Présenté dans le cadre de la Sélection Officielle 'Un Certain Regard', au Festival de Cannes 2011, 'Et maintenant, on va où ?' sort au cinéma le 14 septembre 2011. Entretien avec sa réalisatrice, la libanaise Nadine Labaki, qui est aussi l'auteur de 'Caramel'
- Quel est le sujet de votre film ?
L'histoire se déroule dans un village de montagne, très isolé, où musulmanes et chrétiennes s'unissent pour éviter, par la ruse et le sacrifice, que leurs hommes s'entretuent.
- Raconté ainsi, on dirait un drame alors qu'on sourit beaucoup et que l'on rit souvent.
Tourner en dérision le malheur qui nous arrive est une manière de survivre et de trouver de l'énergie pour rebondir. En tout cas, pour moi, c'est une nécessité. J'ai voulu que le film soit autant une comédie qu'un drame et qu'il suscite autant le rire que l'émotion.
- Alors que l'on comprend que le pays dans lequel se déroule la guerre est le Liban, à aucun moment son nom n'est prononcé. Pourquoi ?
Pour moi cette guerre entre deux confessions est universelle. Elle pourrait tout aussi bien se dérouler entre sunnites et chiites, entre noirs et blancs, entre deux partis, deux clans, deux frères, deux familles, deux villages... C'est l'image même de toutes les guerres civiles dans lesquelles les gens d'un même pays s'affrontent alors qu'ils sont voisins et même amis.
- Vous êtes-vous inspirée d'une histoire réelle ?
Pas du tout. L'origine du film est très personnelle. J'ai appris que j'attendais un enfant le 7 mai 2008. Ce jour-là, Beyrouth a, une fois de plus, repris le visage de la guerre : routes barrées, aéroport fermé, incendies... La violence était partout. Je travaillais alors avec Jihad Hojeily, mon co-scénariste et ami, et l'on réfléchissait à mon prochain film. Dans la ville, c'était une véritable guerre de rue. Des gens qui habitaient depuis des années dans le même immeuble, qui avaient grandi ensemble, fréquenté les mêmes écoles, se battaient du jour au lendemain parce qu'ils n'appartenaient pas à la même communauté .
Et là, je me suis dit : si j'avais un fils, qu'est-ce que je ferais pour l'em- pêcher de prendre un fusil et de descendre dans la rue ? Jusqu'où irais-je pour que mon enfant n'aille pas voir ce qui se passe dehors et s'imaginer qu'il doit défendre son immeuble, sa famille ou ses idées ? L'idée du film est partie de là.
Comment éviter la guerre
- Ainsi, il est impossible pour un artiste libanais d'espérer parler d'autre chose que de la guerre ?
Ce n'est pas une histoire sur la guerre mais, au contraire, sur comment éviter la guerre. On ne peut pas vivre au Liban sans ressentir cette menace qui, finalement, déteint sur ce que l'on fait et sur notre manière de s'exprimer. Si on est un peu sensible à ce qui se passe autour de soi, on ne peut pas y échapper.
- Raconter que la paix peut passer par les femmes au-delà de leur appartenance à une communauté religieuse, c'est un rêve ou une conviction?
Un fantasme sans doute. La guerre est une absurdité absolue, un mal que l'on s'inflige pour des riens ou du moins pour des choses qui ne valent surtout pas la peine de s'entretuer. Et c'est parce que je suis devenue mère que je ressens cette absurdité plus fortement qu'avant et que j'ai voulu raconter l'obsession des mères à protéger leur enfant.
Cinéaste des femmes ?
- Et maintenant, on va où ? et Caramel parlent tous les deux des femmes. Vous définissez-vous comme une cinéaste des femmes ?
C'est la nature humaine en général qui m'intéresse. Mais peut-être que je me sens plus vraie en parlant des femmes parce que je connais leurs sentiments. C'est plus un souci d'authenticité qu'une mission !
- Vos deux co-scénaristes sont des hommes. C'est pour être au plus près de la vérité lorsque vous parlez des hommes ?
Si j'ai choisi ces deux co-scénaristes de sexe masculin c'est simplement parce que ce sont deux êtres très sensibles, très doués et très talentueux et avec lesquels je m'entends très bien. Je pense que je continuerai à faire des films avec eux, si, évidemment, ils ont envie de travailler avec moi.
