Le contrat de travail est il une contrainte ou une opportunité ? Jacques Brouillet, avocat, spécialiste du droit social s'adresse aux chefs d'entreprises, à leurs directeurs de ressources humaines. La réflexion qu'il porte sur le sens des relations sociales de nos jours, dans les contextes politique, économique et européen actuels, relèvent in fine plus des principes humanistes que de la loi. Des principes qu'il revendique expressément.
Voici le texte d'une conférence qu'il a prononcée en mai 2009.
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Avant de débuter, je souhaite faire deux observations préliminaires sachant que certains d'entre vous auront une opinion différente de la mienne :
1. Selon moi, on ne peut pas être un conseiller en droit social si l'on n'a pas un fort engagement personnel. Je revendique mon attachement à certaines valeurs, certaines forces. Je suis né à St Etienne en 1943, élevé par les frères des écoles chrétiennes. J'ai une approche et une attache à la religion catholique. Je ne suis pas ici pour faire du prosélytisme, mais je dis et je pense que c'est un élément de sincérité et de confiance. Voilà l'homme qui s'adresse à vous. Certains d'entre vous auront probablement une opinion ou une religion ou une philosophie différente de la mienne. Je vous demande de respecter ma position, sachant que, par avance, je suis prêt à respecter la vôtre.
2. Je suis persuadé que le droit social est une branche du droit conjugal. Ce que je dois à mon épouse n'est sans aucune mesure par rapport à ce qu'ont pu m'apprendre mes professeurs agrégés de la Faculté de Lyon, ou de Sciences-po. En effet, elle m'a fait comprendre que mon opinion personnelle n'avait aucun intérêt, tant que je n'étais pas de son avis !
Certains d'entre vous se reconnaîtront dans cette situation ! C'est une pensée profonde comme dirait Coluche ! Cependant, il faut que vous gardiez à l'esprit que lors d'une négociation, il se pourrait que votre interlocuteur ait une opinion différente de la vôtre et que cela n'en fait pas forcément un « idiot ».
Je vous propose d'évoquer ces différents points :
- Les défis sociaux du XXIème siècle « selon moi »
Ce n'est une forfanterie de ma part mais l'indication qu'il s'agit de ma vision personnelle du sujet. En effet, je ne pense pas que l'on puisse être neutre politiquement, philosophiquement.
- Les nouveaux enjeux sur le plan des relations sociales, des comportements et des acteurs sociaux.
- Nos atouts.
Parmi eux, il y a ma forte conviction, que j'essaye de faire partager depuis de longues années : la possibilité d'une régulation des relations sociales par une meilleure utilisation de la négociation collective et la revalorisation du Contrat de travail qui doit devenir un «Contrat de confiance»
A mon arrivée à Paris, en 1980, j'ai pris la direction du département droit social de Fidal. A cette époque, j'ai rencontré les trois frères Darty qui avaient besoin de mes services. Au cours de notre entretien, et dans la foulée de ce que je disais depuis plus de 10 ans dans le désert, je leur parlais de la nécessité de reconstruire le contrat de travail pour qu'il devienne un contrat de confiance.
Quels sont les principaux défis sociaux du XXIème siècle ?
Vous avez remarqué qu'en France, lorsqu'un DRH dit à l'un de ses collaborateurs « J'ai eu une bonne idée. J'envisage de te proposer une modification de ton contrat », la réaction spontanée de 99 % des salariés est d'être sur la défensive et de se dire « de quel côté je me tourne, pour ne pas me faire avoir ? ». On devrait s'interroger sur le fait qu'une telle attitude puisse être encore possible aujourd'hui et qu'effectivement le salarié voit dans le contrat de travail tout, sauf le lien de confiance, de collaboration et de coopération.
C'est ainsi que j'ai eu un certain plaisir à voir que DARTY avait retenu l'idée du contrat de confiance......pour ses clients !
1er défi : La crise ou le déclin de notre civilisation :
Je crois que nous sommes à un tournant majeur de l'évolution de notre civilisation. Cette dernière se caractérise par une forte propension à l'individualisme, une forte prédominance du matérialisme et par une dérive de la finalité de l'économie. Je dénonce cette dérive depuis très longtemps.
