Lors de la cérémonie des César qui s'est déroulée le 27 février 2009 au soir, Yolande Moreau a obtenu le César de la meilleure actrice pour son rôle de Séraphine dans le film éponyme de Martin Provost. Voici des extraits du dossier pédagogique du film qui nous en dit davantage sur cette réalisation et sur Séraphine Louis, dite “Séraphine de Senlis”.
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*- Dossier pédagogique du film: Conception et textes : Jean-Louis Derenne. Photos : © TSProductions Photographe : Michaël Crotto
Fiche artistique et technique
'Vous êtes douée. Indéniablement douée. Mais il va falloir
travailler beaucoup. Ne vous souciez plus jamais de ce
que disent les autres. Ils n'y connaissent rien.”
Wilhelm Uhde —, “Séraphine”, extrait des dialogues
Synopsis du film
C'est une femme agenouillée, entièrement vêtue de noir. Murmurant d'étranges incantations d'où
s'échappent parfois des mots plus forts que d'autres, “mon bon ange”, “Vierge Marie”...
Séraphine peint à même le sol de sa petite chambre, sa porte fermée à double-tour. Aujourd'hui, ce sont
des fleurs imaginaires, immenses et flamboyantes, qui explosent sur la toile grâce à un mélange
secret où se mêlent le Ripolin de la droguerie, un peu d'huile dérobée sur l'autel de l'église, du sang
pris chez le boucher et de la boue des champs...
1912. Le critique et collectionneur allemand Wilhelm Uhde s'est installé à Senlis. Découvreur du
Douanier Rousseau et l'un des premiers acheteurs de Picasso, il est l'ami du tout-Paris de l'art.
C'est par le plus grand des hasards qu'il va rencontrer une artiste totalement originale, une autodidacte,
de ceux qu'on appelle “naïfs” ou “primitifs”, et dont l'art spontané et puissant le bouleverse profondément.
C'est Séraphine, Séraphine Louis, sa propre femme de ménage, une femme secrète que l'on dit
un peu dérangée...
Bientôt contraint par la guerre de rentrer en Allemagne, W. Uhde ne reverra Séraphine qu'en 1927, à
son retour en France, de nouveau par hasard.
Pour elle qui n'a jamais cessé de peindre, cette réapparition est une providence.
Grâce à l'argent que le collectionneur lui procure généreusement, elle peint sans relâche, des toiles
de plus en plus grandes, de plus en plus maîtrisées, de plus en plus appréciées aussi.
Son destin, pourtant, bifurque brutalement avec la crise de 1929 et l'effondrement du marché de l'art.
Séraphine en est profondément perturbée.
Un jour de 1932, du fait de ses extravagances de plus en plus fréquentes, les gendarmes la conduisent
à l'asile psychiatrique...
Là, Séraphine renonce à peindre, à jamais. Elle mourra oubliée, au cours d'une autre guerre...
Mais ses peintures sont demeurées, oeuvres uniques d'une artiste qui se disait elle-même “sans rivale”...
Séraphine Louis
*dite “Séraphine de Senlis”
, une vie...
REPÈRES BIOGRAPHIQUES ET CHRONOLOGIQUES
- 1864
Naissance le 2 septembre, à Arsy-sur-Oise, d'un père horloger et d'une mère fille de ferme.
Durant son enfance, Séraphine va à l'école. Le soir, elle est bergère.
- 1874
Naissance “officielle” de l'impressionnisme, avec la présentation
d'une toile de Claude Monet baptisée “Vue du Havre, impression soleil levant”,
lors d'une exposition chez le photographe Nadar.
- 1877
À 13 ans, Séraphine devient bonne à Paris puis femme de chambre à Compiègne.
Elle travaillera également dans une institution de jeunes filles, où elle découvre l'art en observant un professeur
de dessin.
- 1882
Séraphine, 18 ans, devient bonne à tout faire chez les soeurs de Saint-Joseph-de-Cluny, à Senlis.
Elle y restera vingt ans.
- 1886
Au Salon des indépendants, un peintre autodidacte expose “Un soir de carnaval”.
C'est le Douanier Rousseau, le premier des “naïfs”.
- 1906
Séraphine s'installe dans une petite chambre à Senlis. Elle devient femme de ménage.
- 1907
Avec “Les demoiselles d'Avignon”, Picasso, 26 ans, signe la première toile cubiste.
- 1912
Rencontre avec le collectionneur allemand Wilhelm Uhde, qui l'encourage à travailler son art.
- 1914
Déclaration de guerre. Départ d'Uhde pour l'Allemagne après la saisie de ses biens.
