Le musée des Beaux-arts de Reims présente jusqu'au 28 juin 2010 une exposition exceptionnelle par son ampleur et sa diversité consacrée au peintre Foujita (1886-1968). 'Foujita monumental ! Enfer et paradis' rassemble près de 80 toiles, sculptures, maquettes et documents. Un grand hommage au peintre qui, à Reims, fit ériger et décora la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix à la suite de son baptême avec Kimiyo, sa veuve décédée en avril 2009.
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Souvent considéré comme le plus grand et le plus original des artistes japonais du xxe siècle Foujita a su, rapidement, digérer l'héritage de la tradition japonaise et de l'art des estampes tout en s'appropriant la renaissance et la modernité européenne.
L'évocation du parcours hors du commun de cet artiste inclassable, passant des frasques de la vie parisienne aux fresques de la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix qu'il fait ériger à Reims à la suite de son baptême, met en lumière la diversité exceptionnelle de son oeuvre.
Ses toiles monumentales imprégnées des années folles avec Kiki de Montparnasse et Youki sont une remarquable ode à la sensualité.
Puis, marqué par les horreurs de la seconde Guerre mondiale, Foujita change, et son oeuvre avec lui. il se convertit au catholicisme avec Kimiyo, sa dernière femme, et se consacre désormais à sa chapelle rémoise, dont les études et les fresques elles-mêmes constituent le testament de l'artiste et composent un véritable hymne au sacré et à la paix.
Déjà dépositaire d'une oeuvre du peintre, la Ville de Reims vient de recevoir
en legs de la part de sa veuve Kimiyo Foujita, décédée en avril dernier, trois
nouvelles oeuvres de Foujita. Responsable depuis 1966 de la chapelle Notre-
Dame de la Paix, où le peintre et son épouse reposent désormais, la Ville se
devait de proposer au public une grande rétrospective. Avec cette exposition,
c'est enfin chose faite ! Articulée autour de quatre tableaux monumentaux de
3x3 m, l'exposition évoque le parcours hors du commun du peintre. Il s'agit donc, de section en section, de montrer quel
équilibre s'installe dans son oeuvre, entre le Paradis —, le religieux —, et l'Enfer
—, le monstrueux. Car l'oeuvre de Foujita est, à bien des égards, souvent
inquiétante.
Foujita : de la vie parisienne à l'art sacré
C'est à partir de 1913 que Tsuguharu Foujita, né en 1886 au Japon, découvre
la France : à Montparnasse, il côtoie Modigliani, Soutine ou Picasso. De
retour dans son pays en 1933, il sera l'un des peintres officiels de la guerre.
Mais les horreurs du conflit, Hiroshima et Nagasaki, le marquent
profondément : en 1950, il se réinstalle en France, puis en 1959, il se
convertit au christianisme à Reims, après la visite de la basilique Saint-Remi.
Dès 1963, il réfléchit à la construction d'une chapelle : sur un terrain proposé
par la maison de Champagne Mumm, il conçoit, fait construire et décore en
quelques mois à peine la chapelle Notre-Dame de la Paix. Consacrée le 1er
octobre 1966, elle sera solennellement offerte à la Ville de Reims le 18
octobre. Achevant un travail titanesque, comparable à l'édification de la
chapelle Sixtine par Michel-Ange, Léonard Foujita, de son nouveau nom de
baptême, y est inhumé en 1968. Il aura laissé dans la peinture française
l'empreinte japonaise la plus originale du XXe siècle : jouant des grands fonds
blancs et du trait, imaginant des corps sculptés à l'antique, dans un univers à
la fois étrange et fantasmagorique.
FOUJITA, DE SESSION EN SESSION
De Tokyo à Montparnasse
Traditions,
extravagances et stratégies
médiatiques
Foujita arrive en à Paris en 1913. Pendant une vingtaine d'années,
jusqu'en 1931, il vivra à Paris dans le quartier de Montparnasse dans un
environnement international effervescent. Affichant son ambition d'être
reconnu, et s'affichant comme une star internationale.