Selon une formule que je répète, avec peu de succès : « la finalité de l'économie est sociale ». Même la lecture d'une BD comme Astérix vous indique la finalité de l'économie. Si dès cette époque, les individus ont organisé une société économique (chasse, pêche, alimentation...) c'est pour pourvoir se répartir la valeur ajoutée créée. La finalité de l'économie est là : créer de la valeur ajoutée pour mieux la répartir.
Aujourd'hui, notre système, en limitant la finalité de l'économie au profit, a montré ses faiblesses. Le profit est un moyen d'assurer la finalité de l'économie mais la finalité de l'économie est sociale. Elle ne saurait avoir d'autres sens. Produire pour produire, créer du profit pour créer du profit, pourquoi ? Notez bien que ces propos m'ont valu d'être sifflé par certains auditoires.
Lors de mes consultations, lorsque l'un de mes clients me posait la question : « Comment faire au moindre coût pour... », je lui répondais qu'il devait tout d'abord se poser deux questions préliminaires « au comment », à savoir ces interrogations, que je vous invite à méditer, « pourquoi ?» et « pour quoi ? ».
Pourquoi :
Pourquoi le problème se pose ? Pourquoi fait-on ce que l'on fait ? Pourquoi ne fait-on pas autrement .
Et bien, 30 DRH sur 35 répondent : « parce qu'on a toujours fait comme cela », « Parce qu'on ne pensait pas pouvoir faire autrement », « Parce que c'est plus facile de continuer ainsi ».
Pour quoi ?
C'est-à-dire, être capable de préciser le but recherché : licenciement ? Réorganisation ? Quelle est la finalité ?
En posant la question à votre avocat, si vous n'avez pas répondu au premier pourquoi et au deuxième pour quoi, vous obtiendrez simplement de sa part une recette toute « faite ».( Qui justifie qu'on les appelle « Maïtre » dés lors qu'ils se comportent en « maitre-patissier » ) Ces recettes coûtent cher alors qu'elles sont en nous-mêmes, dans les acteurs sociaux... à la condition de savoir se poser les deux questions préalables : « Pourquoi ? » et « Pour quoi ? ».
2ème défi : Rôle des États face au marché et aux multinationales ?
Parmi ces défis du XXIème siècle, le plus important est celui de la place, du rôle des États et la nécessité d'une régulation sociale.
Demain, les États seront-ils suffisamment forts pour réguler les besoins d'un marché qui a certes sa nécessité mais qui n'est pas là pour dominer l'organisation du monde ? Peut-on éviter que ce soient les multinationales qui dirigent, en fait ?
Selon moi, il est certain, (et malheureusement l'actualité récente nous le démontre) que nous aurons besoin plus que jamais de régulation juridico-économico-socialo mondiale. J'ai prêché dans le désert pendant de nombreuses années pour un modèle social européen. Mais je reste persuadé que si l'Europe veut s'en sortir, il faut que les 27 pays membres de l'union européenne adoptent une position commune sur la crise financière. Cette dernière, annonce la crise économique et laisse de côté la crise sociale. Je prétends, et je crains, que nous soyons passés de l'ère de l'exploitation de l'individu, qui était le danger majeur sur le plan des tensions sociales, à l'ère de l'exclusion. Comme le dit Viviane Forrester dans son ouvrage « L'horreur économique » : « l'économie n'a même plus besoin des pauvres pour fonctionner ».
La menace qui pèse sur les relations sociales de demain, c'est bien l'exclusion et non plus l'exploitation. Le grand enjeu de notre société sera de savoir, combien de personnes dans le monde seront exclues du progrès économique et social. Les différentes statistiques nous montrent, qu'effectivement, le développement économique est incontestable. Il a produit indiscutablement un développement social, du pouvoir d'achat. Mais combien de personnes en sont exclues aux États-Unis, en France et dans le monde ?
