La Cité de la musique accueille l'exposition 'Paul Klee Polyphonies', du 18 octobre 2011 au 15 janvier 2012. En optant pour un parcours volontairement chronologique, l'exposition éclaire le cheminement de l'artiste à travers les débats esthétiques les plus significatifs de son temps.
”Paul Klee Polyphonies”
Avant-propos
Paul Klee (1879-1940) à la Cité de la musique ? Si le peintre suisse figure aujourd'hui parmi les plus grands artistes du XXe siècle, ses liens avec l'art musical sont avérés et connus : né dans une famille de musiciens, pratiquant le violon dès l'âge de sept ans, il fréquente salles de concerts et opéras dès son enfance et, jeune adulte, il hésitera entre une carrière musicale et une aventure artistique inédite dans sa famille. C'est pourtant cette voie-là qu'il choisira, abandonnant cette « bien-aimée ensorcelée » au profit de « la déesse du pinceau au parfum d'huile ». Mais cette conquête de nouveaux territoires est longue et ce n'est qu'après plus de quinze ans de travail constant, où la musique lui sert tantôt de gagne- pain, tantôt de nourriture intellectuelle, qu'il peut affirmer, au retour d'un voyage en Tunisie, en 1914 « Je suis peintre ! ». Ceci ne l'empêchera pas de poursuivre, tout au long de sa vie, une pratique musicale assidue, en duo avec son épouse Lily, pianiste, ou au sein de quatuors et quintettes à cordes qu'il formera avec des amis, s'attelant à toutes les grandes œuvres du répertoire classique et romantique.
Cet attachement de Klee pour la musique a déjà été exploré dans d'autres expositions, notamment à Paris en 1986 (Centre Pompidou) et à Berne (Centre Paul Klee, 2006). Mais le parti-pris retenu par la commissaire de l'exposition, l'historienne de l'art Marcella Lista, diffère des propos précédents : en optant pour un parcours volontairement chronologique, l'exposition éclaire le cheminement de l'artiste à travers les débats esthétiques les plus significatifs de son temps. Trop souvent, en effet, l'œ,uvre de Klee est perçue dans sa singularité individuelle ou au travers de regards formels contraignants. Ici, le parcours montre combien l'artiste s'est nourri du dialogue avec d'autres peintres, ceux du passé dans ses premières gravures, mais surtout ses contemporains qu'il côtoie vers 1912 au sein du groupe du Cavalier Bleu (Blaue Reiter) à Munich, et plus tard au Bauhaus de Weimar et Dessau : Franz Marc, Wassily Kandinsky ou Robert Delaunay figurent ainsi parmi les artistes qui joueront un rôle capital dans le développement de Klee. Et parmi ces contemporains figurent aussi des compositeurs, contrairement à l'idée, trop souvent évoquée, que Klee ne s'intéressait pas à la musique de son temps. Il entre en contact avec l'univers d'Arnold Schönberg durant la période du Blaue Reiter (et assiste à une des toutes premières exécutions du Pierrot lunaire), rencontre Busoni dès 1919, puis Stravinski, Hindemith ou Bartók au Bauhaus. Et il verra en Pelléas et Mélisande de Debussy, entendu à Munich en 1909, « le plus bel opéra depuis la mort de Wagner » !
L'exposition montre aussi combien l'œuvre de Paul Klee est plurielle : si la conquête de la couleur et de l'abstraction, donc de la forme pure, fait partie de l'évolution centrale du peintre, il ne cesse de dessiner et touche tantôt à la caricature ou la satire, tantôt à la représentation géométrisée , il s'intéresse aussi à la poésie, qu'il intègre dans certaines toiles, au théâtre et à toute représentation scénique. L'idée de polyphonie reflète donc bien cette diversité de techniques et le foisonnement de styles qu'il maniera jusqu'à la fin de sa vie. Concept musical, la polyphonie (au même titre que l'harmonie, par exemple) est aussi un outil formel que Klee tentera d'appliquer en peinture. Des œuvres très célèbres du peintre, présentes dans l'exposition, comme Fugue en rouge ou Harmonie de quadrilatères en rouge, jaune, bleu, blanc et noir, en témoignent.
Le rapport de l'art pictural à la musique est donc complexe et aucune traduction littérale d'une œuvre musicale dans une composition plastique ne peut y être décelée : Klee réfléchit beaucoup à la relation entre les deux arts, convaincu que la musique a atteint une forme de perfection dans l'univers mozartien du XVIIIe siècle et qu'il revient maintenant aux arts visuels d'approcher ce même idéal. Non pas en imitant la musique, mais en recherchant cet équilibre optimal entre raison et passion, entre sérieux et humour, entre forme et expression.
Réalisée en partenariat avec le Zentrum Paul Klee à Berne, prêteur principal de l'exposition, l'exposition réunit plus de 130 œuvres ainsi que plus de 70 documents issus en grande partie de ses archives personnelles : lettres, photographies, partitions, livres, et même le violon Testore 1702 que Klee acquît, en amateur très éclairé, en 1903. D'importantes collections privées allemandes et suisses ainsi que la participation de musées comme la Pinakothek der Moderne (Munich), la Nationalgalerie (Berlin), le Kunsthaus (Zurich) ainsi que le Musée national d'art moderne (Centre Pompidou), permettent de montrer au public des œ,uvres exceptionnelles et rares. Notre exposition est la première grande rétrospective parisienne du peintre depuis vingt cinq ans.
