Quotas ou pas ?

Une discrimination à l'embauche pour les jeunes diplômées (la crainte du congé maternité !) : comment lutter contre ? Une discrimination dans le déroulement des carrières. Vers une nouvelle ' loi Ameline ' imposant des quotas dans les conseils d'administration ? Résoudre le conflit ' travail-famille ' : promouvoir les crèches d'entreprises , faire évoluer les mentalités par une campagne de communication nationale , prolonger le congé parental paternel ?

2ème PARTIE




Table ronde n°2 : Favoriser l'embauche des femmes et leur égal accès aux responsabilités

- PRESIDENTE
Marie-Jo ZIMMERMANN, Députée de la Moselle, Présidente de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
- INTERVENANTS
Janine MOSSUZ-LAVAU, Directrice de recherche au CEVIPOF, co-auteur de « Quand les femmes s'en mêlent —, Genre et pouvoir » ,
Monique BOURVEN, Membre du CES, ancienne Présidente Directrice Générale de State Street Banque, rapporteur sur « La place des femmes dans les lieux de décision : promouvoir la mixité » ,
Catherine FERRANT, Directrice de la diversité de Total , Clara GAYMARD, Présidente de General Electric France
Stéphanie LECERF, Responsable juridique de Michael Page International ,
Aude de THUIN, Présidente-directrice générale du Women's Forum.
Séance de l'après-midi : lutter pour la diversité en entreprise


Exposé introductif

Janine Mossuz-Lavau

- Janine MOSSUZ-LAVAU, Directrice de recherche au CEVIPOF, co-auteur de « Quand les femmes s'en mêlent —, Genre et pouvoir »

Les femmes sont beaucoup plus touchées par le chômage que les hommes et l'écart entre les deux populations est particulièrement marqué chez les jeunes. Ainsi, selon les chiffres de 2006, 9,6 % des femmes et 8 % des hommes sont à la recherche d'un emploi. Entre 15 et 24 ans, 24 % des femmes cherchent un emploi, contre 21 % des hommes. Cette distorsion s'explique en partie par la formation, puisque les filles sont moins nombreuses que les garçons dans les filières scientifiques et techniques, plus pourvoyeuses d'emplois que les filières littéraires.
Lorsque les jeunes femmes se présentent pour une embauche, elles sont toujours perçues comme potentiellement enceintes. La France se réjouit pourtant d'être le premier pays d'Europe en matière de natalité. Il convient donc de savoir ce que l'on veut. On craint aussi les absences pour cause de maladie des jeunes enfants. Rappelons, à ce sujet, que ces enfants ont également un père, et que celui-ci peut s'occuper d'eux lorsqu'ils tombent malade.
En matière d'accès aux responsabilités, la notion de « plafond de verre », rejointe par celle plus récente de « plancher de glu », est aujourd'hui bien connue : elle décrit les obstacles invisibles, mais bien réels, qui empêchent ou freinent la progression des femmes dans l'accès aux responsabilités. Force est de constater que dans un couple, lorsque l'enfant arrive, c'est presque toujours la femme qui réduit ses horaires de travail. Par ailleurs, nous sommes dans une société qui conditionne les femmes de telle sorte que celles-ci ne se font pas suffisamment confiance et ont tendance à se sous-estimer. Des enquêtes montrent par exemple que lors d'un entretien d'embauche, les femmes présentent, lorsqu'elles leur sont demandées, des prétentions salariales moins élevées que celles des hommes. Ces enquêtes montrent aussi que les femmes mettent en avant ce qu'elles ont déjà fait, là où les hommes évoquent volontiers ce qu'ils pourraient faire. Il y a là des enseignements intéressants sur lesquels nous pourrions revenir au cours de la table ronde.


Exposés des intervenants

Aude de Thuin©Nicole Salez

- Aude de THUIN, Présidente-directrice générale du Women's Forum.
Séance de l'après-midi : lutter pour la diversité en entreprise


Pour prolonger les propos de Madame Mossuz-Lavau, je suis frappée par le manque de confiance des femmes en elles-mêmes. Ce manque de confiance détermine de nombreuses autres choses. Les femmes naissent en étant persuadées qu'il existe une différence entre elles et les hommes, et on les élève en les confortant dans cette perception. Les femmes souffrent, en conséquence, d'un manque de confiance en elles-mêmes. Si ce constat vaut d'une manière très générale, il se traduit par des différences plus ou moins marquées suivant les pays, en fonction notamment des efforts produits pour donner confiance et des responsabilités aux générations de femmes les plus jeunes.
Il faut prendre conscience du fait qu'en France, les hommes ont tout simplement tendance à confier des postes à responsabilités aux hommes. Certes, la nouvelle génération des patrons du CAC 40 favorise une évolution des choses : ces patrons, qui ont aujourd'hui une cinquantaine d'années, ont souvent une épouse qui travaille et cela modifie leurs représentations. Ainsi, j'ai lancé le Women's Forum avec le soutien de mon mari, malgré un accueil beaucoup moins favorable des banques, et cela constitue une autre illustration de cette évolution récente des représentations.
C'est une chance formidable pour les entreprises que de recruter des femmes, car celles-ci savent tout faire ! Le Women's Forum compte 25 salariés, dont 20 femmes. Une majorité de celles-ci a un ou plusieurs enfants et je suis frappée de constater que ces femmes ont une formidable capacité à tout faire. Nous avons le devoir d'aider cette génération.

