Les lobbies en action des deux côtés de l'Atlantique
Les élections européennes en 2014 aborderont-elles la question des négociations sur les accords de libre-échange entre l'Union Européenne et les Etats-Unis ? Les enjeux pour les citoyens sont majeurs. Sous couvert de « transparence », la Commission européenne met en place une stratégie de communication pour convaincre l'opinion que cet accord est une bonne chose. A voir...
Les négociations sur un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis (le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP aussi appelé le TAFTA (Accord transatlantique de libre-échange) ) viennent de connaître leur 3e 'round' à Washnington, du 16 au 20 décembre 2013.
Elles ont débuté en juillet 2013, et ont suscité une forte controverse et des inquiétudes sur les conséquences qu'un tel accord pourrait avoir, entre autres, sur la législation environnementale, les normes alimentaires, la confidentialité des données personnelles et le pouvoir des entreprises .
La controverse à propos du TTIP
Le mandat de négociation pour le TTIP révèle en effet,la volonté de la Commission européenne de renforcer autant que possible le pouvoir des entreprises transnationales . Ce texte fait suite à une intense et longue campagne des lobbies de l'industrie et des cabinets juridiques pour que les grandes entreprises aient le pouvoir de contester les réglementations nationales et internationales si elles affectent leurs profits. Ainsi, les États membres de l'UE peuvent voir leurs lois nationales, qui visent à protéger l'intérêt général, contestées dans des tribunaux ad hoc, secrets, dans lesquels les lois nationales n'ont aucun poids et les élus politiques aucun pouvoir d'intervention .
Évidemment, les entreprises européennes investissant aux États-Unis auraient le même privilège ...
La Commission Européenne, qui représente l'Europe dans ces négociations, a très vite réagi par une campagne de propagande incluant la constitution d'une équipe qui répond aux critiques sur Twitter ,« @EU TTIP team » et la création d'un site internet de questions-réponses rassurantes et optimistes. Elle promet par exemple que « l'économie de l'Union pourrait en retirer un bénéfice de 119 milliards d'euros par an —, l'équivalent d'un bonus de 545 euros en moyenne par ménage de l'Union ! »
Le scepticisme du public et de la société civile ne faisant qu'augmenter, une stratégie de communication a été présentée le 22 Novembre dernier, lors d'une réunion informelle avec les représentants des États membres de l'UE pour qu'ils prennent le relais de l'endoctrinement.
C.E.O (Corporate Europe Observatory, l'Observatoire de l'Europe industrielle) s'est procuré le document qui a servi de base aux débats et l'a divulgué sur son site le 25 novembre.
Le projet de communication de la Commission européenne
Avec cette stratégie, la Commission, espère «réduire les craintes et éviter une prolifération des doutes», et propose aux États membres de « localiser davantage notre effort de communication au niveau des États membres d'une manière radicalement différente de ce qui a été fait pour les initiatives commerciales du passé».
Remarquant que « ...les négociations ont suscité de la part du public et des médias un intérêt sans précédent, et qu'aucune autre négociation n'a été soumise à un niveau de contrôle public similaire », la Commission demande aux États leur coopération pour organiser la coordination de la communication au sujet du TTIP.
Elle identifie dans ce document :
Les trois principaux défis de communication
1- Faire en sorte que le grand public dans chacun des États membres de l'UE ait une compréhension générale de ce que le TTIP est : une initiative qui vise à délivrer une croissance et des emplois, et de ce qu'il n'est pas : un effort pour saper la réglementation et les niveaux existants de protection dans des domaines comme la santé , la sécurité et l'environnement.
2- Gérer les relations avec les pays tiers, comme l'accord affectera également nos autres partenaires commerciaux, en particulier au niveau multilatéral, notre voisinage et les principaux partenaires comme la Chine.
3- Soutenir nos objectifs de négociation vis à vis des négociateurs américains, en particulier dans les zones ne relevant pas de la responsabilité directe de l'USTR, le Bureau du représentant des États-Unis pour le commerce extérieur. »
Pour cela la Commission a choisi une stratégie dont elle se félicite qu'elle commence à donner des résultats, et constitué une équipe dédiée à la Direction du Commerce en coordination avec ses représentants dans chaque état membre. Elle prévoit que cet accord devrait être négocié et signé sur deux ans !