A Paris, Foujita s'intègre facilement à une communauté d'artistes et d'amis
d'origine étrangère. Avec eux, il participe à l'école de Paris - un creuset où
chaque étranger apporte sa tradition et l'entremêle à celles de la France. Il
rencontre ainsi l'Italien Modigliani, le Lituanien Soutine, le Russe Chagall, le
Mexicain Diego Rivera, et découvre grâce à un peintre chilien l'atelier de
l'Espagnol Picasso.
Mais au-delà du cubisme, c'est d'abord l'oeuvre du Douanier Rousseau qui le
fascine et qui le conduit à réaliser des paysages mélancoliques, proches
aussi de ceux tourmentés de Soutine. Parallèlement, il fréquente les musées
occidentaux et n'est pas insensible à l'académisme et au classicisme.
Rapidement, il priorise le dessin et le nu dans le sillage d'Ingres tout en
assumant naturellement ses origines nippones : ligne fluide, rejet de la
perspective... Il absorbe alors avec gourmandise les diverses facettes de l'art
européen depuis l'époque médiévale. Ambivalent et extravagant, entre Orient
et Occident, son originalité au sein des peintres japonais en France explique
son succès. Dès les années 20, Foujita est reconnu pour ses nombreux nus
féminins, motif central de son oeuvre jusqu'en 1929 .
Il devient alors un personnage de fictions, un « homme à femmes », une star
internationale. Car les « montparnos » aiment aussi faire scandale pour attirer
les foules. Comme Kisling et Van Dongen, il aime se faire filmer avec le tout
Paris. Véritable dandy surnommé « Foufou », portant des anneaux d'oreille et
une coupe de cheveux « à la chien », il fait l'objet d'un reportage à Deauville
avec Mistinguett et la chanteuse Susy Solidor. Il instrumentalise alors son
propre mythe pour mieux imposer encore son originalité et sa voie au-delà de
toute école.
Les « grands fonds blancs »
Un
manifeste entre guerre et paix
En 1929, cinq oeuvres monumentales de Foujita sont à l'honneur à la
galerie du Jeu de Paume à Paris. Parmi elles, deux diptyques
(Compositions au Chien et au Lion et les Lutteurs I et II) expriment un
jeu d'oppositions entre lutte et volupté, guerre et paix. D'une dimension
de 3 m sur 3 m, ces quatre compositions seront offertes bien plus tard
par la veuve du peintre au département de l'Essonne. Restaurées entre
2001 et 2007, elles sont montrées pour la première fois au grand public à
Reims en 2010.
Essentiels par leur technique, les « grands fonds blancs » de Foujita font sens
par rapport à l'art japonais et à celui des estampes (Ukiyo-e) : ils symbolisent,
grandioses, l'équilibre tant recherché par Foujita entre l'art occidental et l'art
japonais tout en rappelant la sensualité des années folles et ses célébrités —,
notamment la célèbre Kiki de Montparnasse. Le peintre écrit d'ailleurs : « ce
sont les quatre grandes toiles où j'ai mis toute mon âme et mon travail... »,
considérant qu'il s'inscrit dans la grande histoire de la peinture de son temps.
Fruits de copies réalisées au Louvre, les quatre toiles mettent en évidence
l'intérêt de Foujita pour la culture artistique européenne, la Grèce, la
musculature des figures de Michel-Ange, la Renaissance italienne... autour
d'un sujet classique : le nu. Dépassant les grands héritages européens et
nippons, Foujita cherche alors à « reproduire le plus beau des matériaux : la
peau humaine ».
Enfin, une dernière oeuvre est exposée à la Galerie du Jeu de Paume en
1929. Il s'agit d'une toile inachevée de 2,35 m sur 3 m évoquant un cheval et
un lion, à rapprocher d'un diptyque monumental que Foujita réalise pour la
maison des étudiants du Japon à la Cité universitaire internationale de Paris,
et qui symbolise l'inexorable évolution du peintre vers le monumental. En
1931, Foujita met d'ailleurs fin à son premier séjour parisien et part pour
l'Amérique latine : il y analysera de près le muralisme de Diego Rivera,
puisant Outre-Atlantique de nouvelles influences.
Du baptême au sacre de Foujita
Un testament rémois entre Expériences
En 1933, Foujita rentre d'Amérique Latine et retrouve le Japon. Artiste
officiel du régime, il dépeint la guerre sur des grands formats à la
manière des peintres français du XIXe siècle, tel Delacroix. Mais en 1949,
marqué par les horreurs de la guerre, il quitte son pays. Après un court
passage à New-York, il se réinstalle en France en 1950. Il obtient la
nationalité française en 1955 et se fait baptiser à Reims en grande
pompe en 1959.