- Stéphanie LECERF, Responsable juridique de Michael Page International

Le cabinet Michael Page intervient dans le recrutement de cadres. Les femmes représentent 30 % des recrutements que nous accompagnons. On peut remarquer que ce pourcentage diminue un peu lorsque le salaire proposé dépasse 100 000 euros annuels.
Les femmes sont nombreuses dans les fonctions juridiques, sociales, de ressources humaines, dans les assurances, la banque ou dans l'hôtellerie. Elles sont beaucoup moins présentes dans l'immobilier, le BTP ou l'ingénierie, voire, a fortiori, dans les postes d'expatriation. La pénurie de candidats, d'une manière générale, sur le marché du travail, favorise toutefois une évolution de cette situation , nous la voyons déjà se dessiner dans un secteur comme le BTP, notamment.
Pour le reste, je constate que les femmes évoquent peu, au cours des entretiens, leur situation personnelle ni les aménagements qui pourraient faciliter la conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale. Par contre, les employeurs, soucieux d'attirer des candidats en raréfaction, abordent de plus en plus spontanément ces questions.

La crainte du congé maternité, qu'elle soit évoquée par l'employeur ou la candidate, est rarement abordée en entretien, du moins selon l'expérience qu'a notre cabinet.

Catherine Ferrant©Nicole Salez

- Catherine FERRANT, Directrice de la diversité de Total

L'agenda de la diversité, au sein de Total, vise à la fois la féminisation et l'internationalisation du management. Il comporte par ailleurs un objectif d'égalité des chances pour tous. Autrement dit, nous visons de pair la féminisation et l'internationalisation de nos cadres. Ce choix s'explique tout simplement par un besoin de l'Entreprise, à un moment où l'évolution du contexte des activités pétrolières renforce l'importance des qualités d'autonomie de nos collaborateurs et leur adaptabilité à de nombreux contextes différents.
Nous ne trouvons plus, en France, dans notre vivier traditionnel, les personnes dont nous avons besoin, qualitativement et quantitativement.

C'est pourquoi nous menons un travail en profondeur sur la qualité des recrutements, en cherchant par ailleurs à faire en sorte que notre recrutement reflète la féminisation de la population de certaines filières. Nous souhaitons ainsi recruter au moins 20 % de femmes ingénieurs et 20 % de femmes parmi les nouveaux collaborateurs issus d'écoles de commerce.
Nous avons ensuite besoin d'indicateurs de suivi et d'évolution de ces populations au sein de l'Entreprise. La présence d'un indicateur de féminisation et d'un autre dédié à l'internationalisation objective le constat que nous faisons de la progression de ces populations et souligne aussi l'intérêt que l'Entreprise accorde à ces questions. S'agissant de la maternité, nous avons introduit une mesure que nous avons appelée la « dépénalisation salariale » de la maternité : lorsqu'une femme est en congé maternité, elle a droit à une augmentation salariale individuelle qui représente au moins la moyenne des augmentations salariales qu'elle a obtenues au cours des trois années précédentes.

Clara Gaymard©Nicole Salez

- Clara GAYMARD, Présidente de General Electric France

On a peu parlé de l'administration. J'ai commencé ma vie professionnelle à la Cour des Comptes, où j'ai été sanctionnée dans mon avancement au moment de la naissance de mon 3ème enfant. Il se trouve que le Président de Chambre était misogyne et n'aimait ni les femmes, ni les enfants. Il a décidé de présenter mon rapport le jour où j'accouchais, ce qui lui a permis de me sanctionner pour mon absence. Plus généralement, toutefois, je n'ai jamais pensé que l'on me refuserait un poste au motif que j'étais une femme ou que j'avais huit enfants.

Je ne crois pas très important de savoir s'il faut traiter ensemble ou non les questions de diversité et d'égalité. Il me semble plus intéressant de se pencher sur les leviers susceptibles d'être actionnés pour que la situation évolue. Si l'on aborde la question sous l'angle des compétences, on n'a d'autre choix que d'envisager la personne dans sa globalité, que ce soit en termes d'origines, d'identité ou d'environnement familial. Au sein de General Electric, nous souhaitons en fait donner à nos salariés tous les moyens d'être performants, tout simplement.
S'agissant de la confiance en soi, j'ai une philosophie personnelle, qui part d'un constat : on parle toujours de la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale comme d'un inconvénient. C'est en fait une extraordinaire chance. Les femmes savent tout faire, comme le disait Aude de Thuin. Celles qui sont à la tête d'une famille apprennent de la manière la plus efficace qui soit la tâche des managers, qui consiste à anticiper, organiser et trouver des solutions dans des situations d'urgence, tout en étant à l'écoute des autres et en faisant grandir les personnes qui sont autour de soi.


