S'il arrive à tous d'avoir des «trous de mémoire», de buter sur un mot, ou oublier un nom, nous ne sommes pas pour autant atteints de la terrible maladie d'Alzheimer. Le Dr Martine Vercelletto, médecin neurologue, spécialiste de la mémoire au CHU de Nantes, reconnue internationalement, décrypte le phénomène : il existe un vieillissement normal du cerveau, à l'instar des autres organes. En revanche souligne le Dr Vercelletto, « l'intelligence cristallisée qui correspond au savoir, à la culture, continue à se développer après 40 ans et ne décline pas avec l'âge »'. Voilà une bonne nouvelle pour les seniors !
La mode actuelle n'est pas à la valorisation du vieillissement, il faut « faire jeune », surtout physiquement. Avec les aléas des facteurs d'inégalité génétique, qu'on le veuille ou non, nous prenons de l'âge et tous les organes de notre corps vont être modifiés progressivement. La moyenne d'âge en France est actuellement de 84 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes. Alors, quel est l'âge de la vieillesse ? Dans les années 50, on disait de quelqu'un qu'il était vieux à 60 ans. Aujourd'hui, les profils sociologiques nous disent qu'on trouve quelqu'un vieux à 72 ans, en 2020 à 79 ans et en 2040 à 84 ans.
Après 50 ans , le moindre dysfonctionnement mnésique est très souvent vécu comme étant un signal d'alarme de cette terrible maladie d'Alzheimer. Des consultations spécialisées de la mémoire, permettront de rassurer les personnes inquiètes et de poser le diagnostic d'une maladie de la mémoire plus grave si c'est le cas.
Mais nous connaissons tous des personnes très âgées (90 ans) qui ont un vieillissement cérébral normal. Par exemple l'actrice Line Renaud, 84 ans, joue toujours. Lors d' un interview sur ses capacités de mémoire alors qu' elle interprète Maude dans la pièce de théatre Harold et Maude , elle déclare « j'apprends vite et je retiens bien». ll s'agit d'un vieillissement mnésique optimal. En dehors de ces possibilités mnésiques pouvant être bien conservées, la sagesse, l'expérience, atouts liés au vieillissement ne sont pas mises en valeur.
Que doit-on savoir sur notre vieillissement cérébral
Les fonctions cognitives sont l'intelligence, la mémoire, l'attention ( pouvoir faire plusieurs choses en même temps par exemple ), le langage, les fonctions visuo-spatiales ( se diriger dans l' espace), la reconnaissance des objets. Elles sont localisées dans différentes régions du cerveau.
1-Les fonctions intellectuelles reflètent les capacités de jugement, de raisonnement, d'adaptation et de rapidité mentale. La comparaison des possibilités intellectuelles d'un sujet âgé par rapport à un sujet jeune se réfèrent souvent à la notion de QI (quotient intellectuel).
L'échelle la plus connue est la WAIS ( Weschler Adult Intelligence Scale ) qui comporte deux types de sous-tests : les tests de performance, chronométrés qui mesurent l'intelligence fluide et les tests verbaux qui correspondent à la culture générale et mesurent l'intelligence cristallisée .
Après une progression jusqu' à 30 ans environ, l'intelligence fluide diminue nettement après 60 ans.
Exemple d'un test de la WAIS, les test de codes. On demande au patient de faire correspondre le plus rapidement possible un signe sous un chiffre en 90 secondes : à 17 ans pour avoir une note standard de 10 il faut faire entre 56 et 59 bonnes réponses et à 79 ans entre 23 et 27. On voit donc sur ce type de test le ralentissement du à l' âge , mais qui est normal et qui lui permet de vivre normalement. C ‘est un vieillissement intellectuel réussi .
En revanche l'intelligence cristallisée qui correspond au savoir, à la culture, continue à se développer après 40 ans et ne décline pas avec l'âge .
2- L'attention . Les capacités attentionnelles diminuent avec l'âge. On différencie
-- l'attention divisée qui est nécessaire à l'accomplissement de tâches concurrentes par exemple faire plusieurs choses en même temps et non une chose après l'autre ,
-- l'attention sélective qui permet de sélectionner l'information pertinente et d'inhiber les informations non pertinentes. Cette sensibilité à l'interférence augmente avec l'âge et on devient vite distrait(e)
3- La mémoire est plus sensible au vieillissement. A l'âge de 15 ans on peut apprendre une poésie en la répétant 3 fois, à l'âge de 50 ans pour obtenir le même résultat il faut la répéter 10 fois.