La mise en place du récit
Le document décrit l'approche souhaitée comme « holistique », ce qui veut dire, pour elle, une attaque globale sur tous les fronts, «médias et réseaux sociaux, sensibilisation et gestion des parties prenantes, et transparence.» Ou une apparence de transparence.
Les équipes de communication ont donc élaboré un récit (storytelling) qui se déploie sur le site de questions-réponses, et le document met en avant l'urgence d'une affirmation positive des promesses du TTIP, pour éviter de se retrouver sur la défensive. La narration doit tout particulièrement insister sur le fait que le TTIP n'a rien à voir avec ACTA, (pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement ou accord commercial anti-contrefaçon), un accord négocié secrètement de 2007 à 2010 par un petit 'club' de pays (39 pays, dont les 27 de l'Union européenne, les États-Unis, le Japon, etc). Négocié et non débattu démocratiquement, ACTA a contourné les parlements et les organisations internationales pour imposer une logique répressive sur internet, dictée par les industries du divertissement.
Le document fait remarquer qu'il faut « garder la main sur le récit des négociations par les médias grand public », où on constate déjà « un large soutien à la logique et à la substance de l'accord.»
Il est préconisé de toucher aussi des « tiers influents » c'est à dire des intellectuels, économistes ou autres people, pour obtenir leur soutien public à ces négociations.
Quant à l'inquiétude des citoyens sur l'impact potentiel que le TTIP aurait sur le modèle social et juridique européen, il est primordial de faire ressortir très tôt les gains économiques que chacun en retirerait. « Il est essentiel que l'UE parle autant que possible d'une seule voix. La campagne électorale pour le Parlement européen sera un facteur important dans ce contexte. »
On nous expliquera aussi que, malgré la crise, l'UE reste le plus grand marché du monde et qu'elle est dans une position suffisamment forte pour discuter avec les États-Unis d'égal à égal, puisque les deux côtés ont des intérêts économiques dans ces négociations.
Qui mène la danse ?
En octobre dernier, en réponse à la demande d'accès aux documents faite par C.E.O, la Commission européenne a publié une liste de 130 réunions avec des « parties prenantes » à propos de ces négociations. Au moins 119 étaient des rencontres avec des grandes entreprises et leurs groupes de pression, soit plus de 93% des rencontres de la Commission. Ce qui démontre qu'en plus des « dialogues pour la société civile » signalés sur le site web de la DG Commerce de la Commission, il existe un monde parallèle fait de nombreuses réunions à huis clos avec les lobbyistes des multinationales.
En ce qui concerne la « transparence », lors de débats avec la société civile en juillet, la Commission a déclaré explorer « la possibilité de mettre en place un groupe de conseillers experts qui pourraient avoir accès à des informations plus détaillées sur les négociations, dans la ligne de ce qui se pratique actuellement aux USA.»
Les habitudes actuelles de la Commission donnent cependant de bonnes raisons de craindre que ce groupe de conseillers ne soit très déséquilibré. Dans les groupes de travail sur l'accès aux marchés, les fonctionnaires de la Commission et les représentants des états membres de l'Union Européenne se réunissent avec les représentants des entreprises afin de discuter des lois et réglementations étrangères qui les gênent —, et développer des stratégies conjointes pour s'en débarrasser. Il en va probablement de même aux États-Unis...
Le monde de l'industrie loue ces rencontres comme un moyen pour la Commission d' « adopter les perspectives des entreprises » et de « parler le langage des affaires ». Tous les membres de ces groupes d'experts font partie du monde des affaires.
Et une question reste encore posée, celle de savoir pourquoi la Commission devrait procéder à une opération d'information orientée et user de fonds publics pour influencer l'opinion publique?
Publié sur le site reporterre, cet article a été rédigé à partir de divers articles du site C.E.O. Corporate Europe Observatory, un groupe qui étudie, expose et conteste par des campagnes médiatiques, l'accès privilégié et l'influence dont jouissent les entreprises et leurs groupes de pression dans le processus décisionnel de l'UE. http://corporateeurope.org/
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