'Le goût de la mère' d'Edward St Aubyn
Une chronique familiale et estivale, un style grandiose et drôle à la fois, 'le goût de la mère' de l'écrivain britannique Edward St Aubyn, est paru chez Christian Bourgois dans une traduction d'Anne Damour. En 2007 il a reçu le prix Fémina étranger.
Par Marie Claude Auger
Trois générations de mères
« Pourquoi avaient-ils feint de le tuer à la naissance ? Ils l'avaient tenu éveillé pendant des jours entiers, à se cogner le crâne contre le col fermé de l'utérus , le cordon enroulé autour de sa gorge, au point de l'étrangler , ils avaient farfouillé dans le ventre de sa mère avec des pinces glacées, lui agrippant la tête, tordant son cou d'un côté puis de l'autre , ils l'avaient extrait de son refuge, frappé, ébloui avec leurs lampes [ ...]Le but était peut-être d'anéantir sa nostalgie du monde d'avant [...] cette chose, toute cette chose chaude autour de lui, qui était tout. »
Ainsi s'ouvre le roman, comme on entre dans la vie, arraché à l'antre maternel, dans un style grandiose et très drôle à la fois, qui donne le ton de ce roman. C'est une sorte de chronique estivale et familiale dans laquelle défilent, durant trois étés, divers personnages de mères, sur deux ou trois générations. Amer goût de la mère dans la bouche de Patrick, le père de la famille qui est au cœ,ur du récit, un quadragénaire névrotique qui noie angoisses et frustrations dans des flots d'alcool et de fantasmes féminins.
Mère avant tout
Frustrations générées d'une part par le comportement de Mary, sa femme, qui s'est détournée de lui depuis la naissance de son deuxième fils Thomas auquel elle voue un amour total et quasi exclusif (« Elle était capable de faire pour Thomas ce qu'elle n'aurait fait ni pour elle, ni pour n'importe qui d'autre »), allant jusqu'à le faire dormir dans le lit conjugal à la place de Patrick qui finit par aller se réfugier dans celui d'une ex-amie à lui venue les retrouver en vacances.
Un altruisme déchaîné
Frustrations générées d'autre part par sa propre mère, Éléonore, qui a fait don de sa propriété au pseudo-gourou d'une Fondation New Age, déshéritant ainsi son fils. Patrick pensait que la haine qu'Eléonore éprouvait pour sa propre mère, une riche Américaine remariée avec un vieil aristocrate français qui lui avait transmis son obsession des questions de rang et de généalogie propre à sa classe, « était le fondement de son altruisme déchaîné ».
À moitié paralysée par une attaque, clouée sur son lit dans une maison spécialisée, elle supplie son fils de l'aider à mettre fin à ses jours.
Une caricature de mère
Quant à la mère de Mary, qui passe les voir pendant les vacances, elle est la caricature même de la mère dominante, froide et égocentrique. « Sa mère à elle la considérait comme une sorte de fonds de capital risque : quelqu'un qui était sans valeur au départ, mais qui pouvait rapporter gros un jour, si elle épousait une grand fortune ou un grand nom. »
Le réveil de la femme
Ce qui explique peut-être que Mary, par réaction, se voue à ses enfants jusqu'à l'abnégation, jusqu'au moment où, vers la fin du roman, se réveille en elle le désir de sortir de cet enfermement: « Elle mesurait l'atmosphère étouffante de dépendance qui régnait dans la famille [...] Patrick avait besoin d'une révolution contre la tyrannie de la dépendance, elle avait besoin d'une révolution contre la tyrannie de l'abnégation. »
Un regard rempli d'humour noir
Chassé-croisé où se mêlent des réflexions sur le couple, l'adultère, les relations parents-enfants, et surtout mère-enfant, sur le mal de vivre, sur l'euthanasie, ce qui fait le charme de ce livre, c'est le talent de l'auteur à poser un regard rempli d'humour (noir), de dérision, voire d'auto-dérision sur ses personnages, en particulier sur celui de Patrick, et ce dans un style riche, élégant, sombre et drôle à la fois, remarquablement bien restitué par la traduction d'Anne Damour, dont nous aurons l'occasion de reparler.
LE GOÛT DE LA MERE
de Edward St Aubyn (305 p.)
Ed. Christian Bourgois
25€
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