- 1921
Séquestrée par l'État français au cours de la guerre, la collection de tableaux de W. Uhde est vendue aux enchères.
- 1924
André Breton publie le “Manifeste du surréalisme”, consacrant un genre
artistique qui compte des peintres tels Ernst, Dali, de Chirico, Miro, Masson...
- 1927
W. Uhde, de retour en France, s'installe à Chantilly avec sa soeur Anne-Marie, et un ami peintre.
Il redécouvre Séraphine à l'occasion d'une exposition locale à Senlis et décide de soutenir sa carrière.
Progressivement, Séraphine abandonne ses “travaux noirs” (les ménages...) pour la peinture.
- 1929
W. Uhde organise à Paris une exposition (“Les peintres du Coeur sacré”) de plusieurs “naïfs”. De nombreuses
oeuvres de Séraphine entrent dans des collections privées.
Pour la première fois, Séraphine a de l'argent. Elle dépense sans compter.
- 1930
La crise économique frappe le marché de l'art.
Les toiles de Séraphine ne se vendent plus, ce qui l'affecte profondément.
- 1931
Les signes de l'altération mentale de Séraphine deviennent de plus en plus évidents. Elle harangue les passants,
annonce la fin du monde, hurle à la persécution...
- 1932
Le dimanche 31 janvier, dans une crise de délire, Séraphine transporte une partie de ses affaires devant la
Gendarmerie de Senlis.
Elle est conduite à l'hôpital où le médecin relève “des idées délirantes de persécution, des hallucinations, des
troubles de la sensibilité profonde... sur fond de débilité mentale accentuée.”
- Le 25 février, Séraphine est internée à l'asile psychiatrique de Clermont-de-l'Oise.
Désormais, elle refusera de peindre, s'enfermant dans ses délires intérieurs.
Exposition à Paris (“Les primitifs modernes”).
- 1933
En Allemagne, Hitler déclare la guerre à “l'art dégénéré”
(cubistes, expressionnistes...).
- 1934
Dans son ouvrage “Cinq maîtres primitifs” (1949), pour une raison inconnue, W. Uhde date la mort de Séraphine
à cette année 1934.
- 1937 et 1938
Exposition “Les maîtres populaires de la réalité”, à Paris, Zurich et au MOMA de New-York. C'est la première
grande reconnaissance du genre “naïf”. Plus de deux-cents oeuvres (Séraphine, Rousseau, Utrillo...).
- 1942
Exposition “Les primitifs du XXe siècle” à Paris.
Mort de Séraphine, le 18 décembre, à 78 ans.
- 1945
Sur l'initiative de W. Uhde, première exposition personnelle à la Galerie de France à Paris.
LA “RÉVÉLATION” DE SÉRAPHINE
Vers 1900, selon Séraphine, son ange gardien lui serait
apparu un jour qu'elle priait dans la cathédrale de Senlis
pour lui ordonner de peindre. Message bientôt relayé par la
Vierge Marie elle-même dans des circonstances similaires.
Voilà, disait-elle, pourquoi elle peignait...
Un même “phénomène” touche le poète Max Jacob (1876-
1944), alors installé à Montmartre avec Picasso. En 1909,
il voit le visage de Jésus apparaître sur le mur de sa chambre,
ce qui conduira à sa conversion et influera fortement sur
son oeuvre.
LA PEINTURE DE SÉRAPHINE
Des grappes de raisin, des gerbes de fleurs, des entrelacs flamboyants
de branches fleuries...
Mais n'est-ce que cela ?
Vus de plus près, les motifs de Séraphine échappent vite aux modèles
que l'on a cru y discerner.
Ces entrelacs, ces gerbes, ce jaillissement botanique ont leur vie, leurs
formes et leurs couleurs propres, loin de tout réalisme, une vérité spirituelle
autonome, témoin de la communion de l'artiste avec la nature dans un
acte d'action de grâce au Dieu créateur en lequel elle croyait si fort...
Séraphine peignait à genoux, au moyen de mélanges de couleurs
qu'elle avait inventés, une ode à la création, à la nature, “en relation
directe avec le divin” (Uhde).
SÉRAPHINE À L'ASILE...
En février 1932, Séraphine est internée à l'Hôpital de Clermont-de-l'Oise. Elle y restera jusqu'à sa
mort, sans plus jamais avoir peint.
Bien qu'atteinte d'un cancer du sein, sa mort tient également à d'autres facteurs. Durant la guerre, en
effet, 3 500 malades sont morts à Clermont*, de faim et de froid. Une situation due aux difficultés
d'approvisionnement et aux réquisitions allemandes.