Les capacités mnésiques sont maximales à 30 ans environ. Jusqu'à cet âge il est plus facile de se concentrer et l'apprentissage est plus rapide. Ensuite il existe une légère diminution de la capacité d'apprentissage en particulier après 50 ans.
Cependant l'expérience et les connaissances permettent au quinquagénaire d'être plus performant dans des domaines qui lui sont familiers . L'apprentissage de choses nouvelles est plus difficile après 50 ans, nécessitant des répétitions plus importantes pour obtenir une consolidation de l'information. Mais la mémoire reste de bonne qualité jusqu' à un âge avancé
La mémoire de travail est conservée chez les sujets âgés.
L'encodage est modérement altéré par l'âge. Encoder une information signifie que celle-ci a bien été enregistrée dans le cerveau. L'encodage fait appel à une activation du lobe frontal gauche. Il est très important lorsque l'on examine la mémoire d'un patient, d'être sûr que l' information a bien été intégrée.On dispose pour cela de tests spécifiques qui assurent que l' encodage a bien été effectué.
En revanche l'acquisition diminue nettement à partir de 55 ans, surtout après 65 ans. Exemple : retenir une liste de 15 mots. Entre 20 et 30 ans au bout de 5 apprentissages de 15 mots, une personne normale va retenir environ 60 mots sur 75 ±7,5 . A l'âge de 80 ans et après, au bout de 5 apprentissages, une personne normale ne retiendra environ 39 mots sur un total de 75 ± 8,7 . Comment fait Line Renaud !!! Les seniors pour être plus efficaces ont intérêt à organiser ce qu'ils doivent apprendre, en faisant des liens avec ce qu'ils savent déjà .
Cependant, bonne nouvelle , une autre forme de mémoire, la mémoire procédurale - faire du ski, du vélo, du piano, du golf, conduire une voiture - n' est pas altérée par le vieillissement.
4- Le langage
Les personnes âgées se plaignent d'avoir « le mot sur le bout de la langue» ou de chercher des noms propres, mettre un nom sur un visage. Exemple : on demande à deux groupes de noter sur une feuille le nombre de fois où ils ont eu « le mot sur le bout de la langue ». Le premier groupe a 19 ans d'âge moyen, le second 71 ans. Force est de constater une différence significative entre eux.
5 —, Les fonctions visuo-spatiales , orientation dans l'espace, dessin : elles ne sont pas altérées par l'âge.
En conclusion : si la diminution de l'intelligence fluide et des capacités d'apprentissage sont réelles, il convient de souligner la conservation de l'intelligence cristallisée, de la mémoire procédurale et l'absence de retentissement dans la vie sociale
Le vieillissement cérébral normal trouve pour partie une explication dans la perte, relative des neurones et est confirmé par l'imagerie médicale qui met en évidence une baisse du fonctionnement du cortex préfrontal. Nous sommes inégaux devant le vieillissement cérébral et on pourrait différencier :
- Le vieillissement optimal chez des sujets dont les performances sont identiques à celles de sujets jeunes
—,Le vieillissement réussi chez des sujets dont les performances sont dans la norme (âge / niveau culturel) s'adaptant bien aux modifications liées à l'âge
—, Le vieillissement normal ou encore un vieillissement physiologique sans pathologie ou vieillissement de la majorité de la population
Que peut-on faire pour se « maintenir » ?
Pour autant le vieillissement n'implique pas de s'abandonner à l'inéluctable. Il est possible de se maintenir. S'il n'y a pas de recette miracle, dans ce domaine, on peut accompagner de façon profitable le vieillissement normal. Aussi nous recommandons :
-- de pratiquer une activité physique adaptée à l'âge et à ses capacités : activité de jardinage, marche à pied, natation, faire la cuisine etc.
-- d'avoir des projets, des amis, des contacts sociaux, une motivation et une curiosité
-- de faire ce qui intéresse : université inter-âge, jeux de cartes et de scrabble et autres activités de loisirs variées
Certaines activités comme le golf, sont intéressantes car elles stimulent l'attention et la concentration par la diversité des situations où l' on est amené à frapper la balle. Elle permet aussi de marcher et d'avoir des contacts sociaux .
Il n'y a rien de commun entre le léger déclin cognitif normal et la maladie d' Alzheimer . Cette dernière est responsable d'une baisse d'autonomie liée à des troubles de la mémoire majeurs. Nous reviendrons sur cette maladie dans un prochain article.
Dr Martine Vercelletto
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