie du label leur consacre une grande part en terme d'exigences d'actions. Le rapport de situation comparée (RSC) émane de ce service.
Les DRH sont au cœ,ur du parcours des salariés au sein des organismes : recrutement, formation, promotion... Mais ils ne peuvent agir seuls. Sans l'implication de la direction et des managers, la participation des représentants du personnel, il devient plus difficile de faire évoluer le sujet !

- Constatez-vous une évolution des mentalités dans les organismes labellisés ? En dehors ?

Les mentalités évoluent dans les organismes labellisés grâce à un véritable travail de fond mené pour sensibiliser le personnel et tous les niveaux de l'organisme mais qui nécessite des piqûres de rappel. Le changement de mentalité doit également se faire au sein de la sphère privée car sans implication des hommes dans les tâches domestiques, l'égalité ne pourra aboutir complètement dans la sphère professionnelle. Les mentalités évoluent peu même si la récente étude sur la parentalité mettait en évidence une certaine implication des hommes mais ciblée sur les tâches plus visibles (aller chercher ou emmener les enfants à l'école, préparation des repas...).




Par Nicole Salez

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