Enterrée dans la fosse commune, Séraphine y demeurera oubliée jusqu'en 2007.
Cette année-là, lors de la cérémonie annuelle où l'on honore la mémoire des malades disparus durant
la guerre, l'association culturelle des Amis du Centre Hospitalier a déposé une plaque à l'emplacement
où elle repose. On peut y lire, conformément à un voeu que Séraphine avait exprimé dans une lettre :
“Ici repose Séraphine Louis Maillard (sans rivale) 02-09-1864 —, 18-12-1942, en attendant la résurrection
bienheureuse.”
* On estime à 45 000 le nombre de malades mentaux morts de faim dans les asiles français entre 1939 et 1945
WILHELM UHDE (1874 - 1947):
LE DÉCOUVREUR DE SÉRAPHINE
Oui, il y a Braque, Picasso, mais il y a aussi ceux-là, qu'on
appelle par défaut les naïfs, et dont le Douanier Rousseau
est en quelque sorte l'étendard.”
Wilhelm Uhde —, “Séraphine”, extrait des dialogues
‘‘
D'origine allemande, Wilhelm Udhe s'installe à Paris en 1903 pour s'y consacrer à l'art. Il y découvre
le Douanier Rousseau, rencontre Picasso (qui réalise son portrait en 1907), Braque, Delaunay...
et commence à constituer une importante collection.
Ayant déménagé à Senlis (Oise) à partir de 1912, il découvre par hasard un peintre dont l'oeuvre le stupéfie:
Séraphine Louis, sa propre femme de ménage !
Avec la guerre, Uhde est contraint de rentrer en Allemagne. Il ne reviendra en France qu'au milieu des
années vingt. Et c'est en 1927, à Chantilly, qu'il va rencontrer de nouveau Séraphine. Il mobilise alors
beaucoup d'énergie et de moyens, organisant des expositions, encourageant les collectionneurs à
acquérir des toiles et assurant la promotion de l'oeuvre.
Il soutient également d'autres artistes dits “naïfs”*(Vivin, Bombois, Bauchant...) fasciné par leur talent
naturel et spontané.
Déchu de la nationalité allemande en 1938, Uhde passe la guerre caché dans le sud-ouest de la France.
Il meurt à Paris en 1947, ayant eu le temps de réaliser le grand rêve de Séraphine : l'organisation d'une
exposition personnelle en 1945 à la Galerie de France...
* Wilhelm Uhde n'aimait pas le terme “naïfs”, lui préférant “primitifs modernes” et, mieux, “peintres du Coeur sacré”.
C'est ainsi qu'il baptisa, en 1929, la première exposition parisienne qu'il leur consacra.
ETRE UNE FEMME !
La femme de génie est aussi rare qu'un homme qui aurait
du lait. Cependant, cela s'est vu !”
Jean-Louis Forain (1852-1931), peintre, illustrateur et graveur français
surtout connu pour ses caricatures.
Il avait épousé Jeanne Bosc, profession... sculpteur !
Des femmes peintres
Aux difficultés que connut Séraphine pour faire reconnaître sa
qualité de peintre (elle n'avait jamais suivi de cours, elle était
femme de ménage, sa peinture n'était pas réaliste...) s'en ajoutait
une autre : être une femme !
Au début du XXe siècle, rares sont les femmes à trouver leur place dans
l'art. Et celles qui y parviennent sont souvent jugées “scandaleuses”.
Soumises à l'autorité masculine, on attend avant tout des femmes qu'elles
soient des épouses et des mères. En 1901, une proposition de loi portant
sur l'égalité politique entre hommes et femmes est d'ailleurs rejetée par le
Parlement. Les femmes devront attendre 1944 pour obtenir le droit de vote
et 1965 pour pouvoir ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l'autorisation de leur mari !
Au tournant des siècles XIXe et XXe, seules six femmes constituent, avec Séraphine, le “contingent” français
d'artistes peintres féminines ayant marqué l'histoire de l'art.
Berthe Morisot (1841-1895)
Ayant étudié avec Corot, sa rencontre avec Manet sera décisive. D'abord modèle favori de celui-ci, elle développe
une oeuvre personnelle et expose régulièrement avec les impressionnistes.
Mary Cassatt (1844-1926)
D'origine américaine, cette amie de Degas se rattache aux courants impressionniste et néo-impressionniste.
Elle fut également influencée par les peintres Nabis (Sérusier, Bonnard, Denis...) et par l'art japonais de l'estampe.