A mon sens, l'enjeu de demain sera très vraisemblablement d'être capable de lutter contre l'exclusion. Elle est une menace majeure. Dans son ouvrage « Mac'Do versus D'Jihad », Benjamin Barber fait remarquer que le système économique américain continuera de fonctionner tant que les consommateurs, (électeurs) seront assez nombreux. Par contre, si la proportion d'exclus devient trop importante, le système explosera.
3ème défi : Maîtriser les excès de la judiciarisation des relations sociales et humaines.
Nous sommes en train d'évoluer vers un système qui, de ce point de vue, se rapproche du système américain et de ses dérives. Le « tout judiciarisé ». Tout se règle par les conflits juridiques. Bien évidemment, le droit est nécessaire et le rôle juridique, important, mais pas dans cet esprit de contestation et de revendication, de mise en cause de la responsabilité de l'autre au moindre problème.
On assiste à une judiciarisation des relations sociales.
Pour moi, l'avocat ne doit pas être simplement perçu comme celui qui est chargé d'un dossier et qui plaide contre l'autre. Il devrait être avant tout un conseiller, un médiateur qui rapproche les parties.
D'où mon interrogation : quelle sera la portée de la réforme concernant la rupture d'un commun accord du contrat de travail ? Pour l'instant, je ne suis pas d'accord avec cette réforme, mais ma position n'est pas définitive.
Probablement trop marqué par mon expérience familiale/conjugale et par mon obsession de la filiation entre le droit social et le droit conjugal, je trouve que la rupture d'un commun accord du contrat de travail ressemble au divorce par consentement mutuel. Dans les procédures de divorce par consentement mutuel, j'ai souvent observé qu'il y avait toujours l'une des deux parties qui était plus consentante que l'autre... !! Et que l'accord se faisait sur le prix à payer.... ! Talleyran, (le maitre à penser de certains DRH... ne disait-il pas «je ne sais pas ce que vaut un homme , mais je sais qu'il a un prix» ?
Concernant le contrat de travail, les difficultés seront de savoir si la volonté de rupture est commune aux deux parties et laquelle est à l'origine de cette rupture. ? Nous passerons ainsi du compromis à la compromission. De plus, la rupture d'un commun accord ne peut exister que si un intérêt commun bien partagé existe.
En outre, alors que les salariés ont aujourd'hui la possibilité de prendre leur retraite au delà de l'âge légal, le risque est que, demain, l'entreprise cherche à trouver une faute grave pour justifier le licenciement de l'un de ses salariés âgé de 62 ans. Nous allons donc nous retrouver avec les dérives que nous avons connues pour contourner la contribution Delalande où certains de mes clients me téléphonaient pour dire : « Que pourrait-on mettre comme faute grave ? Que pensez-vous de l'abandon de poste ? En effet, comme il ne se présente pas à son poste, on lui a envoyé deux lettres recommandées auxquelles il ne répond pas. C'est donc bien un abandon de poste ?. Et dans ce cas, vous m'aviez bien expliqué qu'on ne payait pas la contribution Delalande pour un licenciement pour faute lourde, n'est-ce pas Cher Maître ? ».
4ème défi : Les délais dus aux méfaits de l'invasion des nouvelles technologies.
Sans vouloir paraphraser certains grands philosophes ou grands auteurs, je pense que nous sommes actuellement dans la situation où l'outil domine l'homme. L'homme est devenu le prolongement de l'outil et non pas l'inverse.
Nous avons le cas des mails.
Exemple : Des employés dans un même bureau qui s'échangent des mails alors qu'ils pourraient se parler directement.
Le mail, outil de communication par excellence, a permis beaucoup de progrès... sauf la finalité qui lui était imposée : faciliter la communication entre les personnes.
Notre messagerie est envahie par les spam. Chaque jour, nous passons un tiers de notre temps à lire nos messages. De plus, l'usage est venu d'envoyer son message avec copie « urbi et orbi », c'est-à-dire à plusieurs destinataires, d'où une amplification des problèmes !.
