L'Art brut trouve ses premières racines dans l'art et la folie, thème central du premier festival d'histoire de l'art. Jacques Pimpaneau qui fut secrétaire de Jean Dubuffet, père de l'Art brut raconte pour toutpourlesfemmes cette période de vie aux côtés du peintre. Dubuffet, un artiste talentueux, un homme assez tyrannique.
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Jacques Pimpaneau, vous êtes un passionné de la Chine et des Chinois, de la mythologie, du théâtre, et de bien d'autres aspects de ce pays. Mais en même temps aussi, ce qui est plus rare, de l'Inde, du Japon, en fait de l'Asie.
Vous avez d'ailleurs publié là-dessus quelques livres, articles, traductions, films...
Vous avez également été le secrétaire de Jean Dubuffet, dans cette période où se constituait l'aventure de l'Art brut, les années 60.
Comment êtes vous arrivé là ?
Jacques Pimpaneau Je suis devenu secrétaire de Dubuffet en revenant de Chine, présenté par R.Queneau, que j'avais connu lorsque je travaillaais à l'Encyclopédie de la Pleïade tout en étudiant le chinois aux Langues Orientales. C'était en1961 et je ne connaissais absolument rien à l'Art brut.
Vous ne connaissiez rien à l'Art brut, dites vous. En quoi consistait votre travail de secrétaire ?
Mon travail consistait uniquement à faire le catalogue de son œ,uvre , il m'avait dit : «tel que je vous connais, vous auriez préféré vous occuper de l'art brut, mais j'ai déjà quelqu'un.»
Travaillant avec lui, et proche, vous avez dû bien connaître le personnage de Dubuffet. Comment le décririez vous ?
C'était un personnage difficile ! Il avait un secrétariat à côté de l'Elysée, avec une secrétaire et moi, chargé du catalogue de toutes ses œ,uvres.
Il griffonnait au restaurant à une table, sur un petit bout de papier . Et dès le lendemain il fallait envoyer un photographe, que ce soit inscrit, répertorié , il fallait tout cataloguer, que tout soit classé !
Il téléphonait à 9 heures01 le matin, pour être sûr qu'on était là, et il rappelait le soir a 6 heures moins cinq pour vérifier qu'on n'était pas partis.
A six heure moins cinq il me disait souvent : « Pimpaneau, si ca vous ne dérange pas, est ce que vous pouvez passer chez moi ? ». Donc j'allais rue de Vaugirard, c'était pour parler de tout et de rien, ce n'était pas pour travailler. Il était très provocateur !
Un jour, il me dit :
« Pimpaneau vous savez, les gens n'ont jamais été aussi heureux en France que pendant l'occupation ! c'était beaucoup plus simple, les gens allaient a bicyclette, c'était absolument parfait ! »
« Ah oui, je suis tout a fait d'accord avec vous, en particulier pour les juifs, c'était une période dorée ! » Il me regarde : « Bon c'est vous qui avez marqué le point ! »
C'était purement de la provocation, pour voir comment les gens réagissaient ! il s'attendait à ce que l'on hurle d'indignation, et là, il se foutait de vous !
Il était très ami de Céline, il lui donnait discrètement de l'argent. Il savait que Céline vivait dans la misère ! Dubuffet avait une grande admiration pour lui parce que Céline était un grand inventeur en littérature, et qu'il avait voulu s'abstraire de la littérature comme lui le faisait de l'Art !
Dubuffet était exclusif. Préférer l'œ,uvre de quelqu'un d'autre à son œ,uvre lui était fort désagréable.
Le généreux
En même temps, il était très généreux. Il me disait : « Pimpaneau, venez voir ma collection d'art brut a Vence , je vous invite» et on partait à Vence, comme ca, au milieu de la semaine !
Il m'a offert comme cela un manuscrit, que j'ai donné au musée d'art moderne.
Malgré tous ses défauts, j'avais beaucoup de respect pour son intelligence, pour son mépris des idées reçues. Quand j'allais chez lui, on bavardait !
Il était passionné par sa collection d'Art brut, et disait : « ne m'intéresse que ce qui a à voir avec ma cuisine .
Les penseurs, les philosophes, l'aidaient par contre « à faire ses plats ».
A faire ses plats...avec ses lectures, il était dans une recherche du « faire » ? Comment voyait-il sa peinture, comment parlait-il de ses écrits ?cela le passionnait aussi, d'en parler ?
L'idée de son art s'apparentait à l'Art brut , parce que l'Art brut, ce sont des gens dégagés de toute culture , des gens qui ont du talent et qui voient des choses différentes...Lui s'est beaucoup intéressé à la fois à des matériaux et des thèmes qui ne faisaient pas partie de l'art , d'où ses tableaux sur le sol, sur les murs, avec des ailes de papillons, avec des pierres.
Les femmes et l'art
Il était plutôt misogyne, ce qui transparaît dans sa série sur 'les bonnes femmes'. Il disait : « les femmes c'est comme les fleurs, si elles sont arrosées de temps en temps, elles sont contentes ! »
Sa femme lui était toute dévouée. A ma connaissance, il n'avait aucune aventure féminine ! Il a eu une fille, qui a été son héritière. Il ne la voyait jamais, disait-il. Mais il faut faire attention. Souvent les gens cyniques camouflent leurs sentiments. Je suis sûr qu'il souffrait de ne pas avoir de relations avec elle. Il était trop agressif pour ne pas en souffrir !
