L’exposition au titre étrange, du fait d’être en deux parties, « Splendeurs et Misères – Images de la prostitution 1850-1910 » qui se tient au Musée d’Orsay donne un aperçu d’une certaine conception de la fréquentation des filles de joies dans la seconde moitié du XIXème siècle en France.
Notre première impression fut que l’exposition est sans doute une autre manière de montrer plusieurs chefs d’œuvres de la collection permanente du Musée d’Orsay, réunies sous une même thématique et offrant l’intérêt de les voir sous un jour nouveau.
Nous avons adoré revoir « Rousse (la toilette) » de Toulouse-Lautrec. Peu de surprises donc. Néanmoins, les différents angles sous lesquels le sujet du rapport à la prostitution est exploré sont dignes d’intérêt, même si le côté chronologique n’est pas très original.
L’une des commissaires de l’exposition, Isolde Pludermacher, explique que jusqu’en 1848, fin de la Monarchie de Juillet, la prostitution était représentée de façon caricaturale. Dès le Second Empire, elle devient un véritable sujet artistique même si cela doit emprunter des chemins plus symboliques. Elle est encouragée par les poètes de la Modernité tel Charles Baudelaire dans Le Peintre de la vie Moderne qui « encourage les artistes à saisir la beauté particulière des milliers d’existences flottantes qui circulent dans les souterrains d’une grande ville ». Comment reconnaît-on ces « existences flottantes » ? Les femmes « légères » sont souvent associées à la consommation d’alcool, entre autre la « fée verte », comme en témoigne le très joli tableau « L’Absynthe » de Degas, un sujet qui ne nous parle pas directement de prostitution. D’autres font cela pour arrondir leur fins de mois en période de crise comme des jolies jeunes lavandières.
Organisée avec le Van Gogh Museum à Amsterdam et la Bibliothèque nationale de France, l’exposition présente des chef d’œuvres de Degas, Van Gogh, Toulouse-Lautrec qui tous ont un rapport souvent ignoré avec l’ambiguïté des femmes à cette époque où ce n’était pas si simple de distinguer la demi-mondaine de la courtisane. « Demi-mondaines », terme désuet qui désignait les femmes entretenues par de riches parisiens, appelées également « cocottes » ou encore « horizontales » : un groupe social qui vit son apogée en 1900 et disparut dès la Première Guerre Mondiale. Immortalisées par les peintres et photographes, elles étaient pour la plupart belles et distinguées, cultivées et érudites. Leur objectif était de se faire épouser afin d’accéder à ce qui leur manquait : un nom et une fortune.
« Splendeur et misère » exprime selon nous cette ambivalence très révélatrice d’une époque, et qui trouve un écho aujourd’hui, dans notre rapport au sexe payant. La prostitution est toujours contestée, réfrénée, on tente de la légiférer, rien n’a véritablement changé, mais tout cela n’est absolument pas abordé dans l’exposition qui s’arrête en 1910, dans le choix de ses œuvres comme dans ses propos.
Fantasmée, nimbée de mystère, les toiles de Emile Bernard ou Constantin Guys suggèrent l’atmosphère fiévreuse des maisons closes, l’attente avide et le repos du guerrier après l’amour consommé. Les œuvres de Jean Béraud, Louis Valtat ou Louis Anquetin sont très intéressantes d’un point de vue sociologiques car elles montrent à quel point le prostitution avait envahi tout l’espace public, des loges de théâtres à celles de l’opéra (Garnier par exemple), créées avant tout pour permettre aux hommes du monde de se délecter des autres plaisirs terrestres, sur fond sonore de qualité ! Les cafés et brasseries où traînaient quelques mélancoliques vénales aux charmes indéniablement repris sous le pinceau des maîtres Manet, Degas et van Gogh sont toujours délicieuses. Et les femmes fatales, dominatrices du mâle, surgissent dans les œuvres allégoriques de Félicien Rops et de Gustav Adolf Mossa.
Une très jolie aquarelle de Rops montre aussi un « bouge à matelots », image plus populaire de la prostitution.
La dernière pièce présente un mélange un peu hybride selon nous de peintures de Munch, Rouault, Kees Van Dongen ou Picasso. Mais surtout ne manquez pas la « black room » avec toutes les photographies et (films !) coquines de l’époque : un vrai délice qui se passait sous le manteau… Dans ces représentations souvent contrastées, entre observation quasi scientifique et imaginaire, entre objectivité et indiscrétion, ce sont exclusivement les œuvres d’artistes masculins qui sont montrées : une autre manière de montrer le poids de la condition féminine à l’époque moderne, conclut l’exposition.
INFOS PRATIQUES
Musée d'Orsay
Jusqu'au 17 janvier 2016
Ouvert du mardi au dimanche de 9h30 à 18h - nocture le jeudi jusque 21h30
www.musee-orsay.fr
Par Aurore t'KINT
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