Ensuite, comme le souligne le professeur Jean Emmanuel Ray, nous utilisons dans nos mail un « langage parlé écrit ». Ce langage peut se révéler problématique lors de procédures devant le conseil des prud'hommes par exemple. Prenons le cas d'un salarié transmettant à son avocat ses échanges de mail avec sa hiérarchie. L'avocat peut y trouver de multiples arguments contre son employeur :
- Non respect de la durée du travail. Si parmi ces échanges, on trouve des mails du vendredi soir (« j'attends ta réponse pour demain matin »), du samedi (« je n'ai toujours pas eu ta réponse pour la réunion du lundi matin»), du dimanche (« quand est-ce que je vais recevoir ta réponse ? »).
- Utilisation de propos désobligeants, des écarts de langage en clair. « Quand est-ce que ce c.. cessera de perdre son temps dans les réunions du Comité d'Entreprise et fera son travail ? ». La plaidoirie de l'avocat de l'employeur devant le Conseil des prud'hommes ne sera pas des plus aisées ! : « C'est un dérapage de langage, vous comprenez, Monsieur le Président , dans le bâtiment il est d'usage de dire ce genre de grossièreté mais il n'y a, bien sûr, aucune volonté d'atteinte ni à l'individu, ni à la fonction syndicale...».
5ème défi : Résister aux méfaits du droit gazeux (expression J. Brouillet).
En ce moment, nous sommes en plein droit gazeux. Dans notre société, depuis quelques années, on légifère en effet au moindre problème et très rapidement. Le citoyen, le législateur, (le Président) ont horreur du vide. Il faut donc que le droit occupe cet espace. Il ne faut surtout pas laisser celui-ci à la réflexion, à la vraie concertation. Il faut qu'une loi soit écrite très vite afin de combler ce vide et la personne qui a proposé sa loi estime avoir fait son devoir : « Il y avait un problème, j'ai donc écrit une loi. J'ai fait mon boulot. »
Vous avez remarqué que souvent à peine la loi est-elle votée que :
- premièrement elle est contestée par une bonne partie de l'Assemblée Nationale ,
- deuxièmement le Conseil Constitutionnel « s'arrache les cheveux » pour garder tel ou tel article, modifier tel ou tel autre article, etc.
- troisièmement, dans un certain nombre de cas, la loi est meme retirée avant son application. !
-enfin , le plus souvent , elle n'est pas appliquée... !!!
Il est urgent de mettre fin à cette période de droit gazeux.
Il est révolu , le temps où lorsqu'on lisait une loi on la comprenait. Aujourd'hui, lorsqu'une nouvelle loi sort, mes confrères et moi-même nous nous disputons entre nous pour tenter de comprendre ce que le législateur a voulu dire.
La réflexion doit l'emporter sur le réflexe tout simplement.
Dans notre société, tout nous pousse à agir plus vite. Pourquoi plus vite ? Pourquoi je ne reçois plus de lettres ? Pourquoi je n'ai que des mails ? Il était pourtant agréable de recevoir un courrier. Votre correspondant s'obligeait à réfléchir sur la formulation de son courrier alors que les mails sont rédigés en charabia. Lorsqu'un interlocuteur m'adresse un mail, il ne m'appelle plus « Maître » et ne termine plus son message par « cordialement ». Je suis devenu un fournisseur parmi les autres fournisseurs. A question mal posée, réponse mal donnée. Si vous vous précipitez sur votre ordinateur pour répondre à un mail, vous êtes certain de commettre la première erreur. Il faut téléphoner à votre client pour lui dire que vous avez bien reçu son mail mais que vous avez cependant besoin d'informations supplémentaires (qui ? pourquoi ? pour quoi ?). La réflexion doit l'emporter sur le réflexe, et non pas l'inverse. On croit agir parce que l'on réagit, mais ce n'est pas la bonne attitude.
Ne soyez pas étonnés que parmi ces défis du XXIème siècle, nous aurons, de par ce phénomène même, de l'accélération de la mauvaise utilisation des outils qui étaient appelés à améliorer nos conditions de vie, une amplification réelle du harcèlement et du stress. Ce seront les phénomènes majeurs de demain dans les relations sociales.
