Interview de l'eurodéputée Pervenche Berès sur la crise

L'eurodéputée socialiste française Pervenche Berès est Présidente de la commission Emploi, affaires sociales, du Parlement européen et rapporteur de la commission spéciale sur la crise économique et financière, créée en octobre dernier. Elle répond à nos questions.




Quel est l'objectif de la commission spéciale sur la crise économique et financière dont vous êtes rapporteur ?

La commission est composée de 45 membres ayant un mandat d'un an renouvelable. Son objectif est d'analyser et d'évaluer l'ampleur de la crise, son impact sur les États membres, l'efficacité des mesures prises par les États et par l'Union Européenne (UE) pour la juguler. Il faut tirer les leçons de cette crise de manière à s'assurer qu'elle ne se répète pas. Mais, pour ma part, je pense que la commission ne doit pas se cantonner à la seule analyse de la crise. Elle doit tenter d'avoir une vision prospective sur ce qu'il faudrait faire pour lutter contre les déséquilibres mondiaux, le chômage et accroitre le rôle de l'UE dans la gouvernance mondiale. Bref, regarder au-delà de la crise pour trouver un pont entre nos différentes approches et contribuer ainsi à élaborer une véritable stratégie du futur. La crise a été un énorme choc qui doit nous permettre de rebondir pour aborder le monde autrement. Nous présenterons nos conclusions dans deux rapports, l'un à mi-parcours et l'autre dans un an avec les recommandations sur les actions et les initiatives à prendre.

Comment allez-vous procéder ?

Nous tiendrons des auditions avec des experts, des partenaires sociaux et des représentants de l'industrie, des gouvernements et des parlements nationaux. Parmi les premières personnes auditionnées figureront des personnalités comme Michel Aglietta

*Michel Aglietta est conseiller scientifique au CEPII (Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales). Il a notamment publié (avec Sandra Rigot) Crise et rénovation de la finance, (Odile Jacob : 2009),
Paul Jorion

*Paul Jorion est anthropologue et sociologue, spécialisé dans les sciences cognitives et l'économie. Il a notamment publié Des subprimes au séisme financier planétaire (Fayard : 2008).
et Mario Monti

*Mario Monti est ex-commissaire européen et président de l'université Bocconi de Milan. Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso lui a récemment confié le soin de « relancer » le grand marché européen
. Ainsi, je l'espère, nous serons en mesure de contribuer efficacement - sous forme d'avis - aux travaux législatifs des commissions parlementaires permanentes.

Quelles seront les questions abordées en priorité ?

La question de l'emploi est actuellement prioritaire. Toute personne qui quitte le marché du travail dans l'UE c'est du capital européen qui part. Il faut absolument inciter les entreprises à maintenir l'emploi, à le développer, ne serait-ce que pour mieux aborder la reprise. A cet égard, le fait que, de façon exceptionnelle, dans cette crise les femmes soient un peu moins touchées que les hommes est bien la preuve de sa gravité, car, de toute évidence, ce sont elles les moins bien payées et les plus 'flexibles'.

Il est impératif aussi de modifier le fonctionnement des marchés financiers. L'Union européenne doit se doter de structures qui permettent de superviser les marchés bancaires, d'assurances et des valeurs mobilières. Il faut également qu'il y ait un débat public sur la nature de l'activité bancaire. Après la façon dont les banques ont été soutenues et aidées pour faire face à cette crise, il est juste, normal et efficace qu'elles puissent aujourd'hui contribuer au financement de l'économie, aux investissements dans des domaines comme par exemple les économies d'énergie ou la lutte contre le changement climatique.

Plus largement, il est nécessaire que l'Europe parle d'une seule voix et se fasse davantage entendre sur toutes ces questions sur la scène internationale pour participer efficacement à la mise en place des stratégies du futur. Il faut maintenant raisonner autrement et faire rapidement évoluer nos structures et nos institutions.

