Charlotte Delbo

Biographie signée par Violaine Gelly et Paul Gradvohl

Une biographie de Charlotte Delbo signée par Violaine Gelly et Paul Gradvohl chez Fayard, vient rappeler le destin singulier de cette femme, connue et reconnue de manière confidentielle. A lire absolument.

 

Une femme tombe de l'autre côté d'une rue déserte, abattue par un snipper. Des hommes palabrent pour savoir comment la récupérer, font des tentatives pour la tracter avec une tige de fer dérisoire. Soudain, venue de nulle part, une femme bondit, traverse la rue, récupère la blessée et la hale vers l'ombre et la sécurité. Spot pour la Syrie, commentaire dit par Jane Birkin.

Quel rapport avec Charlotte Delbo, membre des Jeunesses communistes, compagne de route du Parti communiste, secrétaire de Louis Jouvet, résistante, déportée à Auschwitz-Birkenau et écrivain ? Le courage, la volonté, la détermination et le silence qui entoure ces héroïnes féminines renvoyées à l'anonymat de leurs fourneaux, une fois la guerre finie. Pour mémoire, on compte 1038 Compagnons de la Libération, parmi eux, six femmes.

Une remarquable biographie de Violaine Gelly et Paul Gradvohl vient opportunément rappeler le sort de Charlotte Delbo et la sortir de l'ombre. Elle écrivait l'horreur, la solidarité, l'espoir, mais ne se livrait pas. Rien d'elle et de sa relation passionnée avec Georges Dudach, son mari, membre du Parti communiste, dirigeant des «Cahiers de la Jeunesse» et fusillé au Mont Valérien en mai 1942, si ce n'est quelques poèmes. Les auteurs se sont attachés à cerner cette femme à la personnalité indomptable qui ne s'en laissait pas compter. Habilement, ils découvrent Charlotte Delbo grâce aux témoignages de celles et ceux qui l'ont connue. Le livre est entre-coupé de ses textes et poèmes. Le résultat est poignant, mais pas larmoyant. Telle qu'on peut imaginer Charlotte Delbo, belle femme élégante et soignée, au rire sonore.

Après avoir subi la déportation, à son retour, Delbo fait le récit de l'incarcération à la Santé, le passage au fort de Romainville, sous autorité allemande, Compiègne, puis le convoi des 31000 et le baraquement 26, dans une trilogie, «  Auschwitz et après  ».

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Ce convoi du 24 janvier 1943 est resté célèbre, car il était composé de 230 femmes résistantes et, pour certaines, militantes du Parti communiste, Danièle Casanova, dirigeante de la JC et fondatrice de l'Union des Jeunes Filles Françaises, morte du typhus à Auschwitz, Marie-Claude Vaillant-Couturier, survivante, ou encore Maï Politzer, épouse de Georges, et maîtresse de Jacques Decour, professeur au Lycée Rollin, tous deux fondateurs des « Lettres françaises », et fusillés au Mont-Valérien en mai 1942, Maï est morte en 1943. Seules 49 reviendront. Elle décrit la solidarité d'un groupe au jour le jour, dans une langue limpide et épurée. Viva, morte en 1943, Lulu, Carmen, Cécile, les survivantes. Pas d'analyse, juste des faits dans leur brutalité qui parlent d'eux-même.

Molière à Auschwitz

Malgré l'horreur, Charlotte Delbo sait que la culture et le théâtre sont des moyens d'évasion et de survie . Au fort de Romainville déjà, son groupe monte des saynètes. Beaucoup plus fort, alors que son groupe est déplacé dans un camp à trois kilomètres d'Auschwitz où les conditions de vie sont un peu moins dures, elle motive ses camarades pour reconstituer le texte du «  Malade imaginaire  », Molière appelé à lutter contre la barbarie. Les unes font les costumes, d'autres les décors et le grand jour arrive : elles donnent une représentation de la pièce, dans une ambiance surréaliste devant un public de prisonnières polonaises.

Rester dans le groupe est une obsession pour chacune d'entre elles. L'entre-aide a permis à certaines de survivre. Et puis c'est le retour, dans un monde étranger qui ne peut pas entendre l'indicible de ces femmes et de ces hommes qui ont connu l'enfer.

Charlotte Delbo et Cécile Borras, une amitié forgée dans le baraquement 26

Charlotte reprend sa place auprès de Jouvet, mais le cœ,ur n'y est pas. Elle veut connaître autre chose et l'occasion se présentant, elle part à Genève, à l'ONU.

Chaque année, Charlotte Delbo reçoit une pension de l'Etat allemand en tant que déportée. Comme un pied de nez, elle convertit cet argent dans des objets luxueux, avec une passion toute particulière pour les manteaux de fourrure, elle en a une véritable collection. Il est vrai que c'est la meilleure manière de lutter contre le froid qui pénètre jusqu'aux os pendant l'hiver sans fin qu'est l'hiver polonais.

En refermant ce livre, un regret pour la lectrice que je suis : ne pas avoir connu cette femme exceptionnelle qui a gardé la tête haute malgré les circonstances et qui a écrit :

«Je vous en supplie / faites quelque chose / apprenez un pas / une danse / quelque chose qui vous justifie / qui vous donne le droit / d'être habillés de votre peau et de votre poil / apprenez à marcher et à rire / parce que ce serait trop bête / à la fin / que tant soient morts / et que vous viviez / sans rien faire de votre vie» (Une connaissance inutile, ed. De Minuit).

Charlotte Delbo de Violaine Gelly et Paul Gradvohl chez Fayard —, Prix : 19 €

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Par Marie Catherine Chevrier

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