En France, près de 17% de la population active pratique le télé-travail (enquête de LBMG Worklabs, 2014). Entre liberté d'action et solitude, travailler à domicile demande d'être autonome et organisé. Quels sont les avantages et les inconvénients ? Comment gérer son emploi du temps ? Décryptage avec Sylvie St-Onge, professeure à HEC Montréal et auteur de Gestion de la performance (Chenelière Éducation, 2012).
Qualité de vie et productivité
Travailler chez soi, c’est travailler dans un environnement familier et confortable. Selon Sylvie St-Onge, c’est d’ailleurs le principal avantage du télé-travail.
“Pour environ 70% des travailleurs, l’espace personnalisé et intime, ainsi que le fait d’être mieux installé sont de vrais atouts.”
Les télé-travailleurs bénéficient également d’un environnement plus calme, avec moins d'interruptions (pauses cafés, visites de collègues, discussion environnantes...) et de stress. Ils augmenteraient ainsi de 22% leur productivité (1) par rapport aux employés sur le site de l'entreprise.
Ces travailleurs jouissent aussi d’une meilleure qualité de vie, grâce à un sommeil plus long, des économies en ce qui concerne les transports et/ou le stationnement, ainsi que des économies de temps chaque matin et chaque soir. Grâce à des horaires plus flexibles, les télé-travailleurs peuvent également mieux gérer leur emploi du temps, comme l'a constaté la professeure.
“Nombre d’entre eux ont tendance à pratiquer plus d’activités sportives ou sociales parce qu’ils ont davantage de temps. »
Solitude et surmenage
Le télé-travail présente également des inconvénients à prendre en compte avant de se lancer. Beaucoup de télé-travailleurs se sentent seuls à cause du manque d’interactions sociales au cours de la journée et de l’absence de stimulation de groupe.
« Environ un travailleur sur deux a la sensation d’être isolé, de ne plus vraiment faire partie de l’équipe, explique Sylvie St-Onge. Ils se sentent aussi souvent vulnérables face aux problèmes informatiques et autres difficultés matérielles.”
Pour montrer que travailler chez eux n'a pas un impact négatif sur leur efficacité, certains ont tendance à travailler plus qu'ils ne le feraient au bureau, notamment le soir et le week-end, mais aussi en ne prenant pas le temps de faire des pauses. Cette augmentation du temps de travail concernerait un télé-travailleur sur deux (2). Il y a alors un danger d'empiétement sur la vie personnelle, et plus grave, de burn-out professionnel.
Loin des yeux, loin du cœur ?
Travailler à domicile signifie souvent ne pas pouvoir communiquer autant, ou du moins de la même manière, qu’en étant présent au bureau. Les informations circulent moins vite et certaines, considérées comme moins importantes, ne parviennent pas toujours aux télé-travailleurs.
Il existe le risque de ne pas être au courant de certaines conversations informelles et donc de ne pas être à même de rebondir rapidement sur des propositions intéressantes. La peur de se faire doubler par un collègue plus présent en entreprise sur la gestion d'un projet ou pour une promotion peut alors se faire ressentir.
Légalement, un employeur n'a pas le droit de donner priorité à un employé sur place sous prétexte que le télé-travailleur est moins présent. Mais ce dernier peut quand même se trouver en position de faiblesse - et parfois de bouc-émissaire -, en particulier s'il est victime de rumeurs malveillantes ou de critiques. En effet, le reste de l'équipe pourrait voir le télé-travailleur comme un salarié privilégié et pas assez investi dans la vie et le fonctionnement de l'entreprise. Le manageur est également souvent plus à même d'évaluer les compétences et les performances d'un employé qu'il côtoie tous les jours. Ces désavantages ne concerneraient qu'une minorité de télé-travailleurs, mais ils ne sont pas à prendre à la légère : 17% pensent que leurs relations avec leurs collègues se sont détériorées et 14% trouvent que leurs relations avec leur manageur se sont détériorées depuis qu'ils télé-travaillent.
