Belles (beaux), grandes (grands), petites (petits), grosses (gros), maigres, peu importe pour Jean-Paul Gaultier. Toutes les femmes, tous les hommes ont droit de cité dans son univers élégant et foldingue. Son critère déterminant est l'allure, la façon de marcher, de se tenir, d'être bien dans son corps. Après tout est possible.
L'exposition qui lui est consacrée au Grand Palais est un magnifique hommage au créateur et une parfaite synthèse de son travail. Très intelligemment, la mise en scène ne tient pas compte de la chronologie des créations, dans la mesure où tout est présent dès l'origine, dès ses débuts à 20 ans, avec ses collections faites de bout de ficelle ou plus exactement de chutes de tissu achetées au marché Saint-Pierre. Comme le dit très justement Gaultier lui-même, on trouve tout au marché Saint-Pierre. Telle une éponge, il prend tout. Tous les tissus, du plus soyeux et luxueux au plus rêche telle la toile Denim (de Nîmes), sont bon à travailler. Du sac poubelle au galuchat, tout est utilisable pour faire du beau.
Mais reprenons au début l'histoire de ce petit garçon, né en 1952 à Arcueil, près de Paris. Très proche de sa grand-mère qui l'initie à la machine à coudre et au cinéma, il voit avec elle un film fondateur qui décidera de sa vocation : « Falbalas » de Jacques Becker avec Micheline Presles, qui se déroule au sein d'une maison de haute couture. Jean-Paul Gaultier sera couturier, ou ne sera pas ! Il fait ses premières armes chez Pierre Cardin, fait un petit tour chez Jacques Esterel, deux petits tours chez Jean Patou et, en 1976, présente sa première collection de prêt-à-porter. Il lorgne vers la rue, un voyage dans le swinging London bouleversant sa vision des choses. Prenant conscience de la liberté incroyable qui régnait dans les rues londoniennes, le chapeau melon et le costume trois pièces se confrontant en toute sérénité avec les crêtes de coq, les cheveux rouges et les épingles à nourrice, il comprend que la mode éternelle est un va-et-vient incessant entre la rue et les salons feutrés de la haute couture. Tout devient sujet d'inspiration. Les corsets, comme un hommage à sa grand-mère, deviennent les incontournables de ses collections. Armures ou objets de séduction, ils sont déclinés en soie, en dentelle, en métal ou en cuir. Il va à Séville, et ses robes sont autant de parures pour les vierges des Douleurs, de l'Espérance, du Pilier qui sortent en grande pompe, parées comme des reines, lors de la Semaine Sainte et ses mannequins deviennent des toreros. Un voyage en Afrique, et ses modèles se mettent à ressembler à la magnifique sorcière de Kirikou. Un tour en Russie, et ses modèles deviennent des Anna Karenine de rêve. Rien ne l'arrête. Il a toutes les audaces.
Mais son fil conducteur est toujours là. Il joue sur les codes du genre, ses femmes sont parfois hommes ; et ses hommes parfois femmes ; ou encore androgynes tout simplement. Peu importe. Jean-Paul Gaultier utilise tout. Il lui importe que les gens soient libres et beaux, quelque soit leur sexe. Il a fait défiler le premier mannequin transgenre des années 80 Teri Toye, la chanteuse lesbienne proclamée Beth Ditto ; tout récemment, Andrej Pejić a défilé pour le couturier en homme, puis en femme, sous le nom d’Andreja, après une opération de changement de sexe subie en 2014. Toutes et tous peuvent porter la fameuse marinière blanche et bleue, déclinée de toutes les façons possibles.
Mais cette exposition vient rappeler que le couturier ne s'est pas contenté de créer des collections, il a touché à tout. Il a conçu des costumes pour le théâtre et le cinéma, les costumes de scène de Madonna, Kylie Minogue, Mylène Farmer ou encore Amanda Lear. Récemment, c'est au Crazy Horse que l'on a pu voir ses créations pour le spectacle « Crazy Bearded Club » de l'Autrichienne Conchita Wurst, travesti barbu.
Il faut saluer la mise en scène de l'exposition du Grand Palais qui montre des mannequins parlant aux visiteurs. Impression d'étrangeté et de familiarité à la fois. Sur un tapis roulant, passent en boucle une quarantaine de modèles, toutes époques confondues, Catherine Deneuve en est le speaker attentif.
Nous n'avons qu'un conseil à vous donner : foncez voir cette exposition multiforme consacrée à un touche-à-tout de génie. A elle seule, elle est une œuvre d'art.
Jean-Paul Gaultier au Grand Palais jusqu'au 3 août
http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/jean-paul-gaultier
Par Marie-Catherine CHEVRIER
Légendes photos
Photo de Une et 3e photo : Gold corset 1990 Corset en lamé vintage porté par Madonna, Blond Ambition World Tour, 1990 © Emil Larsson, 2014
1- Jean Paul Gaultier, Made in Mode 2012 © Jean-Paul Goude
2- Kristen McMenamy, rue de la Goutte d’Or, Paris 1994 Collection French Cancan Prêt-à-porter Femme, automne-hiver 1991-1992 © Paolo Roversi
4- Vue de l’exposition Jean Paul Gaultier © Rmn-Grand Palais / photo François Tomasi
5- Collection L’Homme moderne Prêt-à-porter Homme automne-hiver 1996-1997 © Nicolas Ruel
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