En 2010, El Año de Ricardo (L'Année de Richard) et La Casa de la fuerza (La Maison de la force) avaient créé l'événement au Festival d'Avignon et fait découvrir au public français le travail de la performeuse, auteur et metteur en scène espagnole Angélica Liddell. Alors que L'Année de Richard était donné au Rond-point en janvier, l'Odéon accueille jusqu'au 28 mars une Maison de la force qui ne laissera personne indifférent.
Sourde douleur
La Casa de la fuerza fait partie de ces spectacles dont on ne sait pas à quoi s'attendre avant de les avoir vus, et dont on se souvient longtemps après.
J'avais peu entendu parler d'Angélica Liddell avant hier soir, et ce fut une chance. Car cela m'a permis de plonger dans La Casa de la fuerza avec la naïveté et l'émerveillement qui sont souvent l'apanage des novices. Mêlant scènes dialoguées, chants, vidéo et scènes de pure contemplation, La Casa de la fuerza est d'abord une pièce de la douleur féminine, personnelle et universelle, racontée par les victimes d'un monde de violence machiste. « Quand je parle de ma douleur, affirme Angélica Liddell, je la relie à une douleur collective. »
Sur scène, autour d'une table perdue dans la pénombre et la fumée des cigarettes, trois femmes, dont Angélica Liddell elle-même, enchaînent les bières. Elles évoquent les hommes, ceux qu'elles ont passionnément aimés et qui sont devenus les pauvres types qui flanquent des raclées, la solitude, le sexe qui comble le manque d'amour. Au son d'un orchestre de mariachis venus tout droit du Mexique, elles expient dans la danse et l'alcool une peine devenue insupportable.
Pénitence expiatoire
La pénitence se poursuit dans la deuxième partie de la pièce, la plus intense, où la rage, la colère, la souffrance habitent littéralement Angélica Liddell. La performeuse et ses acolytes alternent alors course folle sur fond de musique pop, scarifications, séances d'haltères et dégustation de tiramisu (qui, comme on nous l'explique, signifie « Remonte-moi »).
L'omniprésence du 'Cum dederit' de Vivaldi, interprété par le violoncelliste Pau, confère à l'ensemble tristesse et beauté époustouflantes. Ce deuxième tableau se conclut par une nouvelle épreuve de force, où l'abandon à la douleur physique, qui détourne de trop douloureuses pensées, est total.
Après avoir déplacé à trois une dizaine de canapés, les trois actrices, dans une quasi-obscurité, vident des sacs entiers de charbon sur scène, avant de déplacer le tout, pelletée par pelletée. Cette métaphore du travail à la fois aliénant et salvateur parce qu'il permet aussi de s'oublier, s'achève sur une scène des Trois sœ,urs de Tchékhov, où l'espoir d'un départ prochain est ruiné par une réalité castratrice.
Chemin de croix
Dans la troisième partie, celle de l'apaisement, les cris et la frénésie ont laissé place à la parole du témoignage et au recueillement. Des croix rouges de différentes tailles occupent la scène. Sur la gauche, un pick-up est littéralement rempli de gerbes de fleurs.
Trois autres femmes font leur apparition. Elles sont là pour réconforter, calmer, raconter. Originaires de l'Etat de Chihuaha au Mexique, elles viennent témoigner de l'horreur des enlèvements et des tortures faites aux femmes dans la ville de Ciudad Juarez. On touche là à l'épicentre du spectacle, mais aussi à l'espoir d'une rédemption.
Les figurines modelées dans la terre cuite qui encerclent le « Monsieur Muscle » du dernier acte laissent entendre qu'une renaissance est possible.
Pièce d'une densité rare, La Casa de la fuerza, malgré quelques longueurs et lubies propres au théâtre contemporain, est un choc esthétique d'une puissance incroyable. Tout y est vrai : le sang versé, les fleurs coupées, la douleur, physique et morale. Un spectacle total et bouleversant.
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