Echanges avec la salle

- Rachel SILVERA, Maître de conférence, Université Paris 7

Les intervenants ont évoqué la situation de femmes qui étaient à la tête d'une famille, alors qu'on parlait pendant longtemps des « chefs de famille », qui étaient toujours, de façon sous-entendue, des hommes. Il me semble important de veiller à ne pas passer d'un paradoxe à un autre, en considérant, pour résumer, qu'il existe des qualités spécifiquement féminines. Il est essentiel de réfléchir en termes de parentalité et de repenser le rôle du père. Celui-ci a été un peu rapidement exclu de la discussion, souvent avec son consentement. Il faut replacer les pères dans la discussion, ce qui favorisera un rééquilibrage de nos représentations : nous ne devons pas envisager d'abord les femmes comme des mères avant toute autre chose, ni les hommes comme des salariés avant toute autre chose.

- Clara GAYMARD

Je voudrais évoquer une dimension dont nous n'avons pas encore parlé. Les femmes n'ont pas la même notion du temps que les hommes. Nous acceptons souvent de prendre un certain retard dans nos carrières. Cela n'est pas bien grave, car une vie est longue. Encore faut-il que les entreprises permettent des évolutions différenciées, plutôt que de miser sur des parcours strictement balisés par des jalons qui doivent être atteints à un âge déterminé.



- Saâdane CHAHITELMA, Chargé de mission, Mairie de Saint-Herblain

Je voudrais parler des jeunes filles des quartiers, qui sont souvent très diplômées et à qui l'on a fait croire que la qualification serait synonyme de liberté et d'emploi bien rémunéré. Certaines de ces jeunes filles sont aujourd'hui confrontées à deux solutions : l'exil vers des destinations plus propices (par exemple le Royaume-Uni, pour certains métiers, ou le Canada) ou l'acceptation de postes très éloignés de leurs qualifications, comme celui de caissière. La marche des Beurs date de 1983. Le cahier de doléances qui avait été rédigé par les jeunes filles des quartiers à cette occasion reste aujourd'hui pleinement d'actualité.

- Marie-Jo ZIMMERMANN

La diversité est un combat noble, de même que l'égalité. Ces combats ont besoin de personnes convaincues, qui souhaitent faire évoluer les choses. Ces deux combats doivent nous mobiliser à chaque instant, mais il me semble que l'égalité des hommes et des femmes dans l'entreprise constitue une première réponse.

- Janine MOSSUZ-LAVAU

Je suis d'accord avec l'idée selon laquelle nous devons repenser à la parentalité. Il me semble que nous devons aller vers « l'indifférenciation », c'est-à-dire vers l'absence de catégorisation des rôles et des fonctions des individus en fonction de leur sexe. Cela suppose que les hommes prennent davantage en charge qu'ils ne le font aujourd'hui une partie de leur sphère privée. Lorsque les hommes auront une expérience similaire à celle des femmes dans ce domaine, sans doute cela favorisera-t-il l'égalité des deux sexes, ce qui me paraît un objectif plus ambitieux que la seule conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle.

- Claire DUTERTRE, Directrice, Femmes d'Entreprises d'Europe

Je voudrais parler de la petite entreprise. J'ai créé une première entreprise à 23 ans, puis une autre à 26 ans. Par ailleurs, j'ai créé l'Association « Femmes d'Entreprises d'Europe », et cela fait vingt ans que j'entends les mêmes constats. Cela ne m'intéresse plus du tout et je souhaiterais que l'on en parle différemment : il devient insupportable d'entendre parler de discriminations et d'inégalités —, qui sont d'ailleurs deux notions tout à fait distinctes. Je souhaiterais plutôt que l'on parle de désirs, de projets, de liberté de carrière... Communiquons aux femmes des perspectives et non pas sans arrêt des limites !

- Inge PHILIPS, Conseillère coopération policière, Ambassade des Pays-Bas

Les quotas ont été évoqués de manière négative. Ce principe vient d'être imposé dans la législation néerlandaise, sur la base d'un constat au moins aussi préoccupant que celui qui est dressé en France. Nous sommes certes conscients des inconvénients que présente la solution des quotas mais, eu égard aux enjeux en présence, il nous semble urgent de saisir tous les outils qui sont à notre disposition.

Lire aussi :
-Egalité Hommes-Femmes, respect de la diversité : premières rencontres parlementaires (Sommaire)
- 1ère PARTIE : l'inégalité des chances débute souvent dans les familles
- 3ème PARTIE : discrimination positive, laïcité


Par Nicole Salez

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