De quelle façon s'inspirait-il de l'Art brut ?
Il est certain que l'Art brut faisait partie des ingrédients qui lui servaient. Il cherchait à retrouver la même veine de création.
L'art brut, c'est facile à copier. C'est la raison pour laquelle il avait très peur de montrer sa collection. Si on retrouve ce genre d'œ,uvres partout, cela n'a plus l'intérêt :on tente de sortir de la culture, et la démarche redevient culturelle.
Il n'aimait pas parler des autres peintres, mais il y avait deux peintres pour lesquels il avait du respect : c'était Yves Tanguy, et Picasso. Il disait, Picasso c'est un grand inventeur ! Il était aussi très ami de Pierre Bettencourt, avec qui il avait chassé les papillons pour en faire des tableaux avec les ailes.
>> Lire aussi Le premier Festival de l'histoire de l'art
Vous n'étiez pas chargé de sa collection, mais tout de même, vous avez dû la côtoyer d'assez près ?
Ce que j'ai tout de suite trouvé très intéressant chez Dubuffet, plutôt que ses tableaux, ce sont ses écrits. C'est un très bon écrivain bien meilleur que peintre, à mon avis. Toute sa démarche est passionnante , il voulait se débarrasser de tout le poids des connaissances, de la culture, et cela de façon plus intelligente que les lettristes. Le mouvement lettriste n'a d'ailleurs rien donné de passionnant. Dubuffet essayait de rencontrer ceux qui s'étaient déjà débarrassés de la culture.
Il faut se souvenir de la fameuse phrase d'Artur Koestler : « les grandes découvertes naissent du rapprochement de deux choses qu'on
n'avait jamais pensé a mettre ensemble ». Dubuffet a eu l'idée géniale de mêler Art brut et Art moderne.
Dubuffet était allé rencontrer Prinzhorn, ce psychiatre, auteur de l'Expressions de la Folie et qui a fait connaitre 'l'art des fous'.
Avant Prinzhorn, des gens, notamment Morgenthaler, s'étaient déjà intéressés à l'art des fous, mais c'était pour en savoir un peu plus sur la folie, et pas du tout comme œ,uvre d'art ! C'est Prinzhorn, grâce a sa double formation, médecine et histoire de l'art, qui a lancé cette idée que l'art des fous pouvait être de l'art à part entière ! S' ils ont un certain talent, des qualités innées, ils sont également affranchis de tout ce qui nous paralyse la pensée.
Cela ne veut pas dire que les fous sont tous des peintres géniaux.
Dubuffet a ensuite étendu son champ de recherche vers des gens qui n'avaient pas reçu d'éducation, qui faisait de l'art à l'abri de tout, mais sans être fous.
Dans sa collection, à l'époque il y avait Dereux, un peintre et ancien instituteur qui faisait des tableaux avec des épluchures. Pour l'aider, Dubuffet l'avait chargé de s'occuper de la collection d'Art brut.
Dereux a fait d'ailleurs un texte sur l'art avec des épluchures
Le collectionneur
Dubuffet s'est mis à collectionner l'Art brut dans les années 1940. Les oeuvres de Gaston Chaissac en ont fait partie. Dubuffet a intégré Chaissac dans ses collections, avant de s'en détacher plus tard. Les relations de Dubuffet avec Chaissac étaient ambigües. Tantôt il le trouvait génial, tantôt il trouvait qu'il exploitait une veine, faisait du Chaissac.
Il entreposait une partie de sa collection d'Art brut rue de Sèvres et l'autre partie à Vence, dans une très belle maison qu'il avait fait construire, avec un jardin en pente vers la mer.
C'était très difficile de voir sa collection. Il craignait qu'elle ne soit galvaudée, copiée ou imitée !
Il était à la fois anxieux et désireux de la montrer.
Il a confié sa collection personnelle d'Art brut pour une exposition au musée des Arts Décoratifs, parce qu'il était très ami de François Mathey, qui alors en était le conservateur général. Faute de trouver un point de chute en France, il a donné sa collection à Lausanne, où, à partir de ce don, a été créé un musée d'Art brut. Visiter ce musée est un enchantement unique.
Les années 60, c'était l'époque où il produisait beaucoup lui même. Voyageait-il aussi pour rechercher encore d'autres œ,uvres pour sa collection ?
Non , il s'occupait de son œ,uvre. Son marchand était Daniel Cordier. Quand il parlait de l'art ou de la culture, c'était un mélange étonnant !
Vous êtes resté peu de temps avec Dubuffet, moins d'un an , comment vous êtes vous séparé ?
Je dois avouer que l'étude du chinois était plus ma voie, et Dubuffet était trop accaparant. Je suis parti ensuite continuer l'étude du chinois à l'Université d'Oxford pour profite de l'enseignement du Prof. D.Hawkes, dont je me suis senti plus proche que de Dubuffet, que je n'ai jamais revu.
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