”Acqua in bocca” l'eau qui empèche de parler

Un film de Pascale Thirode

Corse : entre résistance et collaboration, le silence des hommes, la douleur des femmes. Le 8 juin sort 'Acqua in bocca', le film signé par Pascale Thirode. La réalisatrice à la recherche d'un grand-père mort en 1944, remonte une histoire familiale qui cache et tente d'oublier des épisodes troubles.

Acqua in bocca, un film de Pascale Thirode
Acqua in bocca « l'eau dans la bouche » est une expression corse qui signifie qu'il est impossible de parler quand on a de l'eau dans la bouche. Cest une invitation au silence.

L'incommunication, le non dit, la langue de bois, la méfiance, la peur, qui font les secrets de famille dévastateurs sont des pratiques universelles. Mais sur l'île de beauté ils prennent une opacité quasi pathologique. Partout pourtant « l'amnésie comme un corps plonge remonte toujours à la surface ».

Tout commence avec un album photo mystérieux vidé de son contenu, trouvé dans les affaires de sa mère, avec seulement des traces de colle et quelques légendes éparses. « Elles seront les indices d'un chemin que j'ai décidé de parcourir avec mes filles âgées de 10 et 13 ans », explique Pascale Thirode, la réalisatrice, qui joue son propre rôle avec vérité et beaucoup de sensibilité.

Une arrivée en bateau magnifiquement filmée, une approche lente de l'île dans la brume marine où se dessine la côte, une tentative de mise au point vers une famille inconnue. Et une traversée pour tenter de rejoindre sa mère. « Accoster à Bastia, ville natale de ma mère et pénétrer la Corse comme une chair, par intrusion ». Le but du voyage : s'approcher d'un homme, son père, Paul Mariani, notable respectable mort à Ajaccio en juillet 1944, dans une période trouble et des circonstances jamais élucidées. « M'interroger sur l'histoire de cette famille, quitte à faire parler des fantômes et de vieux papiers, sans jamais oublier les traces que ces silences trop longs peuvent aussi laisser. »

Chacun raconte ou cache sa vérité

Le secret a-t-il été orchestré dans le but d'éviter un déshonneur ? Quel rôle a joué cette aventurière croisée par son grand-père, dans la confusion qui règne ? On se laisse prendre au suspens de cette recherche sur fond de guerre et d'après-guerre où les fausses pistes croisent des mensonges et des questions sans réponse, dans un désordre inexplicable où chacun raconte, ou cache, sa vérité.

Un très beau film de femmes, la réalisatrice et ses deux filles qui apportent la légèreté de la jeunesse à cette quête cathartique. Et une belle histoire de femmes pour retrouver une mère mater dolorosa qui a enfoui son histoire, incapable de la transmettre.

La vérité conservera ses trous mais la page pourra enfin être tournée. Ce film est aussi un joli conte philosophique sur l'indispensable vérité à la fois si essentielle et si difficile à appréhender entièrement.

Acqua in bocca e fichi maturi », dit l'expression corse, « e fichi maturi », la deuxième partie de l'expression autorise à parler quand le moment opportun est venu... Quand les figues sont mûres! »

Par Gisèle Prévost