La saison théâtrale est lancée. Comme chaque année le Tristan Bernard a ouvert le feu des premières fin août. Très beau début avec Les Conjoints, une pièce d'Eric Assous, mise en scène de son complice Jean-Luc Moreau qui joue également l'un des rôles principaux.
Plus dramatique: Collaboration au théâtre des Variétés, voit la rencontre de Richard Strauss et de Stefan Zweig à l'aube du nazisme. Un grand moment.
Les Conjoints
Une structure déstructurée.
Une première scène banale : deux couples dont l'un a divorcé. Le mari divorcé s'invite chez l'autre couple, type même du mariage réussi. Il ne vient pas seul. Il arrive en compagnie d'une jeune femme canon. Un couple cliché : le cinquantenaire qui fait sa crise, quitte sa femme devenue grosse. Lui est devenu riche (merci le loto). Mais derrière ces banalités évidentes, il y a autre chose que le passé va dévoiler.
On remonte le temps. Nous voici quelques temps avant. Et puis encore avant et puis retour dans le présent. Chaque fois, on découvre une facette supplémentaire de ces deux couples, voire presque trois couples...
Et l'amour dans tout ça ? Omniprésent. Même s'il est bien difficile pour ces amants de l'accepter, de le laisser vivre, de se laisser vivre sa vie.
Le couple toujours le couple: enfer ou paradis?
Après L'illusion Conjugale, petit bijou moderne sur le couple, Eric Assous continue de scanner les rapports homme-femme, et plus particulièrement les liens conjugaux. Il fait un constat à la fois amer et pathétique et se penche encore sur le choix et ses conséquences pour les hommes et les femmes entre le mensonge et la vérité, le dit et le non dit. L'écriture de l'auteur est acérée et drôle, sa vision sans concessions. Avec cette pièce il aiguise et approfondit son sujet de prédilection, le couple. Une façon très british d'aborder ce thème. On penserait à Pinter si on osait.
De beaux interprètes. Anne Loiret, déchirée entre ses principes, ce qu'elle ressent et son devoir, est parfaite.
Deuxième bonne surprise
Ce vendredi avec Collaboration au théâtre des Variétés plus habitué depuis quelques années, aux pièces de boulevard qu'aux drames.
L'Histoire
Cette pièce nous plonge dès les lumières éteintes dans l'Histoire. L'Histoire de l'Europe mais aussi l'histoire de la musique. Mais le sujet n'est pas encore là. La pièce parle des rapports de deux artistes singuliers, admiratifs l'un de l'autre, qui collaborent à une même oeuvre et se trouvent confrontés au monde nazi et à sa marche destructrice. Quel choix adopter alors que l'art n'est plus que dogme ?
La musique du compositeur du Chevalier à la Rose, s'élève. Sur le rideau noir s'inscrit : Allemagne 1931. Un piano. Un décor gris, noir et beige. Richard Strauss, (Michel Aumont) au sommet de sa gloire, déprime. Il doit écrire un opéra. Les notes se bousculent dans sa tête, elles l'étouffent, il crève de ne pouvoir composer. « J'en ai la bouche remplie de sable ». Il lui faut un auteur pour imaginer une idée, une histoire pour un opéra.
Son épouse, son soutien, le décide à appeler Stefan Zweig, auteur autrichien remarqué, qu'elle admire.
De l'art et du monde
Les deux hommes si différents se rencontrent. Ils se reconnaissent entre artistes. Ils se complètent. Strauss est enthousiaste des idées de Zweig. Il a trouvé son alter ego, son inspiration.
Mais le nazisme monte, il s'étend. Richard Strauss pense échapper à tout cela, il est hors du monde, dans le processus de création. Le reste, il le balaie. Seule l'œ,uvre compte, l'art. Mais Zweig, a une conscience politique et le sentiment que l'artiste a un rôle ans la vie de la cité qui va au-delà de l'art. Lui, juif « par hasard », bientôt mis au banc de la société, déteste la violence. « La fin ne justifie pas les moyens ! » Conscient que cela ne fera que s'aggraver, il choisit de partir. D'errer. Puis de mourir, désespéré.
Strauss, lui, reste. Il pense manipuler les nazis, il pense que « la musique n'a que faire de la politique », il croit que son nom suffira à le laisser en dehors, qu'ils n'oseront pas le toucher. Mais il se pliera aux diktats.
Des interprètes scotchant
Michel Aumont a le panache, la hargne, la démesure de Strauss. Didier Sandre a la fragilité, la timidité résolue de Zweig, sa révolte et son impuissance. Deux tempéraments, deux acteurs qui ne prennent jamais le pas l'un sur l'autre. Christine Cohendy est l'épouse, la femme qui a les pieds sur terre, l'indispensable de l'artiste. Elle incarne avec élégance et talent une femme de conviction.
Une pièce où l'humour présent n'empêche pas de se poser des questions, de vibrer, de trembler et même de s'émouvoir.
A la dernière scène, Strauss devant la commission de dénazification, vieux et fatigué, pleure Zweig, un artiste, son ami. Quand le rideau est tombé, moi j'étais touchée.
Collaboration de Ronald Hartwood, mise en scène Georges Werler
Théâtre des Variétés, 7 boulevard Montmartre, Paris 2e Tél : 01 42 33 09 92
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