Jusqu'au 30 août 2009, la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent présente, en collaboration avec le musée Ethnographique de Russie, une exposition consacrée aux costumes populaires russes des XIXe et XXe siècles. L'occasion, à travers ces costumes, de revisiter également une partie de l'histoire russe.
[]
Certaines se souviennent peut-être de la fabuleuse collection ”Ballets russes” d'Yves Saint-Laurent, en 1976, une collection considérée par son créateur comme étant l'une de ses plus belles réussites. Blouses, jupons, manteaux des paysannes russes y étaient interprétés en soies colorées et broderies sublimes par un Saint-Laurent au sommet de son talent. Aujourd'hui la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent présente ces costumes populaires russes des XIXe et XXe siècles qui ont participé à l'inspiration du créateur, notamment par leurs jeux subtils de superposition et de nuances de couleurs.
Des photographies de la collection Shabelskaya (fin XIXe, début du XX siècle) sont également exposées, témoignage de la richesse de ces costumes et de leur mise en scène.
- Commissaire d'exposition: Elena Maldevskaia, conservatrice, musée ethnographique de la Russie
Avant-propos par Pierre Bergé
”Dans les grands opéras russes, Boris Godounov ou la Khovantchina de Modeste Moussorgski, le peuple, le grand peuple russe, tient une place importante. Vêtu de haillons, il subit le joug du pouvoir, de la police, de l'armée, des maîtres. Dans son texte, le romancier Andreï Makine explique que les vêtements de fête —, ceux que nous présentons —, étaient en quelque sorte un refuge pour échapper au quotidien. De fait, cette recherche de la beauté a de quoi surprendre. Malgré des moyens limités, et des conditions de vie souvent difficiles, le peuple russe n'a pas renoncé à séduire. Pourtant, il n'est jamais allé à l'opéra, n'a jamais lu Pouchkine, ni Tolstoï. Il ne connaît pas le bal de la comtesse Natacha Rostov, décrit dans Guerre et Paix, ni la fête polonaise donné pour le faux Dimitri, qui se prétend le successeur de Boris Godounov, au début du XVIIe siècle. Mais il prouve que la beauté tient une place importante dans la vie de chacun, qu'elle permet de supporter le malheur et de croire à un monde meilleur. C'est ce que nous disent ces vêtements du peuple russe. Ce peuple qui, comme le vieux domestique Firs à la fin de La Cerisaie de Tchekhov, pouvait hélas constater : « ils m'ont abandonné. ”
Formation du costume populaire russe
Les principaux éléments du costume traditionnel russe apparaissent durant la période du haut Moyen‑Age, à l'époque de l'unification des Slaves de l'est et de la Russie kiévienne. Ainsi se définit la composition des tenues de l'homme et de la femme (chemises, pantalons, accessoires, coiffes et chaussures) qui sont à la base du développement futur des vêtements traditionnels russes, ukrainiens et biélorusses. La centralisation de l'Etat (fin du 14ème - milieu du 16ème) marque la naissance du costume traditionnel russe. C'est ainsi qu'apparaît au 14eme - 15eme siècle le vêtement féminin de type sarafane. Déjà au 16eme siècle, on le rencontre tant dans l'aristocratie féodale et la bourgeoisie que chez les paysans. Le costume avec sarafane s'est d'abord imposé dans les régions du nord de la Russie. Le port du vêtement féminin d'origine plus archaïque style ”poniova” disparaît pratiquement aux 16eme et 17eme siècles et reste localisé dans les territoires au sud de Moscou. La ”poniova” n'est d'ailleurs portée que chez les paysans sans être caractéristique des autres milieux sociaux.
A cette même époque apparaît la chemise ”kosovorotka” dans le costume masculin, boutonnée sur le côté, ayant une coupe en forme de tunique descendant en dessous du genou. Par la suite, la «kosovorotka » demeure l'élément principal de la chemise d'homme, appelée « chemise russe » alors que les ukrainiens et les biélorusses conservent le modèle originel à échancrure droite.
Jusqu'au début du 18eme siècle, le costume traditionnel est commun à toutes les couches de la société : il est porté par les paysans, les artisans, les commerçants, les boyards, les tsars. Le vêtement de l'époque précédente se caractérise par une unité reconnue et une spécificité ethnique tant par la permanence des formes que le respect des traditions.
Les réformes politiques, économiques et sociales de Pierre Ier(1682‑1725) introduisent en Russie un nouveau costume de type européen. Le vêtement nouveau se répand de l'aristocratie à la noblesse, des riches marchands aux artisans des villes. Au début du 19ème, il se généralise même chez les citadins de toutes conditions.
Au 19ème siècle, seul le costume paysan conserve son apparence traditionnelle. Le respect des modèles anciens est lié au maintien d'une économie domestique dans les villages, les campagnes, les petites villes de province et à l'isolement des groupes distincts de paysans et de citadins éloignés du centre. Le développement relativement faible du commerce, de la circulation des marchandises et de l'argent en zone rurale préserve l'habit paysan de toute évolution. La fabrication domestique de la matière première du vêtement et sa confection manuelle jouent un rôle primordial dans la conservation de la tradition.
Le développement du capitalisme en Russie après les réformes de 1860 (l'abolition du servage) et la croissance des échanges commerciaux mettent fin à la production domestique du vêtement. La croissance des échanges freine le développement naturel d'une économie domestique rendant difficile le maintien de la fabrication artisanale des vêtements. Dés lors, les paysans achètent des produits manufacturés.
Dans certaines traditions locales, le costume populaire existe jusqu'au milieu du 20ème siècle. Aujourd'hui dans quelques campagnes, seules les femmes âgées portent encore la tenue traditionnelle avec la ”poniova” tandis qu'elle inspire toujours les groupes de musique et de danse folklorique et ne cesse d'influencer les stylistes contemporains russes.
Par
Ajouter un commentaire