Marie Laurencin (1885-1956)
Peintre et poète, elle fut la compagne d'Apollinaire. Amie de Picasso et de Max Jacob, on la classa un temps
parmi les cubistes, avec lesquels elle exposait. Elle fut également décoratrice de ballet et illustratrice.
Suzanne Valadon (1867-1938)
Mère du peintre Utrillo, Suzanne Valadon fut d'abord acrobate avant de devenir modèle pour Renoir, Toulouse-
Lautrec, Degas. Elle commence à peindre vers 1908.
Sonia Delaunay (1885-1979)
Ephémère épouse de Wilhelm Uhde, avant de devenir celle du peintre Robert Delaunay, elle fut l'un des pionniers
de l'abstraction géométrique. Ses oeuvres ont eu une grande influence dans les domaines de la mode et de
la décoration.
Tamara de Lempicka (1898-1980)
D'origine polonaise, elle suit l'enseignement des peintres Maurice Denis et André Lhote. Dans les années vingt,
elle élabore un style très personnel, synthèse du maniérisme de la Renaissance et du “néo-cubisme”.
DE LA TOILE À L'ÉCRAN
Quelques films récents consacrés à des peintres contemporains de Séraphine.
- Van Gogh
De Maurice Pialat (1991), avec Jacques Dutronc.
Les derniers jours du célèbre peintre, au cours
de l'été 1890.
- Lautrec
De Roger Planchon (1998), avec Régis Royer.
Evocation de la vie de Toulouse-Lautrec,
notamment de la période parisienne.
- Gauguin
De Mario Andreacchio (2003),
avec Kiefer Sutherland.
La découverte du Pacifique sud par Gauguin.
- Modigliani
De Mike Davis (2004), avec Andy Garcia.
Paris, en 1919, le bouillonnement artistique
de l'après-guerre...
En évoquant Séraphine, ils ont dit...
Wilhelm Uhde
“L'oeuvre dont nous parlons est unique en son
genre et défie toute comparaison. Sa genèse
est incontrôlable. Elle échappe aux lois qui
d'ordinaire régissent la peinture, bien qu'elle
en satisfasse les plus extrêmes exigences.
Séraphine, avec les éléments les plus modestes,
quelques fleurs, des feuilles, des arbres, de
l'eau qui court, a créé par des moyens hardis
qui sont sa conquête personnelle, une oeuvre
grandiose.”
in “Cinq maîtres primitifs” - 1949
François Mathey
“C'est le mystère incommunicable de la création. Séraphine, de son humble univers de campagnarde, crée le
paradis où il n'y a plus de femmes à la journée mais des pommes d'or dans les corbeilles, des raisins de vermeil
qui pendent en grappes, des bouquets qui flamboient...”
in “Six femmes peintres” - 1951
André Malraux
“Il est clair que les fleurs servent à Séraphine à peindre ses tableaux et non ses tableaux à peindre des fleurs.”
in “Les voix du silence” - 1951
J.-P. Foucher
“Jardin d'Eden, Paradis retrouvé !”, l'oeuvre peinte de Séraphine apparaît tout entière hantée par la nostalgie
du Paradis (Usant des ressources d'un art intuitif extrêmement savant, Séraphine n'a cessé de peindre, sous
des formes très diverses, cet arbre sacré qui se trouve au centre du monde et relie la terre au ciel. En figurant
l'ascension de l'arbre (arbre-buisson, arbre-bouquet) elle figure l'ascension de l'âme...”
in “Séraphine de Senlis” - 1968
Anatole Jakovsky
“L'un des plus grands peintres naïfs du monde et de tous les temps”
in “Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier” - 1976
POUR EN SAVOIR PLUS...
- Anatole Jakovsky: La peinture naïve, Paris - 1947
- W. Uhde: Cinq maîtres primitifs, Paris - 1949
- Dr Gallot : Séraphine bouquetière “sans rivale”
des fleurs maudites de l'instinct, in “L'information artistique” - 1957
- J.-P. Foucher : Séraphine de Senlis, Éditions l'OEil du temps - 1968
- Dina Vierny : Le monde merveilleux des naïfs, Éditions Dina Vierny - 1974
- Jacques Busse: Séraphine de Senlis, notice du Bénézit,
dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs
et graveurs du monde entier - 1976
- Alain Vircondelet : Séraphine de Senlis, Albin-Michel - 1986
- Françoise Cloarec: 'La vie privée de Séraphine de Senlis',
Phébus, sortie le 2 octobre 2008.
- Avec: Séraphine : Yolande Moreau, Wilhelm Uhde : Ulrich Tukur
- Production : TS Productions, en coproduction avec France 3 Cinéma et Climax Films (Belgique)
- Distribution : Diaphana Distribution
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