Comédie musicale
- Dans ce film, on chante et on danse. Pourquoi ?
Une envie qui vient de mes rêves d'enfant quand je regardais des films musicaux comme Grease ou des dessins animés comme Blanche-Neige et Cendrillon. Mon film n'est pas une comédie musicale au sens propre du terme, mais comme je ne voulais pas faire un film politique, les chants et les danses me permettent de donner une atmosphère de conte et de fable.
D'ailleurs, le film commence avec cette phrase : «Je vais vous raconter une histoire». Un peu comme on dit : «Il était une fois...». Le film va peut-être choquer car il s'y déroule des événements trop improbables pour mon pays. Que des chrétiennes deviennent musulmanes et que des musulmanes deviennent chrétiennes est absolument impensable. Mais c'est justement pour avoir la liberté de raconter cette situation que je n'ai pas situé cette histoire au Liban et que j'ai voulu une sorte de conte.
- Le personnage que vous incarnez est amoureux d'un homme qui appartient à l'autre communauté. Cet amour est réciproque mais ils ne se l'avouent jamais sauf à travers une chanson qu'ils se chantent chacun intérieurement. Est-ce une façon pour vous de montrer qu'une telle histoire d'amour est impossible dans la réalité ?
Même dans leur tête, ils ne se le disent que d'une manière très timide. Bien qu'on prétende qu'aujourd'hui tout ça est dépassé, un mariage entre des jeunes gens de deux communautés différentes est encore très problématique au Liban. Autant pour la famille et la société que pour les intéressés eux-mêmes. Dans le film, il n'est pas dit que c'est interdit mais les deux amoureux n'osent s'exprimer qu'au travers d'une chanson.
Jouer et filmer
- Comme dans Caramel vous jouez et réalisez en même temps. C'est compliqué ?
C'est le film qui était compliqué et pas le fait d'être comédienne et réalisatrice en même temps. Le personnage principal étant le village, il fallait gérer une centaine de gens en même temps qui, pour la plupart, n'étaient pas des professionnels.
Et maintenant, on va où ?, film de Nadine Labaki
- Pourquoi faire appel à des comédiens non professionnels ?
Parce que j'aime jouer avec la réalité, mettre des vraies personnes dans des situations vraies et les laisser évoluer dans leur propre vérité. J'aime bien expérimenter en me servant de leurs gestuelles, de leurs voix, de leurs manières d'être... Le casting a été intensif. Pendant des semaines, une dizaine de personnes ont sillonné les rues.
Mais j'ai choisi aussi plusieurs comédiens professionnels comme, par exemple, le maire du village. Sa femme dans le film est en réalité l'épouse d'un homme d'un des villages où l'on a tourné. Pendant les repérages, elle était venue juste pour nous dire «Bienvenue chez nous» et je l'ai convaincue de jouer. Elle est géniale !
- Faire danser des non professionnelles c'est un vrai pari ?
Et, en plus, des femmes d'âges et de silhouettes différents ! on a dû faire beaucoup de répétitions et, à l'arrivée, c'est non seulement un moment formidable mais aussi inoubliable. on a tourné cette scène le premier jour, entrant ainsi dans le tournage d'une manière impressionnante. Voir ces femmes dans ce paysage et cette lumière magnifiques donnait la chair de poule.
Décors naturels
- Avez-vous utilisé uniquement des décors naturels ?
On a tourné dans trois villages différents : Taybeh, Douma et Mechmech. Le premier, situé dans la plaine de la Bekaa, est vraiment un village chrétien et musulman dans lequel, comme dans l'histoire, la mosquée est à côté de l'église. Pour les décors, j'ai voulu, là encore, être au plus près de la réalité. Avec Cynthia Zahar on a beaucoup travaillé sur les matières, la texture des murs, du bois, des tissus. Il fallait sentir le passage du temps, la pauvreté, l'isolement. Le village du film a connu la guerre, s'est retrouvé sans moyens de communication avec l'extérieur, sans télévision ni téléphone, isolé du reste du monde par un pont miné et dévasté par les obus !
