Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque de Paris, conteste la technocratie culturelle actuelle
Les Soldats de l'Eternité et L'Atelier Man Ray, deux expositions phares à la Pinacothèque de Paris. A la tête de cet établissement, Marc Restellini. Après avoir dirigé le musée du Luxembourg, cet historien d'art, commissaire de diverses expositions à travers le monde, fait figure de dissident parmi les dirigeants de lieux d'exposition parisiens. Il répond à nos questions.
Par Nicole Salez
La Pinacothèque de Paris a d'abord été située près de la gare de l'Est, dans les anciennes cristalleries de Baccarat. Depuis bientôt un an, elle se trouve place de la Madeleine. Tel qu'il se présente aujourd'hui, ce lieu correspond-t-il à votre projet de départ ?
Oui. Je voulais un lieu polyvalent ouvert à un large public, de jeunes notamment, mais pas seulement. C'est le cas. Je souhaitais proposer des expositions qui se démarquent par rapport à ce que l'on trouve à Paris. Les quatre expositions qui ont été organisées depuis l'ouverture le 15 juin 2007, Roy Lichtenstein - Evolution, Chaïm Soutine, L'Atelier Man Ray, et Les Soldats de l'Eternité -Les guerriers de Xi'an, exposition qui se tient depuis le 15 avril parallèlement à la précédente, en sont la démonstration.
Le public répond-il à vos attentes ?
Il suffit de voir la fréquentation. 80 000 entrées pour Roy Lichtenstein, un bon chiffre, me semble-t-il, pour une première exposition qui a duré environ quatre mois, du 15 juin au 23 septembre 2007 , 310 000 pour Chaïm Soutine, du 10 octobre 2007 au 2 mars 2008, après prolongation, compte tenu de son succès , 1000 entrées/jour pour L'Atelier Man Ray qui se tient jusqu'au 1er juin. Quant à l'exposition Les Soldats de l'Eternité, elle suscite déjà beaucoup d'intérêt et nous enregistrons actuellement 3000 entrées/jour. A terme, notre objectif de fréquentation pour la Pinacothèque est 500 000 entrées par an.
Y-at-il un fil conducteur dans la programmation des expositions ?
Aucun, si ce n'est mon choix. Plus sérieusement, nous essayons d'apporter un regard nouveau sur les artistes, montrer des choses qu'on ne voit pas ailleurs. L'exposition Man Ray est typique de cette approche. Les œ,uvres et objets prêtés par le Man Ray Trust de Long Island permettent aux visiteurs de voir des choses qu'on ne voit nulle part ailleurs, des pièces qui n'ont jamais été montrées depuis la mort de Man Ray en 1976, à Paris. Avec Les Soldats de l'Eternité, c'est aussi à une approche différente de l'une des plus fabuleuses découvertes archéologiques du XXe siècle, les légions enterrées en terre cuite de l'Empereur Qin, que nous invitons les visiteurs jusqu'au 14 septembre prochain. Même chose pour l'exposition Georges Rouault qui aura lieu du 25 septembre 2008 au 18 Janvier 2009. A l'occasion du 50e anniversaire de la mort du peintre, la Pinacothèque de Paris présentera la première grande exposition consacrée à cet artiste à Paris depuis 1992. L'exposition permettra au public parisien de découvrir la collection japonaise Idemitsu. L'exposition Pollock et le Chamanisme, du 15 octobre 2008 au 15 février 2009, offrira, elle aussi, une vision complètement nouvelle de l'œ,uvre de ce grand artiste qu'est Jackson Pollock.
Dès l'accueil des gardiens, au look et au comportement différents de - ceux que l'on voit ailleurs, puis dans la scénographie des expositions, qui privilégie la pédagogie, avec des textes bien visibles qui accompagnent le parcours des visiteurs, pourrait-on dire qu'il y a « un style Pinacothèque de Paris » ?
C'est une façon d'attirer un large public, de jeunes notamment, qui ne va pas forcément au musée de façon habituelle. Par exemple, pour Man Ray, les jeunes sont venus nombreux.
-La Pinacothèque de Paris est un musée privé. Avez-vous appliqué ici les mêmes recettes, les mêmes modes de gestion qu'au musée du Luxembourg que vous avez lancé en 2000 et dirigé jusqu'en 2003 ?
Ils ont été adaptés, bien sûr, en fonction de l'endroit où se situe le lieu d'exposition d'abord. Ici, place de la Madeleine, nous avons pignon sur rue. Nous disposons d'un espace d'environ 2000 m2, le double de celui du musée du Luxembourg. Il y a deux salles qui, potentiellement, peuvent accueillir parallèlement deux expositions. C'est le cas actuellement avec L'Atelier Man Ray et Les Soldats de l'Eternité . Nous avons une boutique de produits culturels et un lieu de réception. C'est très différent du musée du Luxembourg. Et puis, le musée du Luxembourg et ses expositions sont forcément liés à son historique propre, ce qui limite la programmation. Etre ici nous apporte la liberté.
-Comment la Pinacothèque de Paris fonctionne-t-elle exactement ?
Les locaux, où nous nous trouvons, appartiennent au Crédit Agricole. Nous fonctionnons avec des amis du Musée, des collectionneurs et des fondations privées du monde entier. Nos recettes proviennent des entrées, de la boutique et de l'événementiel. A ce propos, nous organisons des visites privées des expositions et nous pouvons accueillir jusqu'à 350 personnes pour des réceptions.
Les autres musées parisiens vous soutiennent-ils pour vos expositions ?
Plutôt. Par exemple, pour l'exposition Soutine, le musée d'Art Moderne de la Ville de Paris et le Musée de Bordeaux n'ont pas hésité à nous prêter des œ,uvres. En revanche, le musée d'Art Moderne de Beaubourg a refusé. L'Orangerie avait accepté, mais la Direction des Musées de France a refusé le prêt accordé par le chef d'établissement, une semaine avant l'ouverture de l'exposition pour des raisons non scientifiques.
Est-ce à dire que vous êtes contesté dans le monde de l'art parisien ?
Jalousé, pas contesté, en tout cas pas face à moi. Et, même si je suis contesté par certains, moi, de mon côté, je les conteste.
Que contestez-vous exactement ?
La technocratie culturelle , le fait que l'art soit trusté par la Direction des Musées de France et la Réunion des Musées Nationaux. On se retrouve face à des bureaucrates, des administratifs. Malheureusement, c'est une plaie. L'histoire de l'art doit appartenir aux historiens de l'art, pas aux techniciens. Diriger un musée, ce n'est pas faire une carrière. C'est une vocation. Au début du siècle, et jusque dans les années 50, il y avait beaucoup d'historiens de l'art et les musées étaient dirigés par eux. Mais, maintenant... et le phénomène n'est pas seulement français, il est international. Les Kenes Clark, les gens qui ont l'art dans la peau, il n'y en a plus beaucoup. Une des vocations de la Pinacothèque de Paris est de remettre les historiens de l'art au premier plan, à travers ses diverses expositions. L'exposition Lichtenstein avait été faite par Jack Cowart. Celle qui s'ouvrira en octobre sur Pollock est l'œ,uvre de Stephen Polcari, universitaire américain important et auteur du meilleur ouvrage sur l'abstraction expressionniste américaine. Ces gens sont de grande valeur, et n'ont pas souvent l'occasion de s'exprimer en France. Si la Pinacothèque peut leur en donner l'occasion, c'est très important.
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