Tout est devenu harcèlement, tout est stress ! Comment faire la distinction entre les deux ? Je ne le sais plus. On en revient à mon analyse sur le droit social et le droit conjugal : votre opinion personnelle n'est pas importante, par contre celle de l'autre l'est (son ressenti). Vous avez beau dire : « je lui donne une instruction c'est normal » mais si votre interlocuteur ressent cette consigne comme étant une intrusion dans sa vie privée et bien il fera appel aux services d'un avocat qui plaidera le harcèlement. Quant à vous, votre avocat plaidera une simple mesure d'organisation. Conséquence, les tribunaux se retrouvent surchargés !
De nouveaux enjeux sociaux sur le plan des comportements et sur le plan des acteurs sociaux
Les comportements :
- La discrimination :
Qu'est-ce que la discrimination ? Tout est discrimination. Tout élément d'évaluation objective a une partie de subjectivité. Nous retrouvons la problématique de l'ancien maire de St Etienne, M. Dubanchet, avec sa loi sur les clauses générales de ventes :
« Il est interdit en droit commercial d'avoir des pratiques discriminatoires ».
C'est pour cela, que les conditions générales de ventes existent !
Or , quel est le nerf, quel est le sens et quelle est la finalité du droit commercial ? Réponse : être différent de l'autre. Si vous pratiquez les mêmes conditions que votre concurrent, vous n'êtes pas un bon commerçant. C'est la course à l'impossible : il est interdit en droit commercial d'avoir des pratiques discriminatoires, alors que la finalité même du commerce est de pouvoir faire la différence. Cette différence est-elle discriminante ? A vous de juger !
En matière de pratique sociale, nous avons la notion de « travail égal, salaire égal ». Mais chacun d'entre vous sait bien, que deux personnes sur un même poste, avec un travail identique, n'exercent pas de la même manière. Comment les différencier ?
Selon moi, la plus grande illégalité, la plus grande iniquité, c'est de traiter également des choses inégales. L'égalitarisme n'est pas la réponse à « travail égal, salaire égal ». Il faut savoir faire la différence. Mais comment faire la différence ? Réponse du juriste, on fait la différence avec des éléments objectifs. Mais qu'appelle-t-on des éléments objectifs ? Ils sont nécessairement subjectifs !! Il y a nécessairement une part de subjectivité. Par exemple, les méthodes d'évaluation ont une part de subjectivité.
Le premier enjeu sera de traiter la discrimination, de savoir ce qui est discriminatoire ou non, et ceci en revenant à nos valeurs.
La précarisation.
Le deuxième problème est la précarisation. C'est pour cela que je critique la pratique du portage. A mes yeux, cette pratique est un « monstre » juridique.
M. Giraudoux disait du rôle du juriste : « le juriste est un poète parce qu'il doit inventer une réalité conforme à nos rêves ». Le voilà le rôle du juriste. Ce n'est pas l'obsédé textuel qui dit le code par cœ,ur. C'est celui qui vous dit : « Nous n'avons pas l'outil juridique, c'est pour cela que nous devons l'inventer et que...... le portage peut devenir une solution ».
Le portage est, malgré tout pour moi, un monstre juridique dans lequel l'employeur n'est pas l'employeur, le salarié n'a pas de véritable lien de subordination, notamment dans la mesure ou c'est à lui d'apporter son travail et donc son salaire. C'est un nouveau type de contrat. Il a son efficacité. Je crains quand même que ce système puisse être mal utilisé et devenir un élément de pérennisation de la précarisation.
La victimisation.
Les citoyens, moi-même, cherchons des sécurités en tout et partout. Et quel que soit l'évènement qui nous arrive, nous nous percevons comme les victimes d'un système, d'un supérieur hiérarchique, d'un législateur qui ne comprend pas la problématique... Nous sommes dans cette ère de victimisation qui rejoint mon analyse sur la judiciarisation.
La victime a un recours, elle s'adresse à un tribunal. Bien évidement, pouvoir se défendre est important, mais je dis simplement qu'il faut se pencher sur le problème de la victimisation. Parce qu'il y a victime et victime et que l'accusé n'est pas forcément le coupable. On voit bien, notamment aux USA que « le droit de la force, l 'emporte sur la force du droit « Pauvre Lacordaire qui pensait que «le droit protège le faible contre le fort» ! On est arrivé à une situation , totalement inverse !!