L'originalité de Paul Klee Polyphonies tient au fait qu'un parcours musical accompagnera le visiteur, visant non pas à illustrer les œ,uvres plastiques, mais au contraire à rentrer plus avant dans l'univers sonore du peintre. Les documents présentés en vitrine reflètent cette vie musicale de Klee et servent de points d'appuis aux écoutes par le biais d'un audioguide, donnant à découvrir les œuvres qu'il a jouées ou écoutées et des interprètes au sujet desquels il s'est exprimé dans sa correspondance ou dans les recensions de concerts qu'il publia à Bern au début de sa carrière : des chanteuses comme Emily Herzog ou Lotte Schöne y croisent Pablo Casals, Hermann Scherchen, Bruno Walter ou Adolph Busch, dans des œ,uvres de Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms, Wagner, Stravinski, Debussy, Wolpe... Quelques films expérimentaux de l'époque, connus de Paul Klee, et un documentaire retraçant les grandes lignes de son œ,uvre, complètent la partie audiovisuelle de l'exposition.
Klee, artiste total ? Pas vraiment, tant il est vrai que sa vocation première est et reste l'art pictural et que la musique se tient en retrait : modèle archétypal, vecteur d'inspiration, lieu de socialisation ou d'expérimentation, support d'œuvres scéniques, la musique est multiple et ses rapports à l'œ,uvre plastique de Paul Klee nécessairement riches et complexes.
Laurent Bayle, Directeur général de la Cité de la musique
Eric de Visscher,
Directeur du Musée de la musique
Présentation de l'exposition 'Paul Klee Polyphonies'
Plusieurs expositions importantes ont déjà engagé le débat sur la nature du dialogue que Paul Klee a pu chercher à établir entre la peinture et la musique. Parmi elles, Klee et la musique au Musée national d'art moderne à Paris en 1985 et Paul Klee : Melodie und Rhythmus au Zentrum Paul Klee de Berne en 2006.
Une observation précise de ses œ,uvres et de ses écrits invite en effet à un constat nuancé concernant l'empreinte musicale qui apparaît régulièrement, tout au long de sa vie, dans sa production picturale et graphique. En dépit de sa pratique de violoniste et des nombreux titres musicaux apparaissant dans ses œ,uvres, l'artiste s'est gardé d'adhérer à une quelconque doctrine des « correspondances » entre la vue et l'ouïe. Aucun traité théorique, publié de son vivant, ne défend l'idée, pourtant courante à son époque —, comme chez son collègue et ami Vassily Kandinsky —,, d'une possible synthèse ou transposition des arts. C'est une mosaïque complexe que l'exposition Paul Klee Polyphonies propose dès lors de déployer. En présentant pour la première fois ce sujet dans une perspective chronologique, le parcours permet de lire l'évolution des intérêts de Klee entre musique, poésie et théâtre. Le propos passe par une ouverture de l'œ,uvre sur son contexte, en montrant les réseaux d'affinités et d'influences à partir desquels s'est construit le cheminement à la fois artistique et conceptuel du peintre violoniste. D'une part, l'exposition intègre certains artistes, tels que l'association du Blaue Reiter, le groupe Dada de Zurich et le cercle des maîtres du Bauhaus, dont le voisinage s'est avéré marquant. De l'autre, elle éclaire le dialogue entretenu par Klee avec la musique, tant sous l'aspect du répertoire que des productions contemporaines, à travers des figures telles que Schönberg, Busoni, Bartók, Hindemith, Wolpe.
L'idéal de la « polyphonie », défini par Klee progressivement comme un modèle artistique, n'y désigne pas seulement l'art raffiné, autoréflexif du contrepoint musical qui le fit admirer par dessus tout les chefs-d'œ,uvre de Bach et de Mozart. Cet idéal polyphonique rend plutôt compte d'un désir profond d'émancipation de la peinture, qui reposerait sur l'élargissement et l'enrichissement de ses moyens expressifs. L'artiste précise, dans les notes de ses cours donnés au Bauhaus de Weimar en 1922, que « la simultanéité de plusieurs thèmes indépendants constitue une réalité qui n'existe pas uniquement en musique, [...] mais qui trouve son fondement et ses racines dans n'importe quel phénomène, partout ». Rapprocher l'art de la nature et de la vie est l'une des ambitions profondes de cette œ,uvre, entreprise suprême de synthèse et de conciliation des contraires. Une expérimentation technique et stylistique constante, un dialogue entre vitalité poétique et réflexion théorique, une capacité à l'observation et à la compréhension essentielle des enjeux esthétiques de son temps inscrivent la pluralité et la diversité parmi les fils conducteurs de l'activité créatrice de Paul Klee.
Rassemblant plus de 130 œ,uvres, plus de 70 documents et un parcours sonore qui apporte un éclairage inédit sur la culture musicale de l'artiste, Paul Klee Polyphonies est la première exposition de cette envergure consacrée au peintre suisse depuis 1985, à Paris. Elle offre de redécouvrir et de relire une figure singulière de la modernité, irréductible aux schémas habituels de l'histoire de l'art, qui opposent habituellement, dans la considération de la première moitié du XXe siècle, figuration et abstraction, table rase et conservatisme. Des prêts exceptionnels, où voisinent chefs-d'œ,uvre et pièces peu connues, donnent une image renouvelée de la force et de l'étendue de l'œ,uvre.
Marcella Lista, Historienne de l'art, commissaire de l'exposition
Cité de la musique, 221 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris
- Accès : Métro ligne 5, station Porte de Pantin
- Horaires :
Du mardi au samedi de 12h à 18h - Le dimanche de 10h à 18h - Ouverture les soirs de concerts jusqu'à 20h, du 19 au 29 octobre - Fermeture les 25 décembre et 1er janvier.
- Tarifs :
Entrée de l'exposition : 8 euros /De 6 à 26 ans : 5 euros/ Personnes handicapées et accompagnateurs : gratuit
- Renseignements • Réservation 01 44 84 44 84
- www.citedelamusique.fr
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