Après la guerre et la grande peinture d'histoire, à son retour en France, c'est
dans l'art religieux de Dürer et des Italiens de la Renaissance, dont Léonard
de Vinci, que Foujita se réfugie.
Le 18 juin 1959, il visite avec son ami René Lalou, directeur de la maison de
champagne Mumm, la basilique Saint-Remi. Près du tombeau de saint Remi,
il dédie la flamme de son cierge à la Vierge et décide de se faire chrétien,
bien que bouddhiste. Malgré sa vie tumultueuse et ses divorces, les autorités
religieuses acceptent qu'il soit baptisé en la cathédrale Notre-Dame de
Reims.
Son baptême, le 14 octobre 1959, marque son véritable retour sur la scène
médiatique. Alors qu'il se fait baptiser et « sacrer » avec Kimiyo, sa nouvelle
femme, toute la presse internationale est présente. Tsuguharu Foujita choisit
en prénom de baptême Léonard, en hommage au grand peintre italien, près
de 20 ans après le terrible bombardement de l'église Santa Maria delle Grazie
à Milan, où se trouvait la Cène.
Dans la foulée, Foujita offre alors à l'archevêché de Reims une Vierge à
l'enfant datée du jour de son baptême et déposée ensuite au musée des
Beaux-arts de Reims. Puis il décide de faire construire une chapelle à Reims
en hommage à la ville, symbolisant sa quête évidente de paix et de paradis
perdu. Son ami, René Lalou, qui finance le projet, lui offre le terrain. La
chapelle Notre-Dame de la Paix est sur le point de naître.
La chapelle Notre-Dame de la Paix
enfer et paradis
Le 1er octobre 1966, la chapelle Notre-Dame de la Paix est consacrée. Le
18 octobre, Foujita en remet les clefs à la ville de Reims. Concluant un
travail de plusieurs années, mené par le peintre avec l'architecte rémois
Maurice Clauzier, la chapelle Notre-Dame de la Paix constitue à la fois
une oeuvre d'art total, rappelant les démarches de Matisse à Vence ou de
Cocteau à Villefranche, et un véritable testament. Le peintre crée et
dessine non seulement l'architecture mais aussi les vitraux, les
ferronneries, les sculptures, le jardin, le calvaire. Entre le printemps et
l'automne 1966, il y réalise près de 110 m² de fresques.
Là encore la technique utilisée a son importance. Alors que l'architecture
extérieure rappelle la Méditerranée, la Bretagne et le régionalisme, l'artiste
s'engage pour la décoration intérieure dans un vaste et difficile chantier où il
réalise à fresque toutes ses compositions à un rythme épuisant, dans le
sillage d'un Michel-Ange pour la chapelle Sixtine.
Au-delà des scènes courantes sur la vie du Christ, il se recrée ainsi un
christianisme personnel où il modifie la chronologie des scènes de la vie du
Christ et ses codes iconographiques. Pour le calvaire, il hésite ainsi à
représenter l'enfant Jésus crucifié au lieu d'un Christ en souffrance.
Partout, l'artiste introduit aussi une multitude de détails dérangeants :
grotesques, évocation des Sept Péchés capitaux, ossements, pendus
calcinés et crânes grimaçants, enfants aux regards perçants et bestiaire
angoissant —, expliqué peut-être par le traumatisme d'Hiroshima —, sont là pour
rappeler au visiteur la fragilité de l'existence.
Entre enfer et paradis, cette oeuvre est la conclusion de sa vie, le résumé de
toutes ses sources d'inspiration. Foujita nous y propose une vraie réflexion
sur la réconciliation des hommes et la nécessité de la paix, dans une ville
marquée par la reddition du 7 mai 1945 et la réconciliation franco-allemande
en 1962.
Mais c'est aussi pour le peintre, dès 1968, et pour sa femme depuis 2009,
une dernière demeure, un tombeau ayant pour vocation d'immortaliser une
démarche incontournable dans l'histoire de l'art du XXe siècle.