À retenir que dans l'ensemble (83%) (3), ils estiment que le télé-travail n'a eu que peu d'effets sur leur évolution de carrière et de rémunération.
Pour bien gérer son télé-travail
- Bien se connaître soi-même. En effet, le télé-travail n'est fait pour tout le monde. « Si vos besoins d’affiliation et de pouvoir sont élevés, vous allez ressentir un grand manque en travaillant de la maison », précise Sylvie de St-Onge
- Être autonome et faire preuve d’auto-discipline. Il est important de se fixer des objectifs précis et respecter un calendrier pour rendre son travail dans les temps.
- Être qualifiée et motivée. Pour éviter de se sentir perdue une fois chez soi, il s’agit de vraiment bien maîtriser le sujet sur lequel on travaille. Sinon, on peut rapidement se laisser dépasser et baisser les bras.
- Se concentrer sur son travail. Ce n’est pas parce qu’on est à la maison que l’on peut garder les enfants, s’occuper des tâches ménagères ou faire les courses. La journée de télé-travail doit rester aussi productive que si l’on travaillait au bureau.
- S'habiller (eh oui!). Passer la journée chez soi ne doit pas être synonyme de rester en pyjama. Ni en survêtement. Se vêtir - presque - comme pour se rendre sur les lieux de l'entreprise, permet de bien se mettre en conditions et ne pas avoir l'impression de flâner à la maison.
- S’installer dans une pièce fermée, si possible isolée et réservée uniquement à votre activité professionnelle. « Sortir de cette pièce, c’est quitter le travail » ont remarqué les sociologues Jean-Luc Metzger et Olivier Cléach dans leur étude sur la pratique du télé-travail menée en 2004.
- Optimiser les conditions de travail. Une mauvaise ergonomie du poste de travail peut être très nuisible (mal de dos ou de tête, fatigue visuelle...). Il s'agit donc d'adapter le matériel (siège, bureau) mais aussi la luminosité, l'ambiance sonore et la température de la pièce. Pour un travail intellectuel assis, la température optimale se situe entre 18 et 24°C (4).
- Passer au moins une journée par semaine au bureau. Soit pour assister à des réunions, soit pour ne pas se faire oublier du reste de l'équipe.
- Veiller à bénéficier des mêmes évaluations de compétences et des mêmes propositions de projets que les collègues qui ne télé-travaillent pas. L'employeur est censé respecter cet engagement, mais le vérifier soi-même ne peut être que bénéfique.
Sylvie St-Onge est professeure titulaire au département management de HEC Montréal. Avec un doctorat en comportement organisationnel et relations industrielles, elle est experte en gestion de la performance et du rendement, en gestion de sa vie professionnelle ainsi qu'en conciliation travail-famille, harcèlement au travail, épuisement professionnel.
Par Ségolène Poirier
Références
1 - Une étude du cabinet de conseil Greenworking menée en 2012
2 et 3 - Selon une étude de l'OBERGO (OBservatoire du télétravail et de l'ERGOstressie) menée en 2013, l'augmentation du de travail concernent 52% des télé-travailleurs
4 - D'après le guide d’aide à l’évaluation des risques du télé-travail par Carsat Nord-Picardie (2012)
Pour aller plus loin :
*Avant de se lancer dans le télé-travail, il vaut mieux bien connaître ses droits et ses garanties mais aussi ses obligations, ainsi que celle de son employeur. http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F13851.xhtml
* L'entreprise Greenworking propose aux télé-travailleurs et à leurs employeurs un accompagnement juridique, social et organisationnel ainsi que des formations performance et bien-être au travail. http://greenworking.fr/
* Dans son ouvrage Télétravail: travailler en vivant mieux (Eyrolles, 2014), le sociologue du travail Philippe Planterose tente de répondre aux questions que se posent les télé-travailleurs, notamment au sujet de l'organisation et du cadre juridique, ainsi que la gestion de cette nouvelle forme de travail par les entreprises.
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