Les acteurs sociaux :
Selon moi, la problématique de demain sera celle d'avancer sur ce chantier qui consiste à préciser les notions de légitimité et de représentativité de nos élus, quels qu'ils soient, et de nos organisations syndicales.
La loi de modernisation sociale vient d'aborder courageusement le problème de la représentativité, grâce d'ailleurs à l'action consensuelle des partenaires sociaux. Je crois qu'il reste du chemin à parcourir dans l'esprit des citoyens eux-mêmes pour donner un contenu à ce concept de représentativité et de légitimité. Je pense et j'espère que ceci va forger une cohésion entre les multiples organisations syndicales en France. J'ai plaidé, prêché, cru, pendant des années que nous aurions une meilleure cohésion des cinq organisations syndicales françaises grâce à l'Europe. Qu'une telle démarche nous permettrait de ne plus être ridicule à la CES (confédération européenne des syndicats). En effet, lorsque l'on demande l'opinion de la France, on obtient cinq réponses différentes même si au final, les organisations françaises sont bien obligées de donner une réponse commune.
La deuxième illusion, ou espérance, c'est le rôle accru du comité d'entreprises européen. Nous allons trouver au sein de cette organisation des comportements très différents de nos comités d'entreprises français. Il faut tout de même noter qu' en France, les comités d'entreprises ont été traités avec beaucoup de légèreté pendant des années : « si le comité pouvait s'occuper de l'arbre de Noël de l'entreprise, ce serait quand même bien », j'exagère un peu ! Mais le résultat de cette attitude fait que nous avons les partenaires que nous méritons.
Je pense qu'un effort est à faire au niveau de la formation, de la reconnaissance du rôle des partenaires sociaux.
Nous avons également ce particularisme français : la dualité , que nous n'arrivons pas à corriger entre les élus du Comité d'Entreprise et les représentants nommés par les organisations syndicales. La loi de modernisation exige désormais à un représentant, à un délégué syndical, d'apporter la preuve, qu'il a obtenu au moins 10 % des voix aux élections( !!). Cette loi est courageuse en ce sens qu'elle donne un cadre. Mais, elle est à mes yeux relativement irréaliste et inadaptée à nos PME. Elle va renforcer la confusion : pourquoi désigner une personne si celle-ci doit se faire élire ? Élue ou désignée ?
Un autre point important c'est le rôle éminent et évolutif de la société civile, notamment avec les ONG et les associations.
Je suis du même avis que Jacques Delors et Philippe Herzog : ces organisations doivent avoir une place, un rôle, un poids davantage reconnus.
En conclusion sur ce deuxième point, chacun de vous, à titre personnel, peut être un acteur, un auteur, possible du pouvoir social. Il ne faut pas attendre, avec cette contradiction bien française, que le gouvernement légifère, que les élus, que les partenaires sociaux fassent un effort collectif. Vous êtes les acteurs, les auteurs du Droit Social dans votre entreprise, si vous savez accepter le dialogue et la négociation qui s'appelle négociation d'Entreprise et Contrat de Travail. En tous cas , comme je me plais à le dire et l'écrire, « être capable d'indifférence, c'est, déjà, être coupable de complicité «
Nos atouts
L'article 1134 du code civil est à retenir lorsque l'on parle de droit social :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
Ce qui a fait notre désespoir, c'est une ancienne ministre du travail qui n'a jamais compris cette phrase. Elle nous a fait croire qu'une loi était nécessaire pour encadrer la convention. « Faites des accords sur les 35 heures pourvus qu'ils soient conformes à la loi sur les 35 heures ». A quoi sert la loi, dans ce cas ?
Cette erreur historique est gravissime parce qu'elle montre l'absence de compréhension du problème : « Est-ce que oui ou non, j'ai confiance en mon partenaire pour conclure une convention avec lui ? ». Il est important de savoir accorder cette confiance. Tout comme il est possible de mettre en place des accords d'entreprise qui soient des accords réellement consensuels.
Nos contrats de travail doivent être de vrais contrats synallagmatiques.