Apocalypses
L'art sacré de Foujita est connu dès 1917, parallèlement à ses paysages
et ses nus. Toutefois, dès après la guerre et son retour en France en
1950, le peintre semble hanté par l'effroi et l'anxiété générés par la
guerre et la bombe atomique. Dés son baptême, l'apocalypse commence
à le hanter.
En 1959, au moment où il se convertit au christianisme, Foujita est sollicité
par l'éditeur Foret pour réaliser, dans le cadre d'un livre-monument de 210 kg,
3 planches avec 6 autres artistes sur le thème de l'Apocalypse (dont Dali,
Buffet, Fini, Trémois, Mathieu et Zadkine). En lien avec ce projet, il travaille
sur un gigantesque triptyque, l'Apocalypse de saint Jean, se documentant
beaucoup, notamment à partir de bibles anciennes et japonaises.
Dans ces Apocalypses, où il peint notamment des enchevêtrements
d'ossements, c'est une certaine naïveté et un certain archaïsme qui
transparaissent : rappelant que Foujita fut parfois qualifié de « Fra Angelico
nippon », et préfigurant bien en amont les scènes macabres des vitraux de la
chapelle.
Reste qu'au-delà de l'apocalypse, ce sont aussi ses Vierges successives, de
la Vierge à l'enfant offerte à l'archevêché en 1959 à la Madone des Vignes
réalisée pour la chapelle Notre-Dame de la Paix en 1966, qui participent d'une
dimension démoniaque dépassant largement le classicisme de l'art sacré.
Dans son approche de l'art sacré, le peintre aura donc affiché toute sa vie sa
volonté de rester totalement libre et indépendant vis-à-vis des codes. Et, à 80
ans, il aura réalisé son ambition : s'inscrire dans la tradition occidentale tout
en affirmant sa capacité à la réinventer.
L'atelier de Foujita
artistiques et art de vivre
Impossible d'évoquer l'oeuvre de Foujita sans s'intéresser à son art, à sa
technique. Aussi, en marge de l'exposition, le musée des Beaux-arts de
Reims a t-il-choisi de présenter un espace rappelant la maison-atelier de
Foujita à Villiers-le-Bâcle, propriété du Conseil général de l'Essonne. A
la fois dernière section d'exposition et véritable atelier de création pour
le jeune public, ce lieu devrait permettre au public de mieux s'immerger
encore dans l'oeuvre du peintre.
Palette, brosses occidentales, pinceaux asiatiques, bocaux remplis de
pigments qu'il prépare lui-même, confirment l'originalité et la multiplicté des
techniques que le peintre maîtrise. Toutefois, à Reims, Foujita s'illustre
surtout comme le dernier grand fresquiste du XXe siècle. Réalisant près de
110 m² de fresques pour la chapelle Notre-Dame de la Paix, il s'est ainsi
inscrit à Reims dans l'héritage de la Renaissance Italienne, de Michel-Ange et
de Léonard de Vinci, avec une technique qui ne laisse droit ni à aucun
« repentir » ni à aucune « erreur ».
Au-delà des techniques, les sources d'inspiration du peintre sont elles aussi
nombreuses. Plusieurs objets témoignent ainsi à la fois de son habileté
créative en toute liberté —, du grand art au « kitsch » le plus assumé —, et de
l'importance qu'il accorde aux objets du quotidien et à la vie rurale : de
nombreuses maniques, des céramiques, et des boîtes parfois décorées par
lui... Jusqu'à L'Age mécanique, un énigmatique tableau qui rappelera son
rapport ambivalent à l'enfance : point de refuge certes nécessaire après la
guerre mais mêlé d'étrange et de fantasmagorique.
- du 1er avril au 28 juin 2010
- Musée des Beaux-arts
de Reims
- Horaires d'ouverture :
Lundi, mercredi , vendredi de 10h à 12h et de 14h à 18h -Jeudi de 10h à 12h et de 14h à 18h.-
Samedi, dimanche de 11h à 18h -
Fermé le mardi
- Tarifs :
Pass découverte : 3 € (valable un mois, une entrée par musée)
Pass mensuel : 8 € (valable un mois, sans limitation d'entrées)
Pass annuel : 30 € (valable un an, sans limitation d'entrées)
- Accès : Bus : Lignes A, F et T, arrêt Beaux-arts
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