Ernst Beyeler (1921-2010) marchand d’art suisse et éclairé, au début des années quatre-vingt, décide de construire un musée pour sa collection « classique » qui ne se définit pas dans une seule époque. Il demande à Renzo Piano d’enchâsser, dans le paysage villageois qui marque sa fidélité à sa ville, une galerie éclairée par les murs de vitres et de façon zénithale. Plus de 16000 œuvres sont passées entre les mains du marchand, dont Gauguin, Kandinsky, Cézanne, Picasso… En 2007, il confie la direction de son oeuvre à Samuel Keller, qui poursuit un programme d’expositions d’exception. Gauguin (1848-1903) est le projet qui a exigé le plus d’investissements de toute l’histoire de la Fondation Beyeler (8 années de préparation).
Photo CB - Vue intérieure de La Fondation Beyeler
Il ne s’agit pas d’une rétrospective mais d’un rassemblement d’une cinquantaine de chefs-d’œuvre provenant de collections particulières et de musées internationaux. Lorsque Gauguin peint cet Autoportrait à la palette qui accueille le visiteur, il écrit à sa femme, Mette :
« Je suis un grand artiste et je le sais ».
P.Gauguin: Autoportrait à la palette, 1893/94. Coll. part.
Comment pouvait-elle deviner qu’il deviendrait un jour, ce peintre célébrissime? Elle avait épousé un courtier de banque, aisé, un peu collectionneur de peinture contemporaine, des impressionnistes, mais de là à devenir un artiste… Comment tout est arrivé ?
Gauguin rencontrant des difficultés dans ses affaires chercha des solutions. Pensa-t-il avoir plus de chance dans l’art ? Les circonstances s’enchaînant, il quitta une vie bourgeoise et respectable pour une vie d’aventure et de bohême artistique. Petit-fils de Flora Tristan, une femme de lettre, socialiste, féministe, prépondérante dans les années 1840, lui, suit l’appel de l’art vers la quarantaine. Il est dans l’obligation de confier à sa belle famille danoise le soin de sa femme et de ses 5 enfants. Son engagement devient total et le mène à sa perte et à la rédemption simultanément. Gauguin quitte Paris pour Pont-Aven en 1886 puis part en 1887 à la Martinique, en revient pour repartir en 1891, revient, puis en 1895 repart définitivement pour Tahiti. Il finit sa vie en Océanie. Aux Marquises, fort malade, il écrit beaucoup et peint peu. A ses amis, à sa famille, à ceux qui le soutiennent en France métropolitaine, il envoie ses œuvres, tandis qu’il a passé la barrière du rêve et vit dans une vérité que sa postérité confirme.
L’exposition est chronologique et retrace la géographie des lieux où il a vécu et créé. Je connais Pont-Aven et quand je vois ses tableaux les plus inspirés, je parcours la distance que couvre son imagination. Dans La vision du sermont, (1888), Gauguin peint la sortie de la messe avec au premier plan les coiffes des femmes bretonnes. Derrière la branche qui sépare la composition en diagonale, le miracle de la vision de la lutte de Jacob et l’ange, a lieu. Le champ est rouge comme dans la poésie de Charles Baudelaire.
P.Gauguin: La vision du sermont, 1888. Scottish National Gallery, Edimbourg.
C’est aussi la métaphore du combat qu’il mène séparé des siens à travers l’art avec sa propre vie. Dans certains de ses autoportraits peints en Bretagne, Gauguin s’associe à la souffrance christique.
P.Gauguin. Autoportrait au Christ jaune, 1889. Photo © RMN. Musée d'Orsay.
Son départ en Océanie ressemble à la recherche d’un paradis perdu. Il y construit l’atelier des tropiques. À Tahiti, il secrète une palette aux couleurs chimériques.
P.Gauguin. Aha oe feil?, 1892 (Eh quoi! Tu es jalouse?) Photo: © Musée d'Etat des Beaux Arts Pouchkine, Moscou
Beaucoup de titres de tableaux sont des questions écrites directement sur la toile : Eh quoi ! Tu es jalouse ? Il peint le corps de la femme tour à tour sensuel, irréel; il manie l’humour, la rime.
D’ou venons-nous, ou sommes-nous, ou allons-nous ? (1897/98) - (139,1 x 374,6 cm)
P.Gauguin: D'où venons-nous, où sommes-nous, où allons-nous? Photo © 2015 Museum of Fine Arts Boston
A Tahiti, il peint son œuvre testamentaire et chef d’œuvre de l’exposition obtenu en prêt in extremis. Gauguin fait cohabiter différents motifs (femme, chien, divinité, nature…) dans un paysage. Marqué par le poète Mallarmé il suggère le mystère. Il représente l’humain en s’inspirant des différents styles et cultures des pays montrés à l’exposition universelle en 1889 et de l’histoire de l’art occidental. Il peint les animaux avec une tendresse infinie. L’artificialité du langage de Gauguin, le retour au primitif est sublime de sophistication et de raffinement.
Un accent est mis sur le dialogue peinture et sculpture dans l’exposition. Il n’y a aucune œuvre sur papier.
P.Gauguin: Thérèse, 1902. Lefevre Fine Art, Londres.
Thérèse, sa maîtresse en 1902, transformée en une sculpture au visage lunaire.
P.Gauguin: Contes Barbares, 1902. Photo © Museum Folkwang, Essen
Gauguin met en image la beauté si étrange du monde, sa paix mystérieuse. Il atteint le calme des icônes, l’animalité des femmes; il peint des présences muettes, idéalisées, sensuelles ou inquiétantes, femmes ou déesses qui ne marquent aucune émotion, pas d’expression, qui demeurent des énigmes, qui sont des pierres de silence parmi les fleurs.
Ernst Beyeler s’est toujours intéressé aux grandes œuvres qui répondent à des questions de notre temps au-delà de la beauté, et cette exposition en est l’ exemple éclatant.
Une salle multimédia présente une biographie illustrée de l’artiste et une carte du monde qui retrace les lieux où Gauguin s’est rendu. Un livre multimédia tactile introduit une forme novatrice de médiation pour les enfants et les adultes.
Fondation Beyeler
Tous les jours de 10h à 18h, le mercredi de 10h à 20h.
Le musée est ouvet le dimanche et les jours fériés.
Adresse:
Baselstrasse 101
CH-4125 Riehen/ Bâle
Tél: +41 (0)61 645 97 00
Email: info@fondationbeyeler.ch
www.fondationbeyeler.ch
Par Caroline Benzaria
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