- Le choix des vêtements a dû être un exercice compliqué puisqu'il fallait typer chaque communauté sans la caricaturer.
Et maintenant, on va où ?, un film de Nadine Labaki
Toujours par souci de réalité, ma sœur Caroline, qui est la costumière, a fait un énorme travail de recherche. C'était d'autant plus difficile que je ne souhaitais pas situer l'histoire dans une époque précise. Et c'est un village entier qu'il fallait faire vivre et évoluer ! Les murs des bureaux dans lesquels on préparait le film étaient jonchés de photos de comédiens habillés de leurs costumes et répartis par palettes de couleurs, par rôles, par catégories, par âges, par ordre d'importance dans le film etc... Un vrai casse-tête ! Quelques jours avant le début du tournage il n'y avait plus un coin ou un carré de libre sur ces murs !
- C'est Khaled Mouzanar qui, comme pour Caramel, a fait la musique du film. Vous aviez une idée précise de ce que vous vouliez ?
Khaled et moi nous sommes mariés, c'est le père de mon enfant. J'aime sa sensibilité et je suis toujours surprise par sa faculté à visualiser les images du film et à les traduire en musique dès la lecture du scénario et parfois avant même que les idées ou les scènes ne soient réellement écrites !
Dans la période d'écriture du scénario, il capte en effet des bribes d'histoires ou de scènes lors de discussions avec mes co-scénaristes et parfois, alors que je suis dans la chambre de mon fils à lui lire une histoire ou bien à la cuisine, je suis surprise d'entendre un air que Khaled joue au piano et qui convient parfaitement à une scène que j'ai imaginée. C'est ainsi que, peu à peu, la musique du film naît. on ne se dit jamais : «Et maintenant on va discuter de la musique.» Elle arrive naturellement. Dans le cas de ce film en particulier ça tombait bien puisqu'il fallait que les chansons du film soient prêtes avant le début du tournage ! Et les paroles des chansons sont de Tania Saleh, une très bonne amie mais surtout une artiste très douée.
Et la société
- Entre Caramel et Et maintenant, on va où ?, la société libanaise a-t-elle changé ?
Le poids de la communauté et de la famille font que, même si on prétend être les gens les plus émancipés et libres du monde arabe, il y a toujours cette espèce de peur de «qu'est-ce qu'ils vont penser ?» La hantise du qu'en dira-t-on. Au Liban, les façades des immeubles sont souvent très belles avec des balcons pleins de jolies fleurs. Mais, de l'autre côté, dans la cour intérieure, c'est le dépotoir. C'est pareil pour les gens : on prétend être libres et que tout va bien mais, en fait, beaucoup de tabous restent à régler. La raison en est qu'on n'a pas encore trouvé notre propre identité. ça se voit, par exemple, avec notre langue. Toute une partie de notre société, instruite et cultivée, ne parle plus l'arabe, mais l'anglais ou le français. Or, ce sont ceux-là qui pourraient le parler le mieux.
- C'est pour cette raison que votre film est tourné en arabe ?
Bien sûr ! C'est très tentant d'aller tourner des films à l'étranger et j'ai eu des propositions dans ce sens. Mais j'ai refusé. Je crains de ne pas être aussi authentique dans une autre culture que la mienne. En plus, je tiens à faire vivre cette vieille langue qui, quand elle est bien parlée, est très belle. Je suis reconnaissante à ma productrice Anne-Dominique Toussaint de ne rien m'imposer dans ce domaine. C'est quelqu'un de très instinctif, qui respecte ce que le réalisateur a envie de dire et pourquoi il veut le dire, sans jamais exercer de pression, commerciale ou artistique.
- D'où vient le titre du film ?
De la dernière phrase prononcée. C'est quand on pense enfin avoir réussi quelque chose, résolu une situation, trouvé une solution que, soudain, on se retrouve à nouveau perdu. Les femmes du village ont imaginé un ultime stratagème pour faire comprendre aux hommes que la guerre est absurde. Elles ont gagné mais, ensuite, que va-t-il se passer ? «Et maintenant on va où ?». Je n'ai pas de réponse.
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Source : Dossier 'Et maintenant, on va où ?
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