Plus précisément, à quoi pensez-vous?

Par exemple au FMI (Fonds Monétaire International) dont il faut renforcer les moyens et au sein duquel la présence européenne doit être durablement assurée, sous peine de se retrouver un jour devant un face à face États-Unis-Chine.

Je pense à la BCE (Banque Centrale Européenne), mais aussi aux ministres des finances européens qui doivent absolument coopérer davantage entre eux. Sinon l'idée 'd'une coopération de politiques économiques' n'est qu'une parole. C'est le cas par exemple lorsqu'un ministre des finances apprend les grands arbitrages de l'un de ses principaux partenaires par voie de presse, qu'il s'agisse du grand emprunt dans le cas français et de la baisse des impôts dans le cas allemand.

Je pense également à la création d'un Fonds Monétaire Européen. Si l'on veut lutter contre l'aggravation des divergences entre les pays par rapport au pacte de stabilité au sein de l'UE, il faut que lorsque l'un d'eux diverge, l'Europe puisse vraiment agir et que, comme ça a été le cas pour la Hongrie, un pays ne s'adresse pas directement au FMI. Le pacte de stabilité relève les compteurs à la fin de la partie mais ne permet pas de l'organiser. C'est tout le problème. D'autant que la crise fait vraiment apparaître l'absence de prise en compte et l'aggravation au sein de l'UE des différences de productivité entre les États membres.

Selon vous, où en est-on aujourd'hui de la crise économique et financière en Europe ?

C'est le 9 août 2007 qu'elle a véritablement démarré. Ce jour là, BNP Paribas a suspendu la cotation de certaines de ses SICAV dont elle ne connaissait pas la valeur des actifs à cause des fameuses subprimes. Ce jour là aussi, la Banque Centrale Européenne a injecté massivement des liquidités dans le circuit monétaire pour éviter la paralysie des marchés monétaires interbancaires et tenter d'apaiser les craintes des investisseurs. La prise de conscience du grand public de la gravité de la situation, elle, n'est intervenue que le 15 septembre 2008 avec la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, lorsque la crise de liquidité s'est transformée en crise de solvabilité. Ensuite, il y a eu l'effet boule de neige que l'on connaît.

Aujourd'hui, contrairement à ce que beaucoup de responsables pensent ou disent, la crise n'est pas derrière nous. D'autant plus que les banques n'ont pas continué à redistribuer les crédits qui leur ont été accordés à un niveau suffisant pour financer la croissance nécessaire et les défis du futur.

Cela signifie-t-il que les États n'ont pas fait ce qu'ils devaient ?

Tous les États membres de l'Union Européenne ont pris des mesures très importantes face à la crise. A la fin du printemps, ils ont donné l'impression d'avoir apporté des réponses. Mais, quelque soit l'importance des masses financières engagées, elles n'ont pas interrompu les dégradations qui étaient à l'œ,uvre. De plus, ils ont agi de manière concomitante mais cela ne suffit pas à combler la lacune d'un manque de coordination sur le fonds qui aurait pu rendre ces mesures beaucoup plus efficaces. On le constate sur le marché du travail. Ceci n'est pas bon pour l'Europe, car si nous avons mis plus longtemps que les États-Unis à plonger dans le cœ,ur de la crise, nous savons d'expérience que pour nous ce sera plus long à en sortir.

Les principales causes de cette situation ?

La gravité de la crise, d'abord. Et ce que l'on pourrait appeler 'le trop tard, trop peu'. Trop tard : entre août 2007 et septembre 2008, rien n'a été fait. On a bougé quant il y a eu le feu. Trop peu : certes tous les pays de l'UE ont agi, parce que tout le monde était touché, mais on n'a pas utilisé d'outils communs. Du coup les moyens mis en œ,uvre se sont révélés insuffisants. A cet égard, le 'grand emprunt' aurait du être européen.




Par Nicole Salez

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