En sortant de l'exposition « Sade, attaquer le soleil », visible au musée d'Orsay jusqu'au 25 janvier, je me demande pourquoi le divin Marquis a passé le plus clair de son temps en prison et est mort à l'asile, en l'occurrence celui de Charenton. Nombreux sont ceux qui auraient pu faire un bout de chemin avec lui. Mais l'écriture ouvre et stimule l'imagination, la peinture l'encadre. Ceci explique sans doute cela.
En exergue, cette citation qui éclaire le titre de l'exposition :
« Combien de fois, sacredieu, n'ai-je pas désiré qu'on pût attaquer le soleil, en priver l'univers, ou s'en servir pour embraser le monde ? ».
Il est vraisemblable que peu de visiteurs de l'exposition ont lu Donatien Alphonse François Marquis de Sade. Ce dernier fut à l'index, relégué dans l'Enfer de la Bibliothèque nationale jusqu'à ce que Jean-Jacques Pauvert le sorte de la clandestinité, en bravant la censure et en éditant les œuvres interdites. En 1957, il triomphe de l'ordre moral en gagnant son procès. Le cinéaste Pier Paolo Pasolini, avec ses « 120 journées de Sodome » (1976), a, lui aussi, grandement contribué à faire sortir le marquis de l'anonymat. Et l'occasion se présente, pour le grand public, « d'attaquer le soleil » en compagnie du divin marquis.
La Tentation de saint Antoine, vers 1877, vue par Paul Cézanne © Hervé Lewandowski
Le déroulé de cette exposition, conçue comme une mise en scène sadienne, avec une lente progression vers l'horreur et l'insoutenable, est sous-tendu par le propos de Sade, toujours au plus près des thèses qu'il développe. Sade a préfiguré cette omniprésence du désir/plaisir/douleur qui s'est insinuée dans la pensée du XIXe siècle et trouve son apogée au XX e siècle avec le courant surréaliste. Il suffit de voir les illustrations de Hans Bellmer pour « Histoire de l'œil » de Georges Bataille pour avoir un début de preuve. Durant toute cette période, on le lisait sous le manteau. Il avait des défenseurs acharnés comme Guillaume Apollinaire, mais les rayons des librairies lui étaient interdits.
«La férocité est toujours ou le complément ou le moyen de la luxure »
Toute la philosophie de Sade est illustrée par une iconographie remarquable ; Ingres, Delacroix, Courbet, Rodin, Goya, Picasso, Max Ernst, entre autres, sont là pour rappeler que l'art est une prise de risque, que le plaisir et la souffrance ont souvent partie liée et que la représentation de la souffrance peut être source de jouissance.
Le Sommeil de Gustave Courbet, 1866 © Hervé Lewandowski
Une salle est particulièrement intéressante, car ce qui y est montré est très inhabituel dans un lieu institutionnel. L'accent est mis sur une mode qui a fait fureur au XVIIIe siècle, la mode des écorchés. Cela a conduit à l'exécution de planches anatomiques qui suivent au plus près les systèmes vasculaire, nerveux ou musculaires. Ces planches ne sortent pas seulement des cartonniers médicaux, mais aussi de ces cabinets de curiosité, tellement en vogue au XVIIIe siècle chez les intellectuels et les libertins, qui étaient souvent les mêmes.
Nu attaché, vers 1930, de Man Ray (épreuve gélatino-argentique, 10,5 × 7,5 cm)
© Centre Pompidou, MNAM-CCI © Man R
Un autre plaisir de cette exposition est de contempler l'œuvre de tous ces peintres qui auraient dû partager la geôle du Divin marquis. Ces saintes, vierges et martyrs, les yeux révulsés d'extase, ces Saint Sébastien, beaux à se faire damner, le corps transpercé de flèches et un sourire béat plaqué sur le visage, toutes époques confondues, les femmes vengeresses, Judith et son Holopherne, Dalila et son Samson, Salomé et son Jean-Baptiste, peuvent faire illusion pris isolément, mais mis côte à côte, ils nous entraînent irrémédiablement dans une magnifique et gigantesque orgie que seraient la Bible et les Saintes écritures et qui trouverait son aboutissement dans un abîme de souffrance et de cruauté.
Les turpitudes et les horreurs perpétrées par les dieux sortant de leur Olympe n'ont rien à envier à l'iconographie chrétienne. Que dire de cette Angélique captive tout droit sortie du « Roland furieux » de l'Arioste et de l'imagination de Ingres.
Angélique de Jean Auguste Dominique Ingres © RMN _ Stéphane Maréchalle
L'Avis de Toutpourlesfemmes
Sur un sujet difficile, la commissaire Annie Le Brun, accompagnée de Laurence Des Cars, a conçu une exposition d'une richesse inouïe, autant par le propos mis en lumière que par le choix des œuvres . Ce « Sade attaquer le soleil » est une vraie réussite. Un régal. Il ne reste que peu de temps pour la visiter.
C'est jusqu'au 25 janvier au musée d'Orsay.
Renseignements et tarifs sur le site du musée d'Orsay http://www.musee-orsay.fr/
Par Marie-Catherine Chevrier
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