Les ravages du DSM 5 : Big Pharma veille sur notre santé mentale. Patrick Landman, médecin pédopsychiatre lance un cri d'alarme. Dans l'ouvrage qu'il vient de publier aux éditions Max Milo « Tristesse Business- le scandale du DSM », il dénonce les dérives et l'emprise de ce manuel médical, qui, au-delà des spécialistes concerne toute la société. Big Brother veille sur notre santé mentale. Une bombe.
Totalement inconnu du grand public, le DSM (Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders) ou manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, est considéré comme une bible médicale internationale. Il identifie et classifie les maladies mentales, et cela depuis une cinquantaine d'années. Pourquoi vous insurgez-vous contre la version 5 publiée en mai 2013 aux Etats Unis ?
Dr Patrick Landman : Ce manuel ouvre la voie à une « pathologisation » croissante de la société : il fabrique des fous. Le DMS 5, en effet, ajoute de nouvelles maladies mentales au 421 déjà répertoriées dans les versions antérieures et cela sans aucune base scientifique. La médecine a pour vocation de découvrir des maladies. Le DSM 5 en invente. Si l'on en croit ce DSM 5, entre le jour de sa publication et le lendemain matin, des millions de personnes se réveilleraient avec une pathologie mentale !
Pouvez-vous donner des exemples ?
Dr Patrick Landman : Ils sont nombreux. Si 15 jours après un deuil, le patient est triste, a des idées noires, , présente un ralentissement psycho-moteur, le DSM considère son état comme « un épisode dépressif majeur ». Remède : anti-dépresseurs et tranquillisants. Votre enfant est-il agité ? On lui prescrit des amphétamines. Vous faîtes un excès de table par semaine pendant plusieurs semaines ? Vous entrez dans la catégorie des hyperphagiques. Vous êtes nerveuse et un peu déprimée avant vos règles ? Le DSM pense à vous, vous avez un trouble dysphorique prémenstruel.
Quelles en sont les conséquences ?
Dr Patrick Landman: Cette approche peut avoir des conséquences catastrophiques.
Revenons au deuil. C'est un processus qu'on ne peut éviter ( On rêve de la personne décédée...). On peut parler avec l'endeuillé, l'accompagner. Anesthésier artificiellement la souffrance empêche l'élaboration du deuil et plus tard, la personne peut être rattrapée par un flot de problèmes et un sentiment de culpabilité.Pour les enfants et les adolescents, que sait-on réellement des effets à long terme des psychotropes sur leur développement ? Les quelques études sur ce sujet ne sont pas fiables.
Quant au syndrome dysphorique prémenstruel, le trouble de l'humeur, ses causes peuvent être multiples : problème avec une grossesse, identification à la mère...Cela ne peut être identifié que dans le cadre d'un ou plusieurs entretiens. Cela ne se traite pas avec des médicaments de façon prioritaire et certainement pas uniquement avec des médicaments.
Avec plus de 200 nouvelles pathologies au catalogue depuis les premières versions, les membres du DSM vont peut-être modérer leur recensement ?
Dr Patrick Landman : Certainement pas. Prenez l'addiction, définie en 1975. Elle est élargie à la compulsion, appelée comportement addictif. Les experts qui ont déjà répertorié le comportement addictif au jeu, se penchent aujourd'hui sur internet et le sexe. Un boulevard s'ouvre à eux. Ils finiront par décider que tous ces jeunes que l'on rencontre dans les transports, casque sur les oreilles, sont des malades mentaux ! Alors que le problème est ailleurs : on vend des objets addictogènes, on pousse les gens à la consommation. Nous sommes davantage dans le registre de l'éducation, de la culture que dans celui de la maladie mentale.
Pourquoi assiste-t-on à cette inflation de maladies mentales ?
Dr Patrick Landman : Elle résulte de plusieurs facteurs conjugués. L'une d'entre elle, concerne l'abaissement des seuils. Une illustration en est donnée par « le trouble anxieux généralisé ». Pour qu'il soit reconnu, il fallait qu'il présente trois caractéristiques sur six. Dans le DSM 5, un sur quatre suffit, et la durée de six mois a été réduite à trois... Les experts, quant à eux, passionnés par leur domaine, tendent à cette pratique pour y enfermer un nombre croissant de gens, franchissant la ligne floue et ténue, entre ce qui est un excès du normal et la maladie.
