Médiation et société

La lucidité, clé de la médiation. Une Interview de Hélène Lesser

Au moment où va s'ouvrir le colloque 'La médiation et l'argent' à l'Assemblée Nationale le 5 novembre 2010, Hélène Lesser, médiatrice depuis quinze ans, publie 'La lucidité en médiation —, Analyses de situations'. Dans une interview exclusive pour toutpourlesfemmes elle explique le rôle des médiateurs dans la résolution des conflits.

Hélène Lesser, médiatrice
Vous êtes médiatrice. Quelle place prend la médiation dans notre société ?

Hélène Lesser : la médiation prend une place croissante dans notre société. Son but est de favoriser la résolution de conflits avec l'aide d'une tierce personne, le médiateur.

C'est une pratique fréquente dans le monde, qui s'est développée ces dernières décennies surtout dans les pays anglo-saxons. La médiation, dans certains cas, peut éviter de recourir aux tribunaux. D'autant que les justiciables en critiquent la lenteur, la complexité et le coût.
Un magistrat ou un procureur peut conseiller ou requérir une médiation. C'est la médiation judiciaire civile ou pénale.

Quelles sont les autres formes ?

Hélène Lesser : la médiation peut être également spontanée, lorsque les protagonistes décident d'eux-mêmes de venir parler de leur conflit. Il s'agit alors de la médiation conventionnelle.

Pour quel problème peut-on faire appel à un médiateur ?

Hélène Lesser : la médiation s'exerce dans de nombreux champs : la famille, l'entreprise, le droit du travail, les relations commerciales, la consommation, l'environnement, le voisinage, le scolaire, les institutions, les organisations, le service public, l'interculturel, l'internationnal... etc.



En quoi cela diffère des procédures traditionnelles ?

Hélène Lesser : la médiation concerne le plus souvent les relations humaines et pas seulement les questions de procédure. La tierce personne, le médiateur, va favoriser l'expression des faits et des émotions. Il offre l'espace à une nouvelle écoute et une meilleure compréhension de chacun. Il va soutenir les personnes dans leur dialogue et dans la recherche de solutions et d'engagements qui seront avant tout les leurs.

Comment procède le médiateur ?

Hélène Lesser : dans cette fonction, le médiateur fait appel à des techniques et à des méthodes pour lesquelles il est formé. Il doit pouvoir se faire une vision claire de la situation et de ses enjeux, pour accompagner des couples, des familles, des voisins, des partenaires, des professionnels.... traversant un moment de leur vie douloureux ou difficile. En organisant leurs échanges, il les invite à s'engager dans un dialogue véritable, accueille et contient leur agressivité et tente d'apaiser leurs tensions en dédramatisant leurs craintes et leurs angoisses.

Comment sont formés ces médiateurs ?

Hélène Lesser : jusqu'en 2004, la médiation n'avait pas de statut. Aujourd'hui encore elle n'est que rarement exercée comme une activité professionnelle principale. Elle l'est souvent par des bénévoles ou des salariés associatifs et institutionnels. Un diplôme d'Etat (décret de 2004) a été institué dans le champ familial et de nombreuses qualifications et certifications se sont développées dans les autres champs.
Ce qui fait évoluer la profession en améliorant les résultats (1).

Depuis 2004, des professionnels provenant de multiples horizons et aux formations initiales diverses ont ouvert des cabinets privés. Ils promeuvent la médiation familiale dans les domaines des sciences juridiques, sociales et humaines. Ils exercent en lien à la fois avec les magistrats, les avocats, les notaires et avec les conseils et thérapeutes de la famille.

Vous avez décidé d'écrire un livre sur « La lucidité en médiation ». Pourquoi ?

Hélène Lesser : sans lucidité on ne peut prétendre gérer des situations conflictuelles. Depuis quinze ans, j'interviens dans diverses sortes de conflits et je suis frappée à quel point tout concourt à occulter, masquer cette lucidité. D'un côté, les protagonistes, pris par l'émotion ou contraints par des pressions diverses, sont empêchés de poser le vrai problème. De l'autre, les médiateurs peuvent eux aussi se trouver bousculés par la complexité ou la violence des situations ou encore dépassés, leur propre histoire les conduisant à des interprétations parfois mal adaptées au problème.

Le médiateur a pour mission de faire parvenir les protagonistes à davantage de conscience, de clarté sur ce qui leur arrive, de lucidité et de responsabilité sur la situation, leurs intérêts réciproques pour poursuivre ou interrompre la relation. Il met sa propre lucidité à leur service.

Comment utilisez-vous cette notion ?

Hélène Lesser: l'expérience, les observations et les recherches que j'ai menées sur les pratiques de médiation m'ont amenée à décrypter les situations de conflit, à les débarrasser autant que possible des fumées et scories, des fausses raisons évoquées, en recherchant les questions réelles.

Le médiateur a acquis des compétences dans la façon de délier le dialogue, de maintenir ou de relâcher la tension et de garantir l'équilibre des propos et des échanges. Il œ,uvre à la dédramatisation et à l'apaisement. A sa façon, il accompagne le changement et l'évolution dans les pensées, les mentalités et les comportements.

Je propose au lecteur dans mon ouvrage « La lucidité en médiation —, Analyses de situations », d'emprunter le chemin pas à pas de la clarification du conflit selon trois méthodes. Ces méthodes sont illustrées chacune d'une situation de médiation.

Pouvez-vous illustrer votre propos ?

Hélène Lesser : Un homme accuse son épouse de laxisme et la rend responsable de la déchéance de leur ainé :
« .... C'est entièrement de sa faute si notre fils est tombé dans la drogue... mon beau père est alcoolique, alors.... vous comprenez ! c'est de famille ! Moi, je voulais être plus sévère. Elle, elle lui donne toujours trop d'argent.... Elle l'a pourri ! »

Une femme refuse les promesses de son ex-mari :
« .... Comment voulez-vous que j'accepte ce qu'il propose... des promesses, toujours des promesses et rien au bout du compte. Je ne peux plus lui faire confiance.... Combien d'emplois il a refusé ? et avec ce qui lui restait des Assedic, il vient encore d'acheter des jeux vidéo pour le gamin... Il est inconscient ou quoi ? »

A quoi sommes-nous confrontés dans ces deux exemples ?

Hélène Lesser: il est important de faire entendre que comprendre l'autre ne signifie pas forcément se ranger à sa position ou abandonner... de guerre lasse son propre point de vue. Egalement, il est primordial de faire saisir que les convictions de l'un ne sont pas toujours incompatibles avec les croyances de l'autre. Ce n'est pas parce que l'un estime être dans son bon droit que l'autre a obligatoirement tort.
Le médiateur peut aider, selon les circonstances, à faire accepter de se séparer sans trop de ressentiment ou de rancœ,ur.

Il s'intéresse à chacun d'eux, va se mêler à leurs histoires et tenter de ne pas s'y emmêler. La posture est délicate et parfois périlleuse.

--------------------------------------------------------------------------------------------(1)Quelques statistiques
-Taux d'accord
--80 % en médiation conventionnelle , 70 % en médiation judiciaire avec des médiateurs formés
--35 % de taux d'accords avec des médiateurs non formés
-Exécution des accords
-98 % en médiation conventionnelle , 50 % en médiation judiciaire
-Mise en place d'une médiation
50 % des démarches

Par Elsa Menanteau