Donc je plaide, je prêche, pour mon idée de Contrat de travail évolutif. J'ai réussi à promouvoir ce concept auprès d'un pourcentage satisfaisant de mes clients.
Le contrat de travail est, en effet, par nature un contrat évolutif, car il est à exécution successive. Il n'existe que s'il s'exécute dans le temps. C'est l'inverse du contrat de vente. Pour ce dernier, les deux parties se mettent d'accord sur le produit, le prix. Et dès que la vente est conclue, le contrat est terminé.
Mais le contrat de travail, lui, ne peut pas exister à l'instant t. Il n'existe que s'il s'exécute dans le temps :
a) donc c'est un contrat à exécution successive
b) s'il est à exécution successive, il doit naturellement évoluer. L'objet du contrat c'est quoi ? L'objet du contrat, n'est-il pas de préciser le moment et les modalités de son évolution nécessaire, parce que naturelle ?
- avec l'accord de mon partenaire : parce que nous touchons à l'élément substantiel du contrat qui est la raison pour laquelle les deux parties ont donné leur accord : salaire, lieu de travail, fonction
- sans l'accord de mon partenaire : il sera modifié sans l'accord du salarié parce que cela relève du pouvoir gestionnaire et d'organisation de l'employeur. 80 % du pouvoir de l'employeur dans l'entreprise s'exprime par sa capacité d'organisation, de gestion. L'organisation de l'entreprise concerne le chef d'entreprise, c'est lui le responsable. L'organisation n'est pas à contractualiser.
En conclusion l'accord collectif comme le contrat de travail doivent être des atouts et doivent être utilisés pour améliorer les relations sociales.
Combien d'entre vous connaissent le sens du mot contrat ?
Combien d'entre vous sont persuadés qu'il vient du latin « contractus » ? C'est-à-dire contrainte, contraindre.
Il suffit de revenir à l'étymologie du mot contrat qui est « cum-trahere » qui peut dire « aller ensemble vers ».
Je vous invite donc à réfléchir sur l'évolution du contrat de travail qui est un contrat de confiance...
Il a créé et animé au sein de l'ANDCP (Association Nationale des Directeurs et Cadres de la fonction Personnel) pendant dix ans (1986-1996) un club de réflexion destiné aux DRH : le C3P (Club de Perfectionnement aux Pratiques Professionnelles). Il a été Maître de Conférences Associé à l'Université Paris XII de 1996 à 1999 pour des cours en DESS/Ressources Humaines. Il intervient régulièrement dans des Universités (DJCE) et à l'ESSEC pour des cours de droit social et gestion des ressources humaines, ainsi que de droit social européen.
Il défend depuis de nombreuses années un certain concept du rôle des juristes qui doivent, selon lui, moins s'attacher à l'application des règles formelles qu'à créer un système de pensée afin de favoriser l'harmonisation entre les objectifs économiques et la finalité sociale de l'entreprise.
Il est l'auteur de « Du droit d'ingérence au devoir de tolérance » Ed. de l'Aube 12/1999. Il a rédigé de nombreux articles dans la presse spécialisée ainsi que pour des ouvrages collectifs, tels que : « Quel avenir du travail en Europe ? » —, Réflexions juridiques à partir du rapport Supiot, Ed. Lamy, 1999 , N° spéciaux de la Jurisprudence Lamy : «Deuxièmes rencontres de l'IES avec la CJCE », N° 63, 2000 - « Les troisièmes rencontres de l'IES avec la CJCE, N°129, 2003 , N° spéciaux de la Semaine Sociale Lamy : « l'actionnariat des salariés en Europe », N° 1028, mai 2001 - « Pourquoi et pour qui créer une société européenne ? » N° 1071, avril 2002 - « Comment réussir une Europe élargie ? », 25 avril 2005 - « Le modèle social européen en balance ? », N° 1266, juin 2006 , « Tous DRH », Ed. d'Organisation 2/1996, 2ème édition 6/2001 , « Tous responsables », Ed. d'Organisation 2/2004 , « Tous reconnus », Ed. d'Organisation 8/2005.TOUS TALENTUEUX 2008
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