N'y a-t-il pas des lobbies présents ou en sous-main ?
Dr Patrick Landman : La conception de rédacteurs s'attache à la seule synergie maladie-médicament, laissant en dehors tout ce qui touche à l'histoire du sujet, à sa famille, à son environnement, c'est ce qu'on appelle la 'décontextualisation'.
Leur objectivité n'est pas exempte de doutes, même si des précautions supplémentaires ont été prises après le scandale de 2008. Un des rédacteurs du DSM, par ses études, avait conduit à une « épidémie » de diagnostics de troubles bi-polaires chez l'enfant (+ 40%). Il s'est avéré que cet expert avait touché 1.5 million de dollars du laboratoire qui prescrivait le traitement adapté.
Les règles de « bonne conduite » édictées pour cette nouvelle édition, ont-elles été efficaces ? Il semble que le tableau ne soit pas aussi clair qu'annoncé. Une étude canadienne avance que la moitié des 142 rédacteurs a un lien avec l'industrie pharmaceutique.
Vous êtes psychiatre et psychanalyste. Etes-vous opposé à tout traiement chimique ?
Dr Patrick Landman: Les médicaments psychotropes sont parfaitement légitimes. Et certains peuvent sauver des vies humaines. Moi-même j'en prescris. Mais donnés de façon inappropriée et avec de faux diagnostics, ils peuvent être dangereux en particulier pour les enfants dont l'organisme est en pleine croissance avec des troubles métaboliques, une prise importante de poids ou des retards de croissance.
On peut voir le DSM comme un dictionnaire. Après tout, ne pourrait-on penser que les praticiens sont à même de le regarder avec une certaine distanciation, un œil critique ?
Dr Patrick Landman : L'impact du DSM est d'autant plus pernicieux qu'il irrigue le monde médical de ses conceptions, avec puissance et une méthodologie à l'américaine, et qu'il bénéficie d'une confiance quasi-aveugle de nombreux praticiens, des pouvoirs publics et d'un consensus sociétal, même s'il n'a pas force de loi en France.
Le DMS 5, quelque 1000 pages, est paru aux Etats-Unis en mai 2013 sous l'égide de l' Association psychiatrique américaine qui a le monopole des droits. Sa version française sera publiée en 2014.
Destinée à inonder le marché, elle va faire l'objet de multi-éditions et de produits dérivés : des mini-DSM, des « précis » par pathologie, des applications pour tous les formats électroniques (tablettes, I phone, I Pad, PC...). Des « questions-réponses », des jeux (« faîtes le bon diagnostic ») seront à la disposition du monde médical.
Toute la séduction commerciale et technologique accompagnera ce produit un « prêt à penser universel ».
La tactique est habile : en France, 70 % des psychotropes sont prescrits par les médecins généralistes, qui, en général n'ont guère de temps pour leur formation continue, qui ne peuvent en consacrer beaucoup à chacun de leur patient. Aussi, comment ne pas apprécier ce qui peut leur faire gagner du temps ?
D'autant que le DSM est pour eux le repère : toutes les facultés de médecine l'enseignent ! La haute autorité de santé l'a adopté. La sécurité sociale a envoyé aux généralistes un document « la dépression en 20 minutes et 10 questions » inspiré du DSM. Et en Suisse, les avocats peuvent l‘opposer devant les tribunaux.
Vous présidez l'association Stop DSM, créée il y a trois ans. Quel est son rôle ?
Dr Patrick Landman : Notre association regroupe des psychiatres, des psychanalystes, des psychologues. Elle commence à se faire entendre. Les médias et l'opinion publique sont sensibles à nos arguments, car c'est un problème de santé publique et non une querelle d'experts. Il nous reste à convaincre les pouvoirs publics.
Nous voulons que les médecins et les thérapeutes puissent bénéficier de formations alternatives sur les maladies mentales où seraient développées d'autres approches cliniques et d'autres pratiques thérapeutiques. L'écoute et l'individu, avec son histoire personnelle, doivent y retrouver toute leur place. Nous refusons toute pensée unique.
Propos recueillis par Elsa Menanteau
La dernière classification de l'OMS
*Organisation mondiale de la santé, la CIM 10, elle-même est calquée sur le DSM. L'agence européenne du médicament s'appuie sur des études de médicaments fondées sur les critères du DSM pour l'autorisation de mise sur le